Chapitre 04

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Si pendant une semaine, je n’ai pas réussi à me concentrer en cours à cause de ma migraine, maintenant, c’est pour une tout autre raison que je peine à maintenir mon attention sur le cours d’histoire.

Riley.

Riley qui a avoué m’avoir totalement oublié lui aussi.

Mais qu’est-ce qu’on a foutu tous les deux pour s’oublier de la sorte ? Maintenant, en plus d’être flippé par ce qui arrive, je suis en état de stress. J’ai l’impression d’être un hors-la-loi qui a fait la pire des crasses de l’univers. Et à première vue, j’avais un complice. Vraiment, qu’est-ce qu’on a pu faire pour que ce soit nécessaire de totalement nous faire oublier l’existence de l’autre ?

— T’es sûr que tu veux pas retourner à l’infirmerie ? me demande Reece.

— Ça va ! J’étais juste en train de réfléchir.

— Tu fais que ça depuis la rentrée ! Enfin, pas que ce soit mauvais de réfléchir, mais tu n’as pas l’habitude bébé, alors laisse ça de côté et suis le cours pour le moment. On trouvera une solution ensemble.

— Comme quand on a cherché un moyen pour que tu évites la Chouette ? je lui dis pour changer de discussion.

— M’en parle même pas. Ce matin, elle me fixait encore du regard. Je finis pas la voir dans mes cauchemars !

Je ris doucement avant de porter attention au cours. Pourtant, je ressens le besoin de me tourner vers mon meilleur pote. Ma découverte me travaille trop pour que je puisse la garder pour moi et espérer me concentrer sur autre chose.

— Lui non plus, il ne se souvient pas de moi, je lui chuchote finalement.

Je vois ses yeux s’agrandir et sa tête se tourner violemment vers moi. Pour lui aussi, cette découverte signifie que j’ai vraiment fait une connerie l’année dernière. Ce qui est étrange quand même, c’est qu’à première vue, il n’a pas été mêlé à tout ça, sinon il aurait perdu bien plus de souvenirs qu’en réalité. Et je sais que ça le perturbe tout autant que moi.

— Tout à l’heure, il commence à me dire, on choppe Riley et on le fait parler.

Il est peut-être même plus perturbé que moi. La preuve en est qu’à peine les cours terminés, Reece me presse de ranger mes affaires et se dirige directement vers Riley. Un coup d’œil lui suffit pour se faire comprendre et se faire suivre sans un mot. Il nous conduit jusque chez moi. Il sait qu’à cette heure-là, nous serons tranquilles pendant un moment.

Je m’installe au fond de mon lit comme j’ai tendance à le faire quand ça ne va.

Et là, ça ne va pas.

Personne ne parle. On se regarde tous les trois dans le blanc des yeux sans ouvrir la bouche ni esquisser le moindre geste. L’atmosphère est de plus en plus pesante et ça me rend mal-à-l’aise. J’ose même pas être le premier à parler. Pourtant, Riley n’a pas l’air plus perturbé que ça. Il a eu la confirmation que nous nous étions mutuellement oubliés et ça a l’air de lui faire ni chaud ni froid. Je ne comprends pas comment ça peut être possible. Toutes les fibres de mon être me crient d’avoir peur, de paniquer, de fuir. Comment peut-on rester aussi impassible dans une situation comme la nôtre ?

— Bon, les gars, vous êtes en train de créer en moi un sentiment de stress intense qui est contraire à ma philosophie ! râle Reece. Alors, à un moment ou à un autre, il va vraiment falloir que vous commenciez à parler !

— Et pour dire quoi ? lui demande Riley. Je ne me souviens pas de toi. Oh cool, moi aussi ? Il y a mieux comme discussion.

Je me rends alors compte que sous ses airs de mec non perturbé, Riley semble finalement légèrement à cran. Il détourne le regard de mon meilleur pote pour me regarder. C’est dans ses yeux finalement que je vois quelque chose qui me rassure. Lui aussi est soucieux. Lui aussi se pose énormément de questions mais, tout comme moi, il est perdu.

Il a raison. Qu’est-ce qu’on pourrait se dire ? Là. Maintenant. On ne se souvient de rien alors comment savoir par où commencer ? Puis qu’est-ce qu’on peut dire à une personne qu’on ne connaît plus ? Qu’on rencontre à nouveau pour la première fois ? Et surtout, une personne avec laquelle on ne sait même pas quel type de relation on a eu ? Est-ce qu’on était pote ? Est-ce qu’on ne pouvait pas se blairer ? Je pense que c’est la première chose qu’il faut qu’on établisse.

— Riley, je l’appelle doucement.

Comme si lui parler nous ne devions pas parler ensemble.

— Quel genre de relation tu penses qu’on avait ? J’arrive même pas à savoir si on était pote ou le contraire.

— Je sais pas, soupire-t-il. J’ai essayé de trouver des indices mais …

— Rien, je termine.

