2.6 L'incertitude.

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Le désespoir de Télémaque me touche profondément. Il s’était déjà livré à moi lors de notre premier voyage, mais cette fois, il me semble qu’il m’a ouvert le fond de son cœur, le fond de son âme. Ce n’est pas le jeune homme ivre de vivre et de jouir que j’ai en face de moi, mais bien un être blessé jusqu’au fond de lui-même, meurtri au long de nombreux siècles par un amour brisé.

Le soleil commence à dépasser la cime des arbres et nous avons déjà dû parcourir plus d’une dizaine de kilomètres lorsque je ressens le nouvel appel tant attendu. J’espère qu’il m’apportera quelques éclaircissements sur notre situation et les moyens de nous en extraire.

  • Harold, me recevez-vous ?
  • Je vous capte très bien, êtes-vous le lieutenant klibs ?
  • Effectivement, c’est bien moi, comment allez-vous ?
  • Cela va merci, mais cela ira mieux quand vous m’aurez dit où nous sommes et comment vous rejoindre.
  • Je comprends. Nous pensons que vous êtes bien dans le massif forestier de Hutméra et que vous avez été pris en charge par une horde de temrihuts. Je ne peux malheureusement pas vous dire où vous vous trouvez précisément car cette forêt est gigantesque. Quoi qu’il en soit, elle est située dans l’état de Negrmalam qui est bien au sud de Bçome. Pour en sortir, il vous faut donc, autant que possible, faire marche vers le nord.
  • Il me semble que c’est effectivement la direction qu’ont prise les temrihuts, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. Mais que savez vous de ces animaux, peut-on leur faire confiance ?
  • Je n’en ai jamais rencontré, et rares sont les personnes qui en ont vus. Cependant les récits de ceux qui les ont croisés sont tous très positifs. Ils ont la réputation d’être extrêmement intelligents et serviables. Plusieurs témoignages convergent en ce sens, ils ont déjà sauvé plusieurs humains perdus dans leur forêt. Vous pouvez donc leur faire totalement confiance.

Cette information a pour effet de me rassurer. Mais je ne sais toujours pas quand nous pourrons enfin nous échapper de cette prison végétale. Je constate alors qu’avec moi, c’est toute notre petite troupe qui s’est immobilisée et me regarde de façon inquiète. Mais, sans attendre, je dois reprendre l’entretien.

  • Super, cette information conforte nos sentiments vis-à-vis de nos petits amis. Ils sont vraiment incroyables. Mais n’avez-vous vraiment aucune idée du chemin qu’il nous reste à parcourir pour sortir d’ici et vous rejoindre.
  • Malheureusement non, nous n’avons pas moyen de vous localiser. Il vous faut donc continuer à avancer vers le nord et vous y arriverez. Je pense que cela ne devrait plus être trop long, mais ne veux pas vous donner de faux espoirs.
  • Je comprends. Nous serons donc patients. Mais, une fois que nous aurons émergé de ces bois, comment pourrons-nous vous rejoindre ?
  • Il vous faudra, aussi rapidement que possible, continuer votre progression vers le nord jusqu’à la frontière avec Bçome. Je vous attendrai là-bas.
  • Ne pourrez vous pas venir nous chercher à l’orée du massif ?
  • Non, ce ne nous est pas possible. Je ne peux pas vous en expliquer maintenant la raison, mais vous comprendrez lorsque nous nous retrouverons. Il faut impérativement que vous vous débrouillez seuls, d’autant que les temrihuts ne s’aventureront pas à découvert.

Je suis quand même surpris que personne ne puisse venir à notre rencontre, probablement y a-t-il de bonnes raisons à cela, mais j’aurais quand même préféré avoir un accompagnateur dans cette contrée inconnue. Comme nous n’avons pas le choix, il me faut être optimiste, ce que je confirme à mon interlocuteur :

  • Bon soit, nous nous débrouillerons pour vous rejoindre. Je vous propose cependant de garder un contact régulier. Je vous invite à nous recontacter tous les jours en fin de matinée et en fin d’après-midi. Je vous laisse l’initiative de l’appel.
  • C’est parfait, faisons comme cela. Je vous souhaite donc une belle progression et d’arriver rapidement en zone dégagée. Mais j’allais oublier, et c’est très important : Une fois que vous serez sortis de la forêt, restez bien éloignés des villes. Ne vous en approchez sous aucun prétexte, contournez-les dès que vous en apercevez. Je vous expliquerai cela aussi.
  • Ok, je suivrai vos consignes. A tout à l’heure donc en fin d’après-midi.

Assurément, ce périple se présente sous d’étranges auspices. J’ai l’impression que le lieutenant craint cette région et que même en parler l’effraie. J’avoue que cette idée ne me rassure pas du tout. Et pourquoi faut-il à tout prix éviter les villes de cet état ? je sens mon pouls s’accélérer et l’angoisse me saisir. Heureusement Télémaque intervient et me sors de cet engrenage vicieux :

  • Bon alors, nous allons restés plantés là, ou môsieur veut bien continuer et m’expliquer ce qu’il a reçu comme informations ?
  • Oui, bien sûr, excuse-moi, reprenons notre avancée, je t’expliquerai en marchant, dis-je en me remettant en route.

Notre troupe s’ébranle alors, gardant le cap au nord, ce qui me rassure. En quelques mots, je synthétise l’entretien avec le lieutenant Klibs, sans cependant évoquer mes doutes. Mais Télémaque n’a pas besoin de mes mots pour percevoir mon état psychologique, aussi essaie-t-il de me distraire :

  • Donc, nous sommes sur la bonne voie, et cela c’est super. Cette forêt n’est pas infinie et nous en sortirons donc un jour. Nos câlins sont aimables et tendres, alors que demander de mieux ? C’est parfait, nous avons la belle vie !

Et aussitôt il enchaine en chantant sur un pas de danse :

  • Ô la belle vie, sans amour, sans soucis, sans problème.
    Hum la belle vie !
    On est seul, On est libre et l'on s'aime.
    On s'amuse à passer avec tous ses copains des nuits blanches
    Qui se penchent sur les petits matins[1].

Une fois de plus, nos amis câlins semblent s’esclaffer en l’observant déambuler dans la forêt et lorsqu’il se tait, ils agitent les bras pour créer un tintamarre joyeux faisant penser à une demande de bis.

Fier de son succès, mon compagnon salue de tout son buste, aussitôt imité par notre escorte. Ce divertissement a un effet immédiat sur mon moral et je me sens regonflé, prêt à affronter encore de nombreuses heures de marche pour retrouver le lieutenant.


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[1] Extrait de La Belle Vie – Sacha Distel https://www.youtube.com/watch?v=GjXp0ougB2A

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