2.9 L’adieu aux kalins.
Il nous faut encore une bonne heure avant d’arrivée aux confins du massif forestier.
Plus la futaie s’éclaircit, plus je sens la nervosité envahir nos petits amis. Alors que jusque là leur démarche était régulière, elle est maintenant très erratique, je les sens à l’affut du moindre bruissement des feuilles, de la moindre ombre mouvante et du moindre filet d’air porteur de la moindre fragrance. Le chef de la tribu n’est plus le seul à s’exprimer et tout autour de nous, des petits chuintements se font entendre.
Arrivé à une bonne centaine de mètres de l’orée, la troupe s’immobilise en silence. Les kalins se positionnent alors autour de nous en formant une galerie orientée vers le nord. Le leader de la troupe se positionne face à nous et nous tend un sac cousu dans de grandes feuilles contenant de nombreux fruits et légumes. Puis, il nous fait clairement signe de continuer notre route. En même temps, de façon à la fois tendre et comique, l’ensemble de la meute agite les mains en signe d’au revoir.
- Eh bien, je pense que nous allons devoir laisser nos compères ici, déclare Télémaque un soupçon de tristesse dans la voix.
- Effectivement, cela me semble évident. Les temrihuts sont un peuple de la forêt et ils ne semblent pas souhaiter en sortir, ce que je peux comprendre. Il va donc falloir leur faire nos adieux ici et continuer seuls.
Afin de mieux encore les encrer dans nos souvenirs, nous prenons le temps de les admirer une dernière fois un à un, en commençant par notre guide. Puis nous nous mettons en marche au milieu de cette double haie pleine de vie et d’intelligence qui murmure un chant d’adieu profond. Soumis au regard attentionné de chacun de nos compagnons de route, je sens mon cœur battre de plus en plus fort et les larmes perler furtivement.
Télémaque, sans doute plus habitué aux séparations, se montre plus stoïque et offre en retour un sourire éclatant. Arrivé à l’extrémité de l’allée, il se retourne et lance sa ritournelle :
- Faut-il nous quitter sans espoir, Sans espoir de retour ?
Faut-il nous quitter sans espoir de nous revoir un jour ?
Ce n'est qu'un au-revoir, mes frères,
Ce n'est qu'un au-revoir !
Oui, nous nous reverrons, mes frères,
Ce n'est qu'un au-revoir !
Et sans attendre davantage, probablement pour cacher son émotion, il pivote et court vers la large plaine qui s’offre à nous.
Pour ma part je prends le temps d’apprécier ce dernier moment sensible partagé avec nos sauveteurs et rejoins mon compagnon en me retournant souvent pour observer la troupe qui ne bouge pas jusqu’à ce que je sorte de la forêt, mais s’ébranle alors aussitôt pour entamer son retour sur ses terres.
Le paysage qui s’offre alors à nous n’est pas des plus engageants. Nous sommes en bordure d’une steppe aride brulée par le soleil. Seuls, de loin en loin, quelques rares bosquets ou arbustes rachitiques émergent de ce sol. Aucun sentier ne semble sillonner cet espace sévère et nous ne pouvons que remercier les kalins de nous avoir dotés de vivres.
Faisant suite aux recommandations du Lieutenant Klins, nous décidons de continuer à marcher vers le nord. Au loin, légèrement sur notre gauche, une colonne noire s’élève, mais à ce stade il ne nous est pas possible d’en déterminer la cause.
Notre progression est lente car, faute de chemin, nous marchons silencieusement sur un sol de cailloux informes mais parfois tranchants comme des rasoirs. Déjà nous regrettons la compagnie joyeuse des kalins. L’humeur de Télémaque s’en ressent et je le sens soucieux.
- Courage mon ami, l’encouragé-je. Nous allons bientôt trouver un chemin et notre avancée sera plus facile.
- Il serait grand temps car j’en ai plein les jambes de ce terrain qui ne ressemble à rien. En plus, il n’y a rien à voir et encore moins à boire ou manger. Quel pays de misère !
Nous approchant de la nuée sombre, nous constatons qu’elle vient d’un petit campement autour duquel nous pouvons apercevoir quelques personnes s’afférer. Nous pensons que s’il y a village, il y a probablement route ou au moins sentier. Et comme il ne s’agit visiblement pas d’une ville, nous décidons de nous y rendre.
Arrivés à proximité des premières huttes, nous sommes malheureusement dans l’obligation de constater que Télémaque avait totalement raison en qualifiant cette zone de pays de misère…
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