3.6    Patience récompensée

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Notre position est des plus inconfortables, nous avons juste la place pour nous asseoir de façon à ne pas être visibles depuis la route. La roche qui semblait rigide est en fait extrêmement cassable. Elle se brise au moindre choc en produisant des lames tranchantes sur lesquelles nous pourrions nous blesser, aussi sommes nous particulièrement prudents dans nos mouvements. De plus, les rayons des deux lunes allument dans la roche cristalline des milliers de petits lampions qui nous incitent à garder les yeux à moitié fermés.

Enfin, la nuit s’écoule et les premières lueurs du soleil viennent rosir l’horizon derrière nous. De premiers mouvements apparaissent dans la caravane. Un à un les hommes se redressent et se mettent au travail. Le convoi semble prêt à partir mais les membres de l’escouade se regroupent pour un dernier café.

C’est le moment que Télémaque choisit pour se mettre à bouger. Mais à peine s’est il éloigné que je l’entends jurer violemment :

  • σφυράδων ἀποκνίσματα (Raclures de crottes de bique), qu’est ce qui m’a foutu un merdier pareil, je me suis blessé.

Et effectivement, son bras saigne abondamment. Je ne peux évidemment pas le laisser dans cet état. Mais son cri n’a pas échappé à nos anciens geôliers. Je les vois se retourner vers nous et fouiller du regard les concrétions dans lesquelles nous nous sommes réfugiés. Ils s’agitent dans tous les sens jusqu’à ce que celui qui était affalé à la sortie de notre compartiment semble monopoliser l’attention. Nous entendons les échanges mais sommes trop loin pour les comprendre. Sur ce qui parait être l’injonction de leur chef, trois d’entre eux se dirigent vers le wagon. Ils en font le tour et se décident à l’ouvrir et à l’inspecter. Ils en ressortent rapidement et inspecte de nouveau les alentours. Heureusement, le léger vent de la nuit a suffi à faire disparaître nos traces.

Voyant leur recherche vaine, le chef donne alors le signal du départ et un à un les véhicules s’ébranlent en direction du nord. Dix minutes plus tard, le convoi a totalement disparu et un silence pesant s’abat sur la zone.

Nous pouvons nous extraire de notre cachette et regagner la route. Heureusement, la blessure de Télémaque est superficielle et l’hémorragie est contenue.

Nous sentant libre et en sécurité relative, j’en profite pour essayer de recontacter le lieutenant Klips. Cette fois, je réussis à établir rapidement la liaison.

  • Bonjour Lieutenant, nous ne tenions plus dans notre carrosse, aussi avons-nous décidé de fausser compagnie au convoi, celui-ci vient de s’éloigner et nous sommes libres.
  • Bonjour Harold, voilà une excellente nouvelle. Mais maintenant il va falloir que nous vous récupérions. Savez vous où vous vous trouvez ?

Ne pouvant répondre à cette question de façon précise, je fais une description la plus exhaustive possible du paysage qui nous entoure et lui détaille les conditions de notre évasion. Lorsque j’ai fini, le lieutenant réagit :

  • Vous devez vous trouver dans le massif de Bilaapi. Il n’est pas très étendu, mais je ne pense quand même pas que vous pourriez le traverser à pied. La route qui le dessert est étroite et peu carrossable. De plus, il y a peu d’endroit ou une caravane telle que vous me l’avez décrite puisse s’arrêter.
  • Il faudra donc que vous veniez nous chercher, lui réponds-je.
  • C’est cela. Vous allez encore devoir être patient un moment car nous ne sommes pas à proximité et de plus, il ne faudrait pas que quelqu’un nous repère. Mais je pense que d’ici ce soir, nous vous aurons rejoints. J’espère que vous avez de quoi tenir encore quelques heures.
  • Très bien, nous vous attendons et rassurez-vous, la dame en noir nous a procuré de quoi tenir trois jours. Donc pas d’inquiétude, le rassuré-je avec une note de nostalgie dans la voix à la pensée de Seercapah.
  • Parfait, je vous rappelle dès que je peux vous donner plus de précisions sur notre arrivée.
  • Merci, à tout à l’heure.

Je rapporte à Télémaque les termes de mon entretien. Il est visiblement soulagé à la perspective de l'achèvement de cette expédition. Commence alors une nouvelle période d’attente stérile. Le soleil montant vers le zénith, la température augmente rapidement et il nous faut nous trouver un abri. Heureusement, nous repérons rapidement une grotte assez spacieuse sur la partie nord de l’esplanade.