— Rien.

— Bon, je vais vous laisser. J’ai des trucs à faire ce soir !

Il se lève en enfilant sa veste, comme s’il voulait réellement partir le plus rapidement possible d’ici.

— Du coup, je vous laisse bavarder, apprendre à vous connaître, encore, et trouver un plan pour trouver ce qu’il vous arrive. Jamie, tu me raconteras tout ça demain !

— Si tu m’appelles encore Jamie, n’y compte même pas.

— Moi aussi je t’aime chéri ! Allez, à demain les boys !

Je le regarde partir, comme si on n'était absolument pas en réunion de crise. Il m’adresse un clin d’œil plus ou moins discret avant de sortir de la chambre. Il doit espérer qu’on tape bien la causette Riley et moi, qu’on se retrouve des affinités. Peut-être illégales ou malsaines. Qui sait …

— Bon … alors …, je bafouille. On commence par quoi ?

— Je sais pas.

Il ferme les yeux avant de poser ses mains sur ses tempes.

— Toi aussi tu as mal ?

— Ouais. Comme toi, depuis le début des cours. Je suis parti consulter et … rien du tout. Le médecin m’a même dit que je devais sûrement trop réviser et que je devais me détendre un peu. Il m’a pas fallu plus d’une seconde pour comprendre que si je réfléchissais trop, c’était pas à cause des cours mais parce que je comprenais pas pourquoi je suis incapable de me souvenir d’un mec de ma classe.

— Tu crois que ce sont nos souvenirs qui essayent de revenir à la surface ou alors c’est parce qu’on force trop.

— J’en ai aucune idée. Mais c’est un enfer.

— Je te le fais pas dire, je marmonne.

On soupire en même temps. On est lié même dans la douleur et pourtant, on ne sait pas pourquoi.

— Tu … veux peut-être un truc à boire ?

Il semble réfléchir. C’est bizarre à quel point la situation nous dépasse tellement qu’on ne sache même pas si accepter un truc à boire est la bonne chose à faire.

— Tu sais quoi ? Va pour un truc à boire ! Je vais juste prendre de l’eau mais … ouais je veux bien.

J’hoche la tête avant de sortir de la chambre. Je pars dans la cuisine en essayant de calmer mon cœur qui se sait plus à quel rythme il doit battre. J’ai l’impression de jouer ma vie. Après tout, en parlant à Riley, je prends le risque que tout recommence. Et je ne sais même pas ce qu’est ce tout !

Mais ce qui me convainc pourtant de continuer sur cette lancée, c’est que Riley est dans le même bateau et que lui semble vouloir prendre le risque.

Je lui ramène de l’eau ainsi que le pot à guimauve spécial urgence avant de me réinstaller sur le lit. On se jette des coups d’œil sans pour autant oser dire quoi que ce soit. A ce rythme, on avancera vraiment à rien. On est là, deux mecs paumés, chacun, en plus, avec une migraine imbuvable. On arrivera à rien aujourd’hui, j’en suis sûr.

— Je te propose qu’on remette ça à plus tard, à un moment où nos têtes seront déjà plus en état.

— Je pense que c’est une bonne idée. Les médocs commencent à faire moins d’effets.

— Pareil … Il faudra quand même qu’on établisse un plan d’attaque. Quand on sera plus à même de réfléchir.

Riley hoche doucement la tête avant de prendre ses affaires. On descend et je le vois me faire un rapide geste de la main avant de sortir de chez moi. Je reste à le regarder s’éloigner pendant quelques secondes, comme si une illumination allait débarquer sans prévenir et résoudre tous mes problèmes.

Si seulement.

Je finis par repartir dans ma chambre. C’est bien le seul endroit où je me sens à peu près bien. Et c’est immobile, affalé sur mon lit que je finis par m’endormir. Un bref moment de répit et de calme avant que l’arrivée de mon frère ne me réveille en sursaut.

J’ai à peine le temps d’émerger que la porte s’ouvre en grand et qu’une masse se jette sur moi, m’empêchant de respirer. A quel moment est-ce que mon frère a autant grandi ? je fais un rapide calcul dans ma tête et me rend compte qu’il a eu seize ans quelques jours avant le nouvel an. Il n’est pas beaucoup plus jeune que moi mais je me rappelle qu’il y a deux ans, il n’était pas aussi grand. Il a mis du temps à avoir sa poussée de croissance et je ne suis même pas capable de me souvenir de ce moment-là. Est-ce que Riley était là ? Parce que je n’ai vraiment presque pas de souvenirs de mon frère prenant en centimètre et en maturité pendant l’année qui s’est écoulée.

Si j’étais seul, j’aurais sûrement pu éclater en sanglots. A la place, j’essaye de reprendre de l’air dans mes poumons, ce qui s’avère plus compliqué que prévu.

