Le mardi matin, Agatha tenta par tous les moyens d'inspecter les feuilles d’exercices et de synthèse de ses camarades. Elle se proposa de reprendre les documents et d'aider les élèves en difficulté à plusieurs reprises. Lorsque Mr Mate, exaspéré, finit par accéder à sa demande, il la pressa tant qu’elle n’eut guère l’occasion d’inspecter plus en détail l’écriture de ses amis.

Quand la récréation de midi sonna. Après leur déjeuner, le trio se rejoignit sous le pommier pour faire le point. La sorcière les avait mis au courant de ses dernières découvertes, mais ils n’avaient pas plus avancé qu’elle. Romulus avait juste pu observer les documents de son voisin, Jonah. La fée écrivant les « t » convenablement, cela semblait l’innocenter.

 — À force d’éliminer des suspects petit à petit, on va bien finir par découvrir qui c’est ! souligna Lisa.

 — Peut-être, mais l’idéal serait quand même de percer le mystère avant d’apporter la rançon, reprit Agatha dans un soupir.

 — On en est où d’ailleurs ? demanda Romulus.

 — Moly a apporté une balance, expliqua Lisa. On s’est vue entre filles pour voir ce qu’on avait déjà. Béatrice et Jacky ont apporté pas mal et Romain a aussi vidé les placards chez lui. Quant à Juliette, elle n’a apporté qu’une petite poignée de dragées.

 — Et vous ?

 — Franchement, je compte bien découvrir qui c’est avant d’apporter de quoi répondre au chantage ! répondit Agatha. Mais si je n’y parviens pas, j’ai glissé un paquet de berlingots dans mon cartable ce matin.

 — Et je vous avoue qu’avec le retour de maman, j’ai un peu oublié de prendre quelque chose chez moi, soupira Lisa. Je me rattraperai demain.

 Elle leur avait raconté sur le trajet du matin que la mystérieuse dame qui leur avait ouvert hier n’était autre que sa « mère ». Ou plutôt sa belle-mère. Seule la magie de son père était responsable de sa naissance. Mais en tant qu'épouse de M. Lemona, elle tenait lieu de parent pour Lisa. Elle était aussi la manager du peintre. C’est pour cette raison qu’elle était souvent absente d’Halloween et qu’elle ne revenait que quelques jours par an. Le reste du temps, elle organisait les expositions des célèbres tableaux de son mari. La mystérieuse absence de M. Lemona participait manifestement à sa renommée. Les rumeurs sur son état de santé allaient bon train. La réalité, pourtant, était peut-être encore plus improbable. Le public humain ignorait qu’il partageait son quotidien avec des sorcières, des vampires ou des centaures.

 — Les autres tableaux de ton père ne sont pas animés ? avait demandé Romulus, curieux.

 — Si, mais nous avons besoin de la présence de papa pour que la magie soit active. Il faut qu’il soit dans un rayon d’une dizaine de kilomètres pour qu’elle nous affecte, donc je ne crains rien tant qu’on reste à Halloween. Par contre, les autres tableaux éloignés sont en dormance et ne se réveilleront que si mon père entre en contact physique avec. Ça permet à maman d’organiser les expositions sans révéler notre secret au monde extérieur.

 Ils discutaient à nouveau des friandises à apporter au ravisseur quand une dispute au loin attira leur attention. Demandant à Romulus de rester avec Lisa, Agatha se rapprocha de la scène. Comme la veille, le frère de Moly était en train d’embêter Cléo. Cette fois-ci, la cyclope était aussi dans le coup. Elle avait peut-être même démarré les railleries. Evidemment, elle accusait toujours la momie d’avoir kidnappé Oscar. Même si l’ensemble de la classe restait sceptique à ce sujet, elle n’en démordait pas.

 Jonah, Juliette et Romain étaient aussi de la partie mais, encore une fois, pour défendre Cléo. L’incorrigible tête-en-l’air, s’il ne répondait pas aux provocations, exprimait son malaise. En se rapprochant pour leur prêter main forte, Agatha put même voir qu’il se retenait de justesse de pleurer. Outrée, Agatha repensa soudain à une idée qu’elle avait eu la veille. C’était l’occasion ou jamais de la mettre en pratique.

 Saisissant sa baguette, d’un pas décidé, elle la pointa subitement en direction du grand cyclope. Celui-ci ne l’avait pas vue arriver et il hurla de peur quand il commença à s’élever lentement dans les airs. Le grand frère de Moly était plus lourd qu’une simple boule de poil ou qu’un sucrier, aussi Agatha dut-elle tenir sa baguette à deux mains pour ne pas lâcher son emprise. Moly, à son tour, cria d’effroi. Les autres restaient bouche bée, incapables de s’exprimer tant ils étaient surpris. Agatha ne s’était encore jamais servie de la magie sur quelqu’un, pas de manière menaçante en tout cas. Poly, pourtant, était maintenant à plus d’un mètre du sol.

 Tandis que sa victime appelait à l’aide et que Moly courait chercher un instituteur qui se précipitait déjà vers eux, Agatha accéléra la cadence. L’occasion était trop belle pour mettre son plan à exécution. À l’aide de sa magie, elle poussa le cyclope en direction du potager. Ignorant les ordres du surveillant qui lui sommait d’arrêter, elle le projeta en plein milieu des salades. Le garçon cria en s’écrasant piteusement dans la terre et les légumes.

 Très vite, une grosse main velue se referma sur son poignet, l’obligeant à lâcher sa baguette. L’enseignant lui hurla dessus et Agatha baissa les yeux, prête à affronter la colère qu’elle savait bien méritée. Elle feignit d’être de mauvaise foi et de ne rien regretter de son geste. Furax, le yéti l’entraina avec elle en direction du bureau de madame Tatin.

 Alors qu’elle était tirée en avant devant tout un tas d’élèves rameutés par le spectacle qu’elle venait de donner, Romulus et Lisa lui adressèrent des yeux ronds. Ils ne comprenaient pas comment diable Agatha avait pu se laisser envahir par la colère au point de se servir de sa magie pour donner une leçon à Poly. Cela ne ressemblait pas à leur amie ! Mais celle-ci leur adressa discrètement un clin d’œil, ainsi qu’un petit sourire malicieux.

 — Rom’, tu crois quand même pas qu’elle a…

 — Fait exprès pour se faire punir ? Si, je crois bien…