3.4    Les préparatifs de l’évasion.

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À cet instant tout s’accélère. Alors que je regarde Télémaque qui referme le compartiment, la solution m’apparaît telle une évidence. Mais je suis interrompu dans ma réflexion par une femme qui court vers nous :

  • Maitresse, un messager arrive, crie-t-elle dès qu’elle est à portée de voix.
  • Vite, suivez-moi, nous commande la dame en noire en s’engouffrant dans une pièce adjacente où nous la rejoignons. Restez ici et ne vous montrez surtout pas. Je viendrai vous chercher dès que l’émissaire sera reparti. Ce ne sera pas long.

Aussitôt elle ferme la porte derrière nous et nous l’entendons s’éloigner d’un pas rapide.

La pièce où nous nous trouvons ressemble à une salle d’opération chirurgicale. Un plateau médical éclairé de part et d’autre en occupe le centre et des armoires vitrées longent les murs sur trois côtés. Nous en approchant, nous constatons que ce sont des chambres froides abritant des bocaux contenant des viscères et des organes prélevés sur les corps. À cette vue, le froid de ces collections nous pénètre jusqu’au plus profond de nos entrailles.

  • J’ai l’impression qu’on nous garde à l’œil, lance Télémaque en voulant dégeler l’atmosphère.
  • Oui, à vue de nez, les murs ont des oreilles, lui réponds je sur le même ton.
  • On pourrait peut-être essayer de leur tirer les vers du nez pour savoir comment partir d’ici, renchérit mon compagnon.
  • Tu as raison, entre quatre yeux ce sera plus facile. Mais il ne faudrait pas qu’ils fourrent leurs nez partout et que cela leur mette la puce à l’oreille.
  • T’inquiète, tes recommandations ne sont pas tombées dans l’oreille d’un sourd et tu le sais, je n’ai pas froid aux yeux.

Et sur cette dernière phrase, sans doute sous l’effet de la tension, nous éclatons de rire tous les deux.

  • Chut, calmons-nous, sinon nous finirons par nous faire repérer, conseillé je.
  • Tu as raison, mais je commence à avoir faim moi et comme dit le proverbe ; ventre affamé n’a pas d’oreilles ! ne peut s’empêcher de compléter mon incorrigible ami.
  • Ah, non, je t’en prie, ne recommence pas !

En attendant le retour de notre hôtesse, nous inspectons les différents meubles et y découvrons une multitude d’instruments médicaux et de pansements et compresses en tout genre.

Je suis rapidement interrompu par l’appel du lieutenant Klibs.

  • Harold, êtes-vous là ?
  • Oui, rebonjour Lieutenant, je vous écoute.
  • Nous pensons savoir à peu près où vous êtes !

Cette première information me réconforte immédiatement.

  • Nous avons retrouvé une rumeur selon laquelle un village fantôme existerait à la lisière de la forêt pourpre. Personne ne semble savoir de quoi précisément il s’agit, mais un lourd mystère paraît planer au-dessus de ce lieu qui a la réputation de ne jamais laisser repartir ceux qui s’y aventureraient. Son emplacement exact n’est pas connu mais selon la légende, il se situerait à environ une semaine de marche de Taüsegna vers le sud sud-ouest.
  • Cela correspond aux informations que nous avons. J’entrevois une solution qui nous permettrait de quitter cet endroit maudit, mais il faudrait que nous puissions nous retrouver avant d’arriver en ville.
  • C’est bien cela. Cette région est quasiment désertique et très peu fréquentée. Nous allons rapidement envisager une solution pour vous récupérer de façon discrète. Je vois cela et je vous rappelle.
  • Ok, merci pour tout et à tout à l’heure.

Après un rapide débrief de nos échanges, je demande à Télémaque de nous trouver des bandes de sparadrap adhésif et deux scalpels.

  • Mais que veux-tu faire avec cela ? me demande-t-il. Tu veux te transformer en chirurgien ?
  • Du tout, ces éléments vont simplement nous permettre de partir d’ici.
  • Tu veux nous scotcher à un container ?
  • Et non, nous allons voyager bien plus confortablement ! As-tu vu, la porte du compartiment se ferme grâce à une poignée amovible. Ce qui fait qu’une fois la trappe fermée, la crémone est retirée et on ne peut dire si celle-ci est cadenassée ou non. Il nous suffira donc de pénétrer dans la cabine, de la fermer sans la boucler et de demander à la dame en noir d’en retirer la poignée. Le tout étant de faire en sorte que la porte ne risque pas de s’ouvrir en route.
  • Ok, mais comment faire pour qu’elle ne se déverrouille pas de façon intempestive et comment allons-nous en sortir ?
  • Simplement, en collant la porte avec des bandes adhésives et en la poussant avec suffisamment de force pour la détacher !
  • Vu comme cela, ton idée parait séduisante, mais comment saurons-nous à quel moment sortir de ce carrosse, et où aller après ?
  • C’est ce qu’il faut que nous déterminions et rapidement car, si le messager est ici, cela signifie que la caravane sera là cette nuit. Et nous ne pourrons pas attendre la rotation suivante !

À cet instant la porte s’ouvre devant la dame en noir. Revoir sa haute silhouette me fascine et mes pensées dérivent loin d’ici. Mais sa voix me rappelle à la réalité.

  • Le convoi arrive ce soir. Avez-vous pu trouver une solution ? nous demande-t-elle inquiète.
  • Sur le principe, je pense que nous avons avancé. Maintenant, pour nous, le tout n’est pas de quitter ce lieu, mais bien d’arriver dans un endroit sécurisé. Voici donc comment nous pourrions procéder.