— Tu m’étouffes, je geins péniblement.

— Alors meurs avec moi, c’est pas grave ! Tu me tiendras compagnie en enfer !

En enfer ? J’y suis déjà. Mais, par contre, son frère, pour qu’il agisse comme ça, quelque chose devait être arrivé aujourd’hui.

— Jude ! Au lieu de me tuer, met toi à côté et explique moi calmement ce qu’il t’arrive.

— Ce qu’il m’arrive ?

Il se redresse, assis à côté de moi, un air outré sur le visage. Je ne peux pas m’empêcher de rire. Il ressemble tellement à notre mère comme ça. Lui qui a déjà hérité de ses cheveux bruns et indomptables, contrairement à moi qui les ai blonds comme notre père, et de ses yeux en amandes qu’il a bleus en plus le bougre _ bon, le marron c’est beau quand même _, il a aussi cette faculté à avoir les mêmes expressions faciales qu’elle. Elle ne peut décidément pas le renier. Je sens un coup assez fort sur ma cuisse, stoppant directement mon rire.

— Ce qu’il m’arrive, c’est que Lilas, une fille de ma classe, est venue me voir parce qu’elle voulait une réponse à la déclaration qu’elle m’a faite.

— Nan, une fille t’a fait une déclaration ?

— Etonnant, non ? me répondit-il avec ironie. Le problème, c’est qu’elle a fait sa déclaration avant le Nouvel An et que du coup, je ne m'en rappelle pas du tout !

— Sérieux ? T’as fait quoi alors ?

— Je lui ai fait croire que je m’en souvenais mais que je ne souhaitais pas sortir avec elle parce qu'elle ne m'intéresse pas du tout. Maintenant, on me prend pour le sale mec de la classe alors que je m’étais dit qu’en avouant que je ne m’en souvenais pas, elle serait la risée de tous parce que sa déclaration n’était, à première vue, pas assez digne d’intérêt pour que je m’en souvienne.

Et là, j’explose de rire. Je ne peux pas me retenir et très vite, je commence à avoir mal au ventre.

— J’aurais pas dû te le dire. Tu ne mérites même pas d’être mon frère.

— Hey Jude. Ne gâche pas tout ! je lui rétorque, toujours mort de rire.

— Ha, ha. Tu me l’as fait tous les ans celle-ci et c’est toujours aussi peu drôle.

Il laisse passer un gémissement de dépit avant de se laisser à nouveau tomber sur moi comme une loque humaine.

— Grand frère, aide-moi ! me supplie-t-il en pleurnichant. Je ne veux pas être le sale type de la classe !

Et comme je suis un grand frère exemplaire, je cherche une solution avec lui. Pourtant, ce n’est pas gagné. J’ai déjà du mal avec mes propres problèmes, j’espère juste que les siens seront réellement plus simples à résoudre.

Je me mets à sa place et essaye de voir ce que moi je ferais à sa place.

— J’irai lui parler.

— A qui ? Lilas ?

— Bah non, au pape ! Bien sûr que je parle d’elle, je réponds à Jude en lui donnant une tape derrière la tête. Tu lui avoues que tu as oublié la déclaration et que tu n’as pas osé le dire à ce moment-là pour la préserver. Elle devrait comprendre et faire en sorte que ta réputation n’en pâtisse pas.

— Impossible ! Elle va juste me tomber encore plus dans les bras comme ça alors que je l’aime pas !

Ah. Génial les chevilles.

— La prend pas de haut à cause de cette histoire. Elle va peut-être te trouver encore plus cool, mais je te rassure, quiconque se rapprochera de toi saura à quel point tu es ni charmant, ni intelligent, et que le seul truc qui vaille le coup chez toi, c’est ton grand frère.

Il me regarde, choqué, réalisant ce que je venais de dire. S’en suit une bagarre fraternelle qu’il gagne en s’asseyant sur moi pour me bloquer de tout son poids. Je déclare forfait.

— Ok. T’as gagné. Elle succombera à ton charme et alors ? Apprends à la connaître. Essaye de voir ce qu’il s’est passé pendant la déclaration, avant, après, et ce qui a amené à ce qu’elle veuille sortir avec toi. Si tu écoutes un peu ses souvenirs, tu comprendras peut-être ses … sentiments et … tu tomberas amoureux … toi aussi ! Oh mon dieu ! J’ai un plan, c’est bon !

Je repousse Jude, qui me regarde les yeux écarquillés d’incompréhension, pour qu’il se retrouve directement sur le matelas et attrape mon téléphone. Je dois envoyer un message à Reece pour savoir s’il a le numéro de Riley.

J’ai une idée.

Pas la meilleure. Pas la plus efficace non plus.

Mais au moins, on saura d’où partir.

Avec un peu de chance, ça nous mènera quelque part. Peut-être à une autre idée bien meilleure, mais déjà plus loin que là où nous sommes pour le moment.

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