Chapitre 28 – Rester debout
Je n’étais pas rentré à Kinshasa pour devenir un symbole.
Je voulais juste survivre à ma propre histoire. Respirer. Reprendre souffle dans ce centre isolé, hors des regards, là où le Dr Banza m’avait orienté quand tout menaçait de s’effondrer. Là où Adrien et moi avions trouvé un abri.
Mais les abris ne durent jamais éternellement.
Le téléphone avait sonné. Le message du Dr Banza. L’invitation à parler. Puis la décision, folle et droite à la fois : remonter sur scène. Offrir ma voix, pas pour me défendre, mais pour ouvrir une brèche.
Et cette brèche avait craqué.
Depuis, je n’avais pas quitté la ville.
Pas parce que c’était plus sûr. C’était l’inverse, en réalité. Chaque jour exposait davantage. Les réseaux s’étaient enflammés. Les murmures aussi. Certains articles prenaient ma défense, d’autres m’accusaient de pervertir la jeunesse. Des collègues détournaient le regard. Des proches m’écrivaient en privé pour me soutenir, tout en priant que je ne le dise à personne.
Mais je n’étais pas seul.
Adrien restait là, solide, presque tranquille. Il disait peu, mais il était tout ce que je n’avais jamais osé espérer : un repère. Une maison. Un amour sans discours.
Nous logions chez un couple discret, dans une banlieue tranquille. Leurs enfants nous appelaient « les oncles du ciel » parce qu’on venait toujours au moment des orages. Ils ne comprenaient pas tout, mais ils savaient que l’on soignait les douleurs qu’on ne voit pas.
Je reprenais petit à petit des consultations. Des jeunes venaient. Des parents aussi. Certains crachaient leur colère. D’autres pleuraient d’avoir enfin trouvé une oreille.
Mais les tensions montaient.
Des rumeurs circulaient. On m’aurait vu embrasser Adrien dans une voiture. Un autre affirmait que j’étais financé par une organisation étrangère. Les attaques devenaient plus violentes, plus directes.
Ce soir-là, Adrien m’avait pris la main en silence.
— Tu as peur ?
— Oui, j’ai peur.
— Mais tu restes ?
— Je reste.
C’était ça, ma décision. Non pas l’héroïsme. Pas la provocation. Pas le défi. Juste une fidélité : à ceux qui n’avaient jamais eu de voix, à ceux qui avaient cru, l’espace d’un instant, que le silence pouvait se rompre.
Je n’étais pas plus fort qu’avant.
Mais j’étais enraciné.
Et dans ce pays où l’on meurt encore pour aimer librement, je refusais de devenir un exilé de moi-même.
Alors je restais. Parce que fuir aurait été mourir autrement. Parce que parler m’avait déjà sauvé une fois. Et parce qu’à présent, il fallait tenir.
Même au prix du vertige.
Même au prix du feu.
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Note d’auteur :
Ce chapitre est un choix. Celui de rester debout, là où d’autres s’effondrent ou fuient. Ce n’est pas un geste héroïque. C’est une forme de lucidité. Une façon de dire : je sais que c’est dangereux, mais je sais aussi que c’est juste.
Dans un pays où aimer est parfois un crime, et où parler est souvent un risque, rester devient un acte d’amour. Pas seulement pour soi, mais pour ceux qui viendront après. Pour que demain, un garçon n’ait plus à s’excuser d’exister. Pour qu’une fille n’ait plus peur d'aimer en paix.
Jonathan reste. Pas pour se battre. Mais pour témoigner. Pour incarner une vérité que personne ne pourra effacer.
Ce n’est pas la fin. C’est la flamme.
Celle qu’on n’éteindra pas.
— La Voix Qui Écrit
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