3.1    Le campement de la fin du monde

4 minutes de lecture

Dans ce campement, le dénuement est total. Une vingtaine de huttes en branchages le constituent et le sol est balayé par le vent qui semble transporter des débris animaux ; poils, peau, morceaux d’os mai aussi des lambeaux de chair brune. Une odeur d’équarrissage sature l’atmosphère la rendant pratiquement irrespirable.

Dans cette atmosphère lugubre, nous ne voyons que des femmes, ou pourrions-nous dire, des spectres féminins. La dizaine de personnes que nous observons est décharnée, leurs traits sont tirés et leurs teins tournent au gris. Au moment où nous arrivons au niveau de la première masure, une femme en sort. Mieux nourrie et lavée, elle pourrait sûrement encore paraître jeune. Mais en l’état on lui attribuerait plutôt une cinquantaine d’années. Surprise de nous voir, elle cesse son avancée, mais ne semble, de toute façon pas en capacité d’aller bien loin.

Sur sa hanche, soutenue par un torchon miteux, un bébé bouge lentement et c’est lui qui capte toutes nos attentions.

Âgé d’environ 8 mois, il a tête est en forme de poire inversée, celle-ci s’élargit sensiblement du bas vers le haut, sa fontanelle est largement bombée et son regard tombe vers le sol. Sa respiration laisse entendre des difficultés respiratoires importantes.

  • Hydrocéphalie, diagnostique Télémaque, le malheureux n’en a plus que pour quelques jours ou au mieux quelques semaines.
  • C’est horrible, je n’avais jamais vu des déformations pareilles sur un bébé, lui réponds-je. Pauvre enfant et pauvre femme !
  • La maman n’est pas mieux, regarde les ulcères qu’elle porte autour de la bouche, sur les mains et les pieds. Ses yeux sont aussi atteints et des tics violents animent horriblement son visage. À mon avis, elle est atteinte d’une forme avancée de syphilis. Sans traitement rapide, elle non plus n’a pas beaucoup d’avenir.

Ne connaissant pas le niveau de contagiosité de cette maladie, nous restons à l’écart et poursuivons notre avancée dans le camp. Nous croisons ainsi une douzaine de femmes, moins atteinte que la première mais néanmoins mal en point pour la plupart d’entre elles. Quelques rares enfants s’accrochent à leurs guenilles, les yeux bordés de pus et leurs têtes chauves couvertes de croutes purulentes. Plus nous avançons plus l’odeur pestilentielle nous accable

Désirant fuir ce spectacle, les remugles et la chaleur nous sommes tentés de nous éloigner rapidement, d’autant que nous apercevons un chemin qui sort de ce cantonnement sinistre. Mais une femme à l’allure digne, habillée d’une longue tunique noire et au port altier nous interpelle.

  • Bonjour Messieurs, soyez les bienvenus. Nous n’avons pas l’habitude de voir passer des étrangers par ici. Aussi ne vous offusquez pas de l’accueil.
  • Bonjour Madame, lui réponds-je. Je vous remercie mais nous ne faisons que passer, nous venons de sortir de la forêt rouge et remontons vers le Nord et Bçome où nous sommes attendus, aussi nous ne vous dérangerons pas plus longtemps.
  • Je comprends que vous soyez choqués par ce que vous voyez et sentez autour de vous mais je vous prie de bien vouloir écouter mes explications concernant ce sinistre lieu. Je suis sûr que vous changerez la vision que vous avez de nous. Vous entendrez parler de nous tout au long de votre périple, mais uniquement en termes négatifs et j’aimerais tant que votre passage soit l’occasion de corriger, ne serait-ce qu’un peu ces clichés rébarbatifs. Alors accordez moi juste quelques minutes.

Je suis tout à fait ébranlé par ce discours auquel je ne m’attendais pas. J’ai l’impression que nous avons tout intérêt à quitter ce village dans les meilleurs délais, mais au fond de moi quelque chose me dit qu’il faut que j’écoute cette femme et qu’elle me permettra de mieux comprendre cet étrange pays. Je fais part de mon sentiment à Télémaque qui semble penser comme moi. Aussi décidons nous d’oublier la répugnance qui nous taraude et de répondre favorablement à la requête de cette maitresse femme.

  • Si notre passage peut vous aider, alors nous sommes disposés à vous écouter, lui dis-je. Mais nous n’avons que peu de temps car nous sommes attendus et sommes déjà en retard.
  • Oh merci beaucoup, vous ne le regretterez pas, nous répondit-elle. Suivez-moi, ma demeure est un peu à l’écart du campement, nous y serons plus à l’aise. Cependant, je vous demanderais de ne pas réagir à ce que vous pourriez voir, entendre ou inhaler sur ce court trajet. Surtout restez silencieux, je vous éclairerai sur tout dès que nous serons arrivés. Je peux cependant vous garantir qu’il ne vous arrivera rien.

La dame en noir se met en route et nous lui emboitons le pas en nous dirigeant vers l’ouest, justement là où démarre une route.

Notre cheminement nous amène à proximité d’un bâtiment sans forme ni couleur surmonté d’une haute cheminée d’où s’échappe la nuée noire que nous avions aperçue de loin. L’odeur devient franchement insupportable d’autant que le vent rabat sur nous cette pestilence. Nous découvrons alors un autre édifice plus petit, distant du premier d’une vingtaine de mètres. Quatre femmes squelettiques sortent de cette construction en poussant un large chariot vers l’autre bâtiment.

Cette scène alimente notre angoisse, mais alors qu’elles ont fait plus de la moitié du chemin, un puissant coup de vent les prend de travers et soulève le drap qui recouvre la plateforme.

Avant que le tissu retombe, nous avons le temps d’apercevoir plusieurs corps nus, dont l’un tourne vers nous une tête énuclée, avec des trous béants en place du nez et des oreilles.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Paul Koipa ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0