Chapitre 17

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La fête était pas mal. Pas des plus palpitantes mais au vu de ce qu’il s’est passé pendant la dernière soirée de Josh, à savoir la Léthé, c’était pas plus mal. Les garçons ont bu, moi j’ai surtout regardé tout le monde se ridiculiser après ça et aidé Reece à éviter certaines filles qui devenaient un peu trop entreprenantes maintenant que l’alcool coulait dans leur sang.

On n'était pas resté longtemps, surtout pour mon meilleur ami. Puis je m’ennuyais. C’était comme s’il m’avait manqué un petit quelque chose en plus pour que je m’éclate. Et le pire dans tout ça, c’est que cette sensation est toujours présente alors que la soirée s’est déroulée il y a déjà une semaine. Je ne comprends même pas ce qu’il peut m’arriver. Si encore j’avais le ventre en vrac ou des bouffées de chaleur comme la dernière fois, j’aurais pu penser à une indigestion. Mais là, c’est comme s’il me manquait quelque chose, comme si j’étais accro, mais à quoi ? Je ne sais pas du tout.

On est déjà à la moitié du mois de juillet et j’ai l’impression de ne rien avoir fait depuis le début des vacances à part me morfondre pour … je ne sais même pas pourquoi ? Je me morfondais sans raison valable à première vue. Pour contrer ça, j’ai même été jusque chez Nora pour lui prendre quelques livres sur la Léthé. J’essaye de m’occuper l’esprit comme je peux et malheureusement pour moi, ces livres ne m’apportent pas grand-chose. Ils reparlent à nouveau des petites mains et des oreilles sans préciser ce que c’est. Il y a aussi d’autres témoignages et je vois enfin une évocation des Limbes dont nous a parlé Nora. A première, cet endroit existe réellement et il se trouverait dans cette région du pays. Mais à part ça, il n’y a rien de plus et du coup, je me remets à me morfondre.

Comme s’il l’avait pressenti, je reçois un appel de Reece. Il me dit qu’il est devant chez moi mais qu’il a oublié les clés pour entrer. Je ris. Il aurait bien été capable de rentrer sans s’annoncer et de me rejoindre dans la chambre sans que personne ne le remarque. Je sors de la chambre, non sans avoir bien rangé les livres, et pars lui ouvrir. Il a un énorme sourire et ça me fait chaud au cœur de le voir comme ça. D’après ce qu’il m’a dit, lorsqu’il a annoncé à ses parents qu’il a eu le bac, il a plus reçu des « heureusement » plutôt que des félicitations. Ça couplé à la fête du soir, on peut dire que Reece n’a pas très bien vécu le fait d’avoir son diplôme.

Bien heureusement, son travail au refuge lui fait du bien. Forcément, il est triste pour chacun de ces animaux et souvent, il me raconte l’histoire de certains d’entre eux, mais côtoyer majoritairement des êtres non humains l’aide énormément et ça se voit. Peut-être que je devrais postuler là-bas moi aussi.

— Qu’est­-ce qu’il t’arrive, me demande-t-il alors que je soupire en m’affalant sur mon lit.

— Je sais pas … ça fait au moins une semaine que je me sens vide. J’ai envie de rien faire. Même mes lectures sur la Léthé ne me sortent pas de ma léthargie.

— Peut-être que tout a changé trop vite. On est passé du lycée, où on se voyait en groupe tous les jours jusqu’à pas d’heure aux vacances où on est seul quasiment tous les jours. Peut-être que ça te manque.

— Pourquoi Riley me manquerait ? je m’exclame.

— J’ai pas parlé de Riley, me dit Reece d’un coup suspicieux. Je disais ça pour la classe, le lycée, le groupe de pote et effectivement, Nora et Riley. Mais t’es bizarre … pourquoi t’as pensé directement à Riley ? Il s’est passé quelque chose ? Vous vous êtes disputé ? Maintenant que j’y pense, vous êtes bizarres depuis la semaine du bac !

Il me regarde droit dans les yeux, comme s’il espérait y lire la réponse à sa question. Moi, je suis figé. Je ne sais pas quoi lui répondre. Est-ce que je dois lui dire la vérité ? Lui avouer ce qu’il s’est passé ?

— Je l’ai embrassé, je lâche soudainement.

