3.10 Le désert vorace.
Après deux nouvelles heures de voyage, le paysage change brutalement. Nous quittons les étendues fertiles aux tons verts et jaune pour aborder un désert désespérémment gris. Un vent mauvais le balaie en permanence soulevant un sable revêche et piquant. Sous ses assauts, la route disparait peu à peu et je me demande comment nous pourrons continuer à avancer dans cette atmosphère hostile.
Je suis sur le point de m’en enquérir auprès de mes compagnons lorsque je vois Cintaï engager le véhicule sur une rampe qui monte rapidement d’une bonne dizaine de mètres. Nous dominons alors un océan de dunes mouvantes que nulle vie ne semble pouvoir défier.
- Avant la construction de cet ouvrage, nous explique Cintaï, il était impossible de traverser ce désert. Aucune route ne résistait aux conditions terribles que vous pouvez apprécier. Plusieurs convois s’y sont essayés, mais aucun n’a jamais réussi et nul survivant n’a pu raconter les épreuves endurées.
- Je comprends bien, lui réponds-je. Mais par quel miracle cet ouvrage a-t-il pu être construit dans ces conditions ?
- À l’époque, notre Etat était riche et prospère et la construction de cette liaison s’imposait pour permettre d’écouler nos denrées vers Bçome dans des délais raisonnables. Un grand concours a été lancé à cet effet et un groupe d’ingénieurs a proposé cet ouvrage. L’originalité du projet fut que à aucun moment les ouvriers n’ont eu à fouler le sol sur lequel il fut établi. Le dernier tronçon posé servait de base de vie pour la construction du suivant, les éléments étaient préparés en amont et prêts à être posés dans des forages réalisés depuis le pont.
- Cela a dû prendre un temps fou et personne n’y a laissé la vie ?
- Non, au contraire la construction a été très rapide car tout était prédisposé en amont et une fois les pieux plantés, il ne restait plus qu’à installer le l’ossature et le tablier. Malheureusement une dizaine d’ouvriers y ont quand même laissé la vie. Mais à chaque fois ces accidents ont eu pour origine des entorses aux consignes où des excès d’alcool.
- Le désert n’a donc jamais réussi à effacer cet ouvrage.
- Non, car si le vent soulève le sable du sol, il ne le lève pas suffisamment pour atteindre la chaussée.
- Voici donc un ouvrage extraordinaire, quelle est sa longueur ?
- Environ cent cinquante lieues, nous mettrons environ deux heures à le parcourir, conclut Cintaï.
Cela va maintenant faire deux jours que nous sommes en route et plus d’une semaine que nous sommes de retour dans les Etats. Cela me semble bien long quand je pense à mon ami Sour et à son neveu. A l’opposé, il me semble qu’il n’y a que quelques heures que j’ai quitté Seercapah, je sens sa présence bienveillante à mes côtés et petit à petit, j’acquiers la certitude que je vais pouvoir l’aider à sortir de son enfer.
Ne pouvant pas garder cela pour moi, je m’en ouvre à Télémaque qui me répond que lui aussi a été marqué par ce début de voyage et en particulier par sa rencontre avec sa très chère Polycaste. Lui aussi est persuadé qu’il retournera dans la forêt pourpre pour la retrouver.
Tout à fait en fin d’après-midi, alors que le soleil flirte avec l’horizon, les premières couleurs apparaissent sur les sables du désert. Sous l’effet des illuminations du couchant, celui-ci s’embrase de tons fauves et cuivrés et en l’animant, le vent lui donne une allure d’océan de feu et de sang.
C’est ce moment que Jon choisit pour arrêter le véhicule.
- Le désert s’arrête un peu plus loin, annonce-t-il, et nous allons bientôt croiser une route plus classique mais aussi beaucoup plus fréquentée. Nous ne pouvons aller jusque là avec cet engin de la milice, nous serions immédiatement repérés par les vrais policiers. Descendez et prenez toutes vos affaires.
- Parfait, lui réponds-je, mais que faisons-nous de la voiture ?
- Tu vas le voir sous peu, en tout cas, nous ne pouvons pas la laisser à la vue car même s’il y a très peu de passages ici, il suffirait d’un seul pour donner l’alarme.
Je vois alors nos trois nouveaux amis troquer leurs costumes officiels pour des tenues civiles qui leur donne l’air de bons bourgeois en voyage d’affaire.
Citaï remonte dans le véhicule et remet le contact. Il avance à faible vitesse alors que les deux autres s’activent à démonter une des glissières de sécurité qui borde la route. Aussitôt l’intervention achevée, Cintaï positionne l’engin devant la brèche et en sort prestement après avoir réenclenché la marche avant.
La voiture semble d’abord hésiter mais engage le mouvement jusqu’à ce que son avant ayant quitté le pont, elle bascule dans le vide. La chute est rapide et le sable l’absorbe en grande partie. Alors qu’elle continue à s’enfoncer le vent vient l’ensevelir sous une épaisse couche mouvante qui la fait disparaitre totalement. Nul ne pourrait dire qu’un engin de plusieurs centaines de kilos vient de disparaître à jamais dans cette immensité ondoyante.
- Ne nous attardons pas, nous avons encore une petite heure de marche, reprend Jon après que la barrière a été remise en place.
Cet ensevelissement m’impressionne et j’imagine avec terreur le sort des pauvres malheureux qui ont disparus dans ce maelström de poussière.
C’est peut-être ce qui explique que notre marche soit rapide et silencieuse jusqu’à ce que l’ouvrage redescende vers le sol alors que le sable s’efface pour laisser la place à une végétation beaucoup plus luxuriante. Après quelques centaines de mètres, nous apercevons les premières lueurs des caravanes sur la route dont Jon nous a parlé tout à l’heure.
- Il y a encore du trafic à cette heure, s’alarme Cintaï. Il va nous falloir attendre pour nous engager sur cette chaussée, les gens pourraient se poser des questions en nous voyant déboucher à pied du désert. Allons-nous planquer derrière ce bosquet en attendant.
- J’espère que cela ne va pas durer trop longtemps car je commence à avoir la dalle moi, ne peut s’empêcher de râler Télémaque.
- Non rassure toi, je pense que d’ici une bonne demi-heure nous devrions pouvoir y aller. De plus, nous trouverons de quoi nous rassasier sur le port.
Effectivement, quelques dizaines de minutes plus tard, nos amis nous font signe d’avancer et après avoir vérifié que le chemin était libre, nous rejoignons la route principale. Un foisonnement de lumières nous indique que la ville n’est pas loin et, toujours à bonne vitesse, bénéficiant de la lumière bienveillante des deux lunes, nous l’atteignons rapidement.
C’est en fait un gros village d’environ deux cents maisons, dominées par une étrange araignée métallique aux multiples pattes.
- Voila l’engin qui nous permettra de rejoindre Bçome, nous indique Jon. Mais vous verrez cela demain matin. Pour l’instant il nous faut trouver une auberge pour la nuit.
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