2.5 Le songe de Télémaque.
Aux premières lueurs de la journée le ciel se drape de rose et les kalins s’éveillent les uns après les autres, ce qui n’est pas le cas de mon compagnon qui demeure encore un moment dans le monde des rêves.
Depuis la conversation du milieu de la nuit, je n’ai pas réussi à retrouver le sommeil car ces échanges n’ont fait que complexifier la situation. J’attends donc, avec impatience, un nouveau contact avec le lieutenant Klibs, en espérant qu’il m’apporte au moins quelques solutions pour sortir d’ici afin de pouvoir, enfin, aider mon ami Sour.
Il semble maintenant que notre escorte soit prête à repartir, mais, probablement à la suite de ses excès de la veille, Télémaque n’a toujours pas émergé, aussi suis-je obligé de le secouer afin de le réveiller. Mes premières actions restent sans effet, j’en viens donc à le stimuler de façon plus énergique et enfin il daigne ouvrir les yeux. J’ai cependant l’impression qu’il est demeuré dans un mode parallèle, ce qu’il confirme aussitôt :
- Τίς εἶ; s’exclame-t-il. Ὁποῖος ἔχεις ἀξίαν ἐμὲ ἀναγκάζειν ἀπολείπειν τὴν Πολυκάστην; ὁ Νέστωρ ἐβεβαίωσέν μοι ὅτι αὐτὴ μοι ἐστίν. Οὐδέν ἔχεις κατὰ τῆς ἡμετέρας ἀγάπης, ἡ γὰρ ἡμῶν ἀγάπη ἐκ τῶν ἐρωτικῶν βελών ἐκτυπῶται. (Qui êtes-vous ? À quel titre voulez-vous m’obliger à quitter Polycaste ? Nestor m’a confirmé qu'elle m'était destinée ! Vous ne pouvez rien contre notre amour, il est forgé par les flèches d'Eros).
Jamais je ne l’ai vu dans un tel état d’excitation. Gesticulant dans tous les sens, Il me semble complétement ailleurs, je n’ai aucune idée de comment le faire revenir parmi nous. Les kalins semblent aussi démunis que moi, mais d’un coup, mon ami tombe sur les genoux et se met à pleurer à chaudes larmes. Je me rapproche de lui, mais il me rejette du bras en hurlant. Je reste totalement démuni face à cette situation inattendue jusqu’à ce qu’un membre de la troupe se rapproche de lui et lui tende une coupe emplie d’un liquide brun, en émettant une mélodie consolante.
Télémaque lève la tête et leurs regards se croisent. J’ai l’impression que le kalin entre dans son esprit et le pousse à engloutir le breuvage. Toujours est-il que, sans tarder, mon ami reprend ses esprits et se relève.
- Excuse-moi Harold, me dit-il, je ne sais pas ce qui m’a pris, mais j’étais retourné quelques siècles en arrière et n’arrivais plus à en revenir. Je suis désolé.
- Pas de problème, tu étais sans doute sous l’effet d’une des plantes que nous avons ingurgitées abondamment hier soir. En tout cas, ton petit numéro m’a bien fait rire et je ne suis pas le seul à l’avoir apprécié. Je remarque quand même que c’est un de nos guides qui t’a apporté l’antidote et cela me laisse pantois.
- En effet, ces kalins sont tout à fait prodigieux d’intelligence.
- Effectivement, ces temrihuts, puisque c’est ainsi qu’il faut les appeler, n’ont pas fini de nous étonner.
- Mais comment sais-tu qu’ils s’appellent ainsi ? me répond-il d’un air étonné.
- Simplement parce que le lieutenant Klibs d’Eilifuis m’en a informé !
- Cela veut dire que tu as enfin eu un contact ? Mais tu ne pouvais pas me le dire avant ? Alors où est-on et comment va-t-on sortir d’ici ?
- Ne t’emballe pas, oui, cette nuit, j’ai eu un contact, mais pour l’instant je n’en sais pas beaucoup plus et je dirais même que rien n’est clair puisque malheureusement Sour a disparu ainsi que son neveu Niesl.
Je lui fais un débrief complet de mon entretien télépathique et nous convenons que nous ne pouvons rien décider avant d’avoir le nouvel échange télépathique.
Pendant ce temps, les kalins se sont affairés pour nettoyer le site et aucune trace de notre passage ne subsiste dans la clairière au moment de notre départ. Je ne sais si cette remise en état est due à des considérations écologiques ou sécuritaires, mais j’apprécierais trouver la même attention chez nos campeurs. Nous reprenons donc notre chemin vers le nord et nous enfonçons de nouveau dans la forêt pourpre.
Bien que je ressente, comme à notre arrivée, l’impression d’être épié, mon esprit est totalement accaparé par l’attente d’un nouveau contact télépathique. C’est pourquoi je n’entends pas, tout de suite, les propos de Télémaque. Pour attirer mon attention, celui-ci me tape sur l’épaule :
- Harold, tu es avec moi ?
- Oh, oui pardon, je suis totalement concentré sur l’appel que j’attends.
- Ok, mais moi je te disais que je l’ai vraiment vue et que je l’ai même tenue dans mes bras !
- De qui me parles-tu mon ami ?
- De Polycaste bien sûr, me répond-t-il d’un air exalté, de qui veux-tu que je te parle d’autre. Je l’ai vraiment tenue dans mes bras et nous nous nous sommes embrassés. Nestor, son père, était là et il a béni notre amour. Cela s’est réellement passé, aussi vrai que toi et moi parachutés ici dans ce monde inconnu.
- Mais ce n’était qu’un rêve, probablement provoqué par l’un de ces fruits dont tu as abusé hier soir.
- - Non, cela ne peut pas être que cela ! C’était trop vrai, j’ai senti son parfum suave et nos lèvres se sont soudées dans un baiser exquis. Cela fait trois mille cinq cents ans que j’attends cela et c’est arrivé. C’est réel et il faut que je réussisse à y retourner !
Décidément, pensé-je cette aventure s’engage de bien curieuse façon !
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