Le lundi était un des jours préférés de Lisa. C’était le seul où ils étaient autorisés à rester à l’intérieur du bâtiment pendant la récréation de midi. Ils pouvaient alors s’adonner à des jeux de société. Pour elle qui était piégée dans son tableau, c’était un des rares moments où elle pouvait réellement jouer à l’école.

 Aujourd’hui, cependant, tous ses camarades n’avaient plus que la lettre du ravisseur d’Oscar à la bouche. Ils prenaient très au sérieux cette histoire et redoutaient les conséquences s’ils prévenaient M. Mate ou la directrice de l’école. Ainsi, s’ils étaient plus nombreux que d’habitude à s’être rendu dans la pièce du Lundi-loisir, il n’y avait en réalité personne de son âge pour partager une partie de quoi que ce soit avec elle.

 — C’est n’importe quoi ! s’insurgea Juliette dont les serpents sifflaient toute sa colère. Où est-ce qu’on va trouver deux kilos de bonbons pour ce taré !?

 — Si on s’y met tous, on devrait récolter assez, maugréa Jacky.

 — Je vais essayer d'en piquer un maximum chez moi, mais je ne garantis rien, soupira Béatrice.

 — Pareil, enchaina Romain, l’air résolu.

 — Attendez, on va pas se laisser faire ! s’écria la gorgone, furieuse. Agatha, t’as pas une idée de qui ça pourrait être ?

 Les regards se tournèrent vers la petite sorcière. En pleine réflexion, elle relisait la lettre pour la énième fois. Romulus lui donna un petit coup de coude pour la ramener avec eux. Lorsqu’elle releva la tête, elle avait une expression très grave sur le visage.

 — On a affaire à quelqu’un qui a réellement de mauvaises intentions, cette fois-ci. C’est plus sérieux que ce que j’avais imaginé. Est-ce que vous avez tous le mot ?

 La plupart de ses camarades acquiescèrent mais Moly et Loïc affichèrent une mine gênée. Ils expliquèrent qu’ils l’avaient déjà jeté à la poubelle. Agatha demanda aux autres de bien vouloir écrire leur prénom sur le leur puis les récupéra tous.

 — Qu’est-ce que tu comptes faire avec ? demanda Jonah de sa grosse voix, sceptique.

 — Ces mots ont été écrits à la main. Sur le mien, j’ai repéré des fautes d’orthographe et je peux peut-être trouver un indice pour déterminer qui l’a écrit.

 — Tu crois que c’est l’un de nous ? demanda Romain en croisant les bras.

 — Je crois que ce n’est pas à exclure.

 Un certain malaise tomba sur le petit groupe. Agatha compta les mots qu’elle avait reçus puis observa la petite bande. Il en manquait quatre pour avoir tous ceux de la classe. Cléo et Jérémy étaient sortis dans la cour sans passer par ici, Moly et Loïc prétendaient avoir jeté les leurs. Quatre comportements suspects, mais crédibles. Cléo était très tête-en-l’air, on ne l’avait pas mis au courant de leur petite réunion improvisée. Elle n’aurait pas été surprise d’apprendre que la momie n’ait même pas pris connaissance de la lettre. Quant au vampire, il ne trainait pas souvent avec ses camarades et préférait parader dans la cour. Il ne se sentait certainement pas très concerné par cette histoire. Loïc et Moly, enfin, pouvaient très bien avoir réagi avec colère en lisant le message du ravisseur.

 — Moi j’crois que c’est Cléo, intervint d’ailleurs la cyclope. C’est lui qui voulait Oscar pendant le week-end !

 — Arrête, Cléo aurait pas fait ça ! répliqua Romulus, convaincu de la bonne foi de la momie.

 — T’as une meilleure idée, peut-être ?

 Moly fixait le loup-garou avec une grimace de son gros œil dont elle avait le secret. Romulus se renfrogna en montrant les dents et Agatha prit la parole pour apaiser les tensions.

 — Ce n’est pas en nous disputant qu’on trouvera la solution. Mais Romulus a raison, sans véritable preuve, on ne peut pas accuser quelqu’un. Ton argument contre Cléo n’est pas valable si on prend en compte qu’on a kidnappé Oscar pour nous réclamer des bonbons.

 — Je vais demander son avis à Jérémy, répondit Moly avec mauvaise humeur. J’suis sûre qu’il sera d’accord avec moi, lui !

 La cyclope sortit sans demander son reste sous les regards inquiets de ses camarades de classe. Agatha n’essaya pas de l’en empêcher. Elle se doutait que le vampire l’enverrait sur les roses si elle lui parlait de cette affaire. Mais peut-être que Moly aurait plus de chances et obtiendrait un indice susceptible de les aider ? Après tout, elle était la fille de la classe qui se trouvait le plus souvent en sa compagnie dans la cour de récréation.

 — Je ne vais pas vous retenir très longtemps non plus, soupira Agatha. Avec tout ça, les questions que je voulais vous poser ne sont plus bonnes, je dois d’abord inspecter vos mots et réfléchir… Je reviendrai vers vous plus tard.

 Les enfants lui répondirent par des hochements de tête. La plupart ne savaient que penser. Comme ils étaient à l’intérieur, ils en profitèrent pour regarder et choisir des boites de jeu. Agatha s’était rassise et, à travers sa baguette-loupe, observait en détail les mots qu’on leur avait adressés. Comme ils ne pouvaient pas vraiment l’aider, Romulus proposa à Lisa une partie d’Œil de cyclope, un jeu d’observation. Ils étaient en train de disposer les pièces quand un groupe de trois élèves s’approcha d’eux, et plus particulièrement d’Agatha.

 — On voulait juste te dire que si tu avais besoin d’aide pour coincer ce kidnappeur, tu pouvais compter sur nous, lui dit Romain avec détermination.

 — On veut retrouver Oscar, ajouta Juliette. Hésite pas à nous demander de l’aide !

 — C’est gentil, les remercia Agatha avec un sourire.

 — Et on a parlé à Harry de ce que tu disais, ce matin. À propos de M. Choucroute.

 — Maintenant, j’y crois de moins en moins. Pourquoi M. Choucroute voudrait-il des bonbons ?

 — Dis-lui, Harry !

 — Je l’ai vu, commença la gargouille en se tournant vers Agatha. Par la fenêtre, vendredi.

 — Qui ça, M. Choucroute ?

 — Oui. Il enterrait quelque chose dans le potager. Une boite.