Dans ce désert minéral, nous ne voyons aucun signe de vie, ni d’ailleurs aucune source d’eau. Nous nous enfonçons donc dans la cavité dont le sol est étonnamment plat et, fatigués par notre séjour dans le container et la nuit inconfortable au milieu des roches saillantes, nous ne tardons pas à nous assoupir.

Nous sommes réveillés par le vacarme d’un véhicule qui s’approche sur la route. Celle-ci étant sinueuse, nous ne le voyons pas tout de suite, ne sachant pas quelle est sa nature, nous décidons de rester cachés dans notre grotte.

Notre stratégie semble être la bonne puisque nous voyons débouler un véhicule portant sur ses flancs l’œil écarlate qui figurait à l’intérieur de la cabine. Le véhicule s’arrête brutalement soulevant un nuage de poussière et trois hommes en uniforme en sortent. Nous remarquons tout de suite que le plus grand d'entre eux semble engoncé dans son uniforme, visiblement trop petit pour lui. Nous pensons immédiatement qu’il s’agit d’hommes de la même unité que ceux à qui nous avons faussé compagnie et que ceux-ci sont à notre recherche. Nous convenons de nous enfoncer davantage dans la cavité.

Mais à l’instant où nous allons bouger, je ressens un appel :

  • Harold, je pense que nous venons d’arriver à notre point de ralliement. Etes-vous bien là, me demande le lieutenant Klibs.
  • Probablement lieutenant, je suis heureux de vous entendre, mais pouvez vous me confirmer que vous disposez d’une voiture officielle et me dire avec qui vous êtes ?
  • Bien sûr, nous disposons effectivement d’un véhicule de la milice et nous sommes trois en costume de service. Nous voyez-vous ?
  • Bonjour Messieurs, je suis très heureux de vous voir, lui réponds-je à haute voix en sortant de notre tanière.
  • Et moi aussi, nous vous attendions avec impatience car ce bled n’est pas des plus sympathiques, confirme Télémaque en sortant à son tour.
  • Excusez-nous de vous avoir fait attendre, répond l'eilifuisien, mais nous avons dû résoudre quelques petits problèmes de logistique. Mais avant de vous raconter cela par le menu, laissez-moi vous présenter mes compagnons.

L’homme à sa droite, celui à l'uniforme trop étroit, s’avance alors, il retire la casquette et malgré son jeune âge évident, découvre une chevelure très claire presque blanche. Je n’ai aucun doute, lui aussi est eilifuisien. Son nez droit et fin, encadré par de hautes pommettes, ses yeux en amande très effilés, sa peau diaphane et son expression d’une profonde sagesse, tout en lui me rappelle Sour. Je comprends rapidement pourquoi :

  • Bonjour Harold, bonjour Télémaque, dit-il. C’est un grand plaisir pour moi de vous retrouver ici, même si les circonstances ne sont pas très plaisantes.
  • Non, ce n’est pas possible ! m’exclamé-je. Serais-tu Lillálfur le fils de mon cher Sour ? Mais comme tu as grandi !
  • C’est bien moi et je suis heureux que vous me reconnaissiez. Et je suis aussi heureux que vous ayez entendu l’appel de mon père. Il me parlait beaucoup de vous avant de disparaître. il évoquait aussi souvent vos aventures Télémaque et les descriptions qu'il m'a faites de vous m'ont permis de vous identifier tout de suite même si je n'avais pas eu le plaisir de vous rencontrer chez nous.
  • Et bien, j'espère qu'il ne vous a pas donné une trop mauvaise image de moi, lui répond celui-ci.
  • Non rassurez-vous au contraire, il m'a dit que vous vous formiez un sacré duo ! Je suis donc sûr qu'avec votre aide, nous allons enfin réussir à le retrouver.

Je ne peux m'empêcher de le prendre dans mes bras, mais le troisième homme s’avance alors :

  • Bonjour Messieurs, je m’appelle Cintaï Oyakhan et je suis citoyen de ce pays et je lutte contre cette dictature qui nous opprime. J’espère que votre arrivée ici nous aidera à la mettre à terre.

Paraissant un peu moins d’une trentaine d’année, notre interlocuteur frappe par la maitrise de soi qu’il dégage. Ses yeux très expressifs dominent un nez droit et une mâchoire énergique, imberbe sa coiffure brune, légèrement ondulée, souligne une peau cuivrée. Associées à ce visage, ses proportions parfaites me font penser qu’il ne devrait pas laisser mon ami Télémaque insensible. Et effectivement celui-ci se rapproche de lui et lui tend la main.

- Salut, moi c’est Télémaque et j’accompagne Harold, dit-il d’un air détaché

Et à ma grande surprise il s’éloigne sans plus faire attention à ce nouveau venu.

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