Chapitre 29 – Même sans miracle

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Je n’attendais plus de miracle.

Pas ici. Pas maintenant. Juste une accalmie. Un matin sans nouvelles insultes. Une journée où personne ne baisse les yeux en me croisant. Un silence normal. Pas celui qui étouffe, mais celui qui repose.

Mais à Kinshasa, même les silences grondent.

Le couple qui nous hébergeait nous avait proposé de rester indéfiniment. « Tant que vous aurez besoin, la porte est ouverte. » Leurs enfants grandissaient, et commençaient à poser des questions. « Pourquoi on ne peut pas parler de vous à l’école ? » « Pourquoi les gens ne vous aiment pas alors que vous êtes gentils ? » Et je ne savais jamais répondre sans trahir ma douleur.

Adrien, lui, avait recommencé à dessiner. De petites choses. Des visages anonymes, des scènes de rue, des étreintes floues. Il disait que c’était sa manière d’exister sans bruit. Parfois, il me les montrait. D’autres fois, non. Je respectais ses silences comme on respecte une prière.

On ne vivait plus cachés. Mais on ne vivait pas libres non plus.

Certains jours, des jeunes venaient frapper à la porte du local d’écoute. Ils regardaient autour d’eux avant d’entrer. Des garçons surtout. Fragiles. En colère. En désespoir. Des filles aussi, parfois. Une m’a dit : « Je ne suis pas comme vous, mais j’ai compris que vous pouvez m’entendre. » Et j’ai pleuré en silence, après son départ.

D’autres jours, il ne se passait rien. Ou pire : il se passait quelque chose.

Un graffiti sur la clôture. Une lettre anonyme glissée sous la porte. Un voisin qui nous lançait un regard de travers. Un silence dans une salle d’attente. Le genre de silence qui hurle plus fort que mille mots.

Et toujours cette question : combien de temps on tiendra ?

Mais on tenait.

Je ne sais pas si c’était du courage. Peut-être juste de l’obstination. Ou de la fatigue. Rester devenait une habitude. Une manière d’être là, même quand tout criait de fuir.

Un soir, Adrien m’a pris la main. Il ne parlait presque jamais de l’avenir. Ce soir-là, pourtant, il a murmuré :

— Tu crois que ça changera un jour ?

J’ai répondu sans réfléchir :

— Peut-être pas pour nous. Mais pour d’autres, oui. Il faut juste tenir assez longtemps pour qu’ils n’aient plus à se cacher.

Il a hoché la tête. Et on s’est endormis comme ça, dans une paix tissée de fragilité et d’amour têtu.

On ne gagnait pas. On ne perdait pas non plus. On vivait, simplement.

Et c’était déjà une victoire.

Note d’auteur :

Ce chapitre n’est pas une avancée spectaculaire. Il n’est pas une fin non plus. C’est une halte. Un espace entre ce qui brûle et ce qui pourrait guérir.

Dans un pays où aimer peut encore tuer, où la vérité s’échange à voix basse, il y a des jours sans miracle. Mais il y a aussi ces gestes minuscules qui tiennent bon : écouter, rester, s’aimer sans bruit.

Jonathan et Adrien ne deviennent pas des héros. Ils deviennent juste… humains. Et c’est peut-être la chose la plus subversive qui soit.

La Voix Qui Écrit

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