Je lui explique mon plan et immédiatement elle consent à nous aider pour fermer le compartiment de l’extérieur, mais surtout pour nous fournir les vivres nécessaires à notre survie le temps du voyage. À peine évoquons nous ce sujet que je ressens un nouvel appel du Lieutenant Klips.

  • Harold, je vous confirme ce que je vous disais tout à l’heure au sujet du village. Nous l’avons localisé un peu plus précisément et nous pensons connaitre l’itinéraire de la caravane.
  • Parfait, voici comment nous pensons procéder pour quitter les lieux avec elle, réponds-je avant de détailler ma stratégie.
  • C’est effectivement une excellente idée, me rétorque-t-il. À deux jours de route du hameau se situe une zone très accidentée, le convoi va forcément devoir s’y arrêter pour la nuit et c’est donc là que vous devrez vous enfuir. Nous vous récupérerons aussitôt.

L’échange se poursuit au sujet des modalités pratiques de l’évasion et de la rencontre puis nous convenons que celle-ci aura donc lieu un peu plus de quarante-huit heures plus tard. Nous convenons que je serai à l’origine du prochain appel, mais que celui-ci ne pourra probablement avoir lieu tant que nous ne serons pas sortis. Et donc que nos amis ne doivent pas s’inquiéter s’ils n'ont pas de nos nouvelles dans les prochaines heures.

Pendant ce temps, notre hôtesse s’est empressée d’aller collecter le nécessaire pour notre survie dans le compartiment durant cet extravagant voyage. Elle revient vers nous en portant un lourd cabas.

  • Tenez, nous dit-elle. Voici des vivres et des gourdes d’eau pour trois jours, j’espère que cela suffira.
  • Ne vous inquiétez pas, lui réponds-je, cela conviendra très bien, merci beaucoup. Mais, j’espère que cette nourriture ne va pas vous manquer.
  • Elle va nous faire défaut, car comme je vous l’ai dit, elle nous est comptée. Mais si c’est pour vous aider à fuir ce lieu et, ensuite, à nous en faire sortir, nous acceptons volontiers ce sacrifice.
  • Vous pouvez compter sur nous, nous ne vous oublierons pas ! conclus-je.
  • Le transport devrait arriver d’ici trois à quatre heures, reprend la dame en noir. Cela vous laisse le temps de préparer le montage pour la porte et quand vous jugerez que tout est prêt, vous pourrez vous installer dans la cabine et je la fermerai derrière vous.

Nous nous mettons aussitôt à l’ouvrage pour disposer les bandes adhésives sur la porte, et aménager la cabine en vue des nombreuses heures que nous aurons à y passer. Nos premiers essais ne sont pas très concluants, dans un premier temps, nous ne mettons pas assez de bandes adhésives et sous ma pression le porte s’ouvre trop facilement et je me retrouve par terre, tête la première. Lors d’un autre essai, où nous forçons la dose, il s’en faut de peu pour que Télémaque reste coincé à l’intérieur. D’autres tentatives laissent dépasser des fibres qui dénoncent la supercherie. Mais à force d’efforts, nous obtenons une configuration qui nous semble idéale.

La dame en noire revient justement à cet instant.

  • Bravo, vous avez fait du bon travail, juge-t-elle. Vu de l’extérieur, rien ne devrait être détectable. J’espère juste que vous tiendrez le coup assez longuement là-dedans.
  • Cela devrait aller, lui confirmé-je. Une quarantaine d’heures, ce n’est pas la mer à boire.
  • Ne tardons plus, le convoi ne devrait plus tarder. Surtout, il ne faut pas que les gardes vous entendent donc parlez doucement durant ces longues heures. De plus, il ne faut pas qu’à l’arrivée à Taüsegna, quiconque soit en mesure de deviner ce qui s’est passé durant le voyage. Sinon, l’enquête remontera forcément jusqu’à nous. Ne laissez donc aucune trace dans la cabine ni sur la porte et refermez-la correctement. Voici d’ailleurs une poignée de rechange qui vous servira à cet effet.

Je ressens à l'écouter une émotion certaine dans sa voix. Sans doute est-ce dû à la perspective de pouvoir enfin trouver un moyen de faire cesser ce scandale, mais il me semble qu'elle exprime aussi quelque chose de plus personnel, son regard me semble confirmer cette impression. j'en suis troublé.

  • Merci beaucoup, et n’ayez crainte, lui confirmé-je. Notre présence passera inaperçue, nous emmènerons tous les indices de notre passage avec nous. Mais allons y. Encore merci pour votre aide, Madame et nous vous promettons de tout faire pour vous permettre de quitter ce lieu infame. Comptez sur nous, nous nous reverrons.
  • Oui, vous pouvez nous faire confiance, renchérit Télémaque.

Je laisse Télémaque entrer le premier dans notre superbe palace ambulant. Au moment où je tourne vers elle pour lui faire mes adieux, Seercapah dépose un fugace baiser sur ma joue. Mon compagnon n’a rien vu, mais j’ai l’impression d’avoir la joue en feu et le cœur en perdition.

  • Alors, au revoir mes amis, si je puis vous appeler ainsi, faites un bon voyage et retrouvez vos compères eilifuisiens dans les meilleures conditions, conclut-elle avant de refermer la porte et de nous cloitrer dans cet espace sombre et étroit.

Je dois bien avouer que malgré le bisou de la dame en noire, je n’en mène pas large.

  • Il n’y a plus qu’à espérer que nous ne nous sommes pas trompés en mettant notre confiance dans la cheffe de ce village, déclare alors Télémaque afin de faire remonter notre moral.
  • Nous le saurons vite, lui réponds-je. Mais je suis persuadé que nous avons fait le bon choix !

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