Agatha Petipois est têtue

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 Clarisa Petipois touillait avec ardeur dans son grand chaudron. L’élixir bloblotait paresseusement, produisant parfois un panache de fumée vert pomme. En tant que pharmasorcière, la maman d’Agatha produisait chaque jour de nouvelles potions afin de conserver un stock suffisant. Ce n’était pas les maux qui manquaient à Halloween. L’atmosphère humide et peu ensoleillée avait beau plaire à de nombreux monstres, elle n’était pas toujours indiquée pour les soucis de santé. La famille de Romain, par exemple, faisait souvent appel à ses services. Ils préféraient les températures chaudes, voire caniculaires. Les rares jours de soleil n’étaient pas sans souci non plus, bien au contraire ! Les vampires et zombies imprudents réclamaient alors quantité de baume contre les brûlures. Puis, comme partout, on se blessait, un accident avait lieu. En bref, Clarisa avait de quoi s’occuper !

 Après avoir gouté une petite gorgée de sa préparation, la pharmasorcière eut un haut-le-cœur. Il manquait clairement de son ingrédient le plus important. Elle attrapa le sucrier et en vida le contenu avant de mélanger le philtre. Une nouvelle gorgée plus tard, elle émietta deux bâtons de vanille. Le liquide avait cessé de produire ses grosses bulles. Manifestement satisfaite, Clarisa actionna son soufflet du pied puis cessa de touiller. Elle n’avait plus qu’à laisser mijoter et s’assurer que le foyer reste assez chaud.

 Elle se prépara une tasse de café bien méritée. Tandis qu’elle actionnait la machine d’un coup de baguette magique, son attention se reporta sur sa fille. Attablée, Agatha écrivait frénétiquement sur des feuilles de papier. Elle paraissait bien studieuse. Sa mère attrapa sa tasse, y versa deux sucres et se plaça discrètement dans son dos. Sans la gêner, elle regardait avec curiosité ce qu’elle écrivait. Mais quelque chose clochait.

 Elle avait accompagné sa fille mercredi à la bibliothèque d’Halloween. Elles s’y rendaient régulièrement toutes les deux, c’était leur petite sortie entre mère et fille. Cette fois-là, elle l’avait aidée à trouver de la documentation au sujet de son auteure préférée. Elles avaient même déniché des articles de presse de l’époque, une vraie aubaine.

 Les différents documents étaient d’ailleurs sur la table. Cependant, ils étaient mis en pile rangée sur le côté, comme si on n’y avait pas touché. Le panneau retraçant la vie d’Agatha Christie, que la jeune sorcière avait démarré mercredi, était aussi à l’écart. Il n’était pas terminé, loin de là, et Clarisa remarqua qu’il n’avait pas changé d’un pouce depuis la dernière fois. Elle se pencha donc pour mieux voir ce que sa fille écrivait avec tant de passion. Son ombre l’engloutissant fit sursauter Agatha.

 — Qu’est-ce que tu écris là ? Ce sont tes camarades ?

 — Oui ! répondit-elle. Figure-toi que je me suis lancée dans une nouvelle enquête !

 — Ah. Et tu as fini tes devoirs ?

 Agatha fit semblant de ne pas l’avoir entendue, aussi Clarisa poussa un long soupir. La dernière fois, c’était elle qui avait conseillé à sa fille de faire des fiches pour tout le monde, suspects, témoins, etc. Mais depuis son succès, elle était de plus en plus obnubilée par les enquêtes. Au point de négliger le reste.

 — Je te rappelle que tu as un exposé à préparer.

 — C’est pour vendredi ! Et puis les premières heures d’un kidnapping sont les plus importantes !

 — Un kidnapping ? Qui a été kidnappé ?

 — Oscar, la gerbille de la classe. En vérité, il a juste disparu, mais ça pourrait être un kidn…

 — Est-ce que tu as une seule bonne raison pour croire que votre animal aurait pu être enlevé ?

 — Bien sûr ! Déjà, on ne l’a pas retrouvé.

 — Mais tu me disais encore l’autre jour que ça arrivait souvent, non ?

 — Certes, mais M. Mate lui avait acheté une nouvelle cage. J’ai testé, je vois mal Oscar passer par les interstices.

 — Et la cage n’aurait pas pu rester ouverte ?

 De nouveau, un silence répondit à la question de la pharmasorcière. Elle décida de pousser la réflexion encore plus loin.

 — Tu penses vraiment que quelqu’un aurait pu vouloir le kidnapper ?

 — Pourquoi pas ? Peut-être que quelqu’un voulait le ramener chez lui ce week-end, ou bien…

 Elle s’interrompit. À vrai dire, elle ne soupçonnait pas seulement ses camarades de classe. Une unique personne avait des raisons d’en vouloir à la pauvre bête. Mr Choucroute, le concierge, pestait depuis un moment sur l’animal. Ne l’avait-elle pas croisé dans le couloir près de la classe avant de sortir en récréation ? Seulement, il s’agissait d’une accusation très grave : un adulte, un employé de l’école, commettre un rapt ? Sans preuve, elle ne pouvait se permettre d’en parler ouvertement à sa mère. Ce n’était encore qu’une hypothèse parmi d’autres. Heureusement, la fiche qu’elle avait dédiée au zombie était bien cachée dans son tas.

 — Quoi qu’il en soit, je veux bien que tu enquêtes, mais je veux d’abord que le travail pour l’école soit fait, jeune fille ! Alors range ça pour le moment et occupe-toi de la Reine du crime, ce n’est pas comme si le sujet ne t’intéressait pas.

 — Justement, maman, je crois que j’aimerais changer de sujet.

 — Pardon ?

 — Oui, je voulais résoudre l’affaire de la disparition d’Agatha Christie, mais c’est trop lointain, je n’y arriverai pas. Alors que la disparition d’Oscar…

 Clarisa ouvrit grand les yeux et s'en servit pour fusiller sa fille avec sévérité. Celle-ci crut qu’ils allaient lancer des éclairs mais l’adulte finit par souffler, lasse.

 — Tu es têtue, Agatha, mais ne sous-estime pas ta vieille mère. Fais comme ça te chante. Seulement, je te préviens, si tu as de mauvais points à ton exposé, tu auras affaire à moi. Et je suis très sérieuse !

 — Merci maman !

 Clarisa retourna à ses fourneaux pour vérifier l’état de son philtre. En réalité, elle était partagée. Elle pensait sincèrement que c’était une très mauvaise idée. La bestiole pouvait réapparaitre à tout moment et faire s’effondrer toutes les théories de sa fille. Et quand bien même le rongeur avait réellement été emporté, elle n’avait pas la garantie de la retrouver avant vendredi.

 Cependant, Agatha était intelligente et perspicace. Du haut de ses onze ans, elle avait l’étoffe d’une grande enquêtrice. Puis elle avait une solution de secours. Sa fille avait assez de jugeote pour reprendre son exposé sur la disparition de l’auteure si ses plans venaient à tomber à l’eau. Mais c’était aussi son travail de mère d’essayer de la ramener sur le droit chemin lorsqu’elle se laissait emporter par sa passion du crime.

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