Il ne dit rien, ne fait rien puis je vois ses yeux s’ouvrir en grand comme si l’information venait enfin d’atteindre son cerveau. Sa bouche béante comme s’il voulait crier ou dire quelque chose, aucun son n’en sort. Il est choqué. Je pense même avoir cassé mon meilleur pote. Puis un tout petit quoi parvient à se faire entendre.

— J’ai embrassé Riley … ou il m’a embrassé. En vrai, je ne sais pas trop ce qu’il s’est passé mais … c’est arrivé.

— Mais … comment ?

— Je vais quand même pas t’expliquer comment on embrasse nan ?

Je tente de paraître détaché mais en vérité, je suis au bord de la panique. J’ai peur qu’il réagisse mal et qu’il me laisse seul à son tour. Après tout, ce qui est arrivé n’a rien de normal ou de commun. Entre ça et ma perte de mémoire, je comprendrai que Reece en ait marre et préfère s’éloigner de moi. Je n’attire que les choses incompréhensibles et qui auraient mieux fait d’être évitées.

— Si t’étais pas mon meilleur pote depuis qu’on est gosse, j’aurais vraiment cru que tu as été maudit par quelqu’un. Il t’arrive que des embrouilles ! Je sais pas comment tu fais pour les accumuler comme ça.

— C’est peut-être pour compenser le fait qu’on soit aussi proche, toi et moi, Darling, je lui réponds le cœur allégé. Mais du coup … ça te dérange pas ? Tu trouves pas ça bizarre ?

— Forcément, je trouve ça bizarre dans le sens où je ne m’y attendais pas, commence-t-il avant de se tourner vers moi. Non mais franchement Jamie ! Toi, embrasser Riley ? Qui l’aurait imaginé en fait ? Personne ! Mais … je te rappelle que moi je ne ressens, à priori, rien pour personne. Alors peut-être que toi tu ressens de l’attirance pour les filles mais aussi les garçons.

— Tu penses que c’est possible ?

— J’en sais rien, avoue Reece. Tu sais, depuis le début de l’année, tout ce qu’on sait est devenu potentiellement faux, donc je ne suis plus sûr de rien maintenant.

— Hum, pareil.

On soupire en même temps avant de rester silencieux pendant quelques minutes. J‘observe mon plafond et pense à Riley. Mais pas longtemps ! Juste quelques microsecondes. Assez cependant pour m’avouer qu’il me manque malgré ce que j’essaye de faire croire. Son organisation, son humour parfois bancal, son sourire aussi, sa bonne humeur. Bref, sa présence me manque, mais seulement vite fait. Et la preuve est que je me lève pour attraper les manettes de la console, dont une que je lance à Reece.

On joue pendant une bonne demi-heure. Ça fait du bien de ne penser à rien d’autre et de ne pas parler de ce qu’il se passe. On parle pour rien dire, on crie lorsqu’on perd, on crie lorsqu’on gagne, on rit, … Je reçois même un coussin dans la tête alors que le personnage de Reece vient de mourir. C’est un peu comme si on retrouvait une certaine insouciance et peut-être innocence le temps de quelques minutes.

— Au fait, tu veux qu’on fasse quoi pour ton anniversaire ? Il faut forcément qu’on fasse un truc !

Ah oui, mon anniversaire. Je vais avoir dix-huit ans dans une dizaine de jours. Ça m’était totalement sorti de la tête alors qu’en temps normal, j’adore fêter mon anniversaire. En plus, je vais être majeur. Il paraît que c’est un passage important dans la vie d’une personne … c’est ce qu’on nous dit en tout cas. Mais cette année, je n'ai pas vraiment envie de faire quelque chose de particulier. Savoir que le temps passe devient déprimant, notamment parce que ça veut dire que la prochaine Léthé se rapproche de plus en plus. Je regarde Reece qui semble attendre ma réponse avec excitation et je n’ai pas le courage de lui dire que je ne veux rien faire.

— J’ai rien prévu … mais j’ai pas envie de faire un gros truc. On pourrait se faire un ciné … ou un truc chez moi.

Reece semble réfléchir à ma proposition mais le sourire qu’il me lance quelques secondes après ne m’inspire pas vraiment confiance. Il me dit de le laisser faire, qu’il a une idée et il a beau me certifier que ça me plaira, j’ai un doute. Je marmonne pour moi-même que j’aurais dû ne rien dire et faire croire que j’avais quelque chose de prévu mais il m’entend et décide de m’attaquer à l’aide de l’oreiller qu’il a récupéré.

— Même si tu avais prévu un truc avec ta famille, j’aurais été invité débile !

Il n'a pas tort ! Habituellement, il est même au courant avant moi quand quelque chose est organisée. Peut-être même qu’il m’a posé cette question pour me faire croire qu’il n’y aura rien ou qu’en tout cas pour le moment rien est prévu alors qu’en réalité, il a déjà tout organisé avec mon frère ? J’en serais presque parano mais à bien y réfléchir, je pense que c’était une vraie question. A quel moment ils auraient pu faire quoi que ce soit ? Entre mes parents aux boulots, Jude malade un jour sur deux et Reece bien trop occupé à cause de moi.

— On est obligé d’organiser quelque chose ? je lui demande piteusement. Cette année part déjà assez en vrille comme ça. On a pas forcément besoin de provoquer le destin.

— Moi je pense qu’il faut qu’on s’éclate ! réagit-il. Il faut qu’on montre qu’on est plus fort que la Léthé, que ce gouvernement pourri.

Je soupire. Je sais qu’il n’en fera qu’à sa tête. Mais je sais aussi que le jour J je risque d’être heureux de ce qu’il aura prévu parce qu’à ce moment-là, ce sera ce dont j’aurai le plus besoin. Et de quoi j’ai le plus besoin actuellement ? Je n’en sais rien et c’est pour ça que ça me fait un peu peur parce qu’au regard que Reece me lance, lui le sait parfaitement.

— Jusque-là, on peut rester sur des journées pépères sans surprise ?

— Si tu veux bébé. On prévoira même un surplus de marshmallow si tu veux.

J’aime ce mec ! Je ne le lui dis sûrement pas assez mais je ne sais pas comment je ferai sans lui. Je m’apprête à me lancer dans un discours lui contant la grandeur de mes sentiments à son égard quand j’entends la porte d’entrée claquer. Ça ne peut être que Jude, je vois mal mes parents faire ça. Et si je ne me trompe pas, il est actuellement en train de monter les escaliers et devrait arriver ici dans moins de cinq secondes.

— La vie c’est nul, l’être humain ne sert à rien et ne t’avise même pas à sortir les paroles d’une quelconque chanson des Beatles, grogne-t-il avant de se jeter à côté de moi dans mon lit et de se cacher sous la couette.

J’ouvre le tiroir de ma table de nuit et en sors un paquet de gâteaux que je garde pour les faims nocturnes et pour les mauvaises humeurs de mon frère. Je glisse le paquet sous la couette et, très vite, il m’est arraché des mains et une tête finit par réapparaître.

— Elle m’a encore quitté, marmonne-t-il avant d’enfourner un gâteau dans la bouche. Soi-disant, je suis acariâtre ! Et ce sont ses propres mots ! De toute façon, si ça n’avait pas été elle qui l’avait fait, je l’aurais quitté ! « Jude, on dirait que t’angoisse pour tout et rien ! », « Jude, t’es irritable, calme-toi ! », et j’en passe. Si ça la dérange, qu’elle ne me parle plus ! … Jamie … j’ai fini tous tes gâteaux, finit-il par me dire avec un air penaud.

Je ris avant d’enfermer Jude entre mes bras. Dans ces moments-là, j’ai l’impression de me retrouver avec mon frère lorsqu'il n'avait même pas une dizaine d’années lorsqu’il ne comprenait pas pourquoi le placard ne se remplissait pas de nourriture lorsqu’il l’ouvrait alors que ça fonctionnait lorsque les parents le faisaient. Je regarde Reece rapidement qui lève les yeux au ciel, comme résigné.

— Bon, à première vue, t’as gagné. Ces prochains jours seront ennuyeux à mourir. Et il va falloir plus de gâteaux pour ton frère … beaucoup plus de gâteaux.

Ces prochains jours ne seront sûrement pas fous mais j’ai hâte de les vivre. Par contre, qu’ils passent lentement pour que mon anniversaire tarde à arriver parce que je ne sais pas ce qu’il s’y passera, mais connaissant Reece, ce qui doit arriver arrivera quand même.

Et j’ai peur.

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