Chapitre 28

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Me revoilà dans le bus, mais cette fois-ci, je ne suis pas seul. Assis à côté de moi, Reece regarde le paysage défiler par la fenêtre. Je sais pourquoi il est aussi silencieux et évite le moindre contact visuel. J'ai vu son visage lorsque des filles ont commencé à chuchoter à son passage. Il faut dire qu'elles n'ont pas été très discrètes et que même moi je sens leurs regards dans notre direction. Et si Reece fait tout pour ne pas les regarder, c'est parce qu'il sait que si ça arrive, l'une d'entre elles se lèvera pour venir lui parler.

J'hésite pendant un moment à les fusiller du regard ou à poser ma main sur la jambe de mon meilleur ami pour à la fois le rassurer et éloigner les deux pies. Sauf que, comme bien souvent, j'oublie qu'il est impensable pour les gens que deux personnes du même sexes soient en couple. Et s'ils étaient capables d'y penser, il reste un risque que ce soit en mauvais termes.

Heureusement pour nous, notre arrêt arrive. J'agrippe le bras de Reece et le tire à ma suite. Il faudra que le bus ferme les portes et s'éloigne pour que les voix des deux filles deviennent inaudibles. À ce moment-là, je vois instantanément les épaules de Reece se détendre. Il souffle un coup puis se tourne vers moi avec un air dépité.

— Désolé.

— T'excuse pas ! T'y peux rien !

— Si ! Si seulement j'arrivais au moins à faire semblant !

— Semblant de quoi ? Reece ! Elles parlaient dans ton dos comme si tu les entendais pas ! Alors que, mec, on était à deux mètres d'elles ! Forcément ça te met mal à l'aise !

— C'est pire que ça Jamie !

Il soupire et se met à marcher. Je le suis et viens me poster à côté de lui. Je ne le presse pas. Je sais que c'est un sujet qui lui tient vraiment à cœur et sur lequel il a encore du mal à mettre des mots. On en a plus reparlé depuis la dernière fois mais je crois que cette fois-ci, il en a besoin.

— Tout ça, ça me dégoûte ! Le comportement de ces filles me donne l'impression d'être un pénis sur pattes.

— Un pénis avec de jolis yeux ! je lui fais remarquer.

— Pas faux, me dit-il en ricanant. N'empêche que je ne peux pas. Imaginer sortir avec quelqu'un, imaginer coucher avec quelqu'un, tout ça, ça me donne simplement envie de vomir. Tout mon être rejette toute idée de couple et de relation sexuelle. Et en même temps, j'ai l'impression qu'il y a quelque part en moi un trou béant qui est en manque de quelque chose. Mais je ne sais pas ce que c'est. Je suis totalement perdu.

— Peut-être qu'on trouvera des réponses dans les livres que Riley et Nora ont choisis ! Riley m'a dit qu'il en avait certains qui ne concernent pas la Léthé mais qui pourront nous intéresser parce qu'ils parlent de sexualité et de sentiments amoureux.

— J'espère ... j'ai envie de savoir ce que j'ai ... j'en ai même besoin pour tout t'avouer. Ressentir des trucs comme ça sans savoir pourquoi, il n'y a rien de pire.

— Oh pour ça, je ne peux qu'être d'accord avec toi ...

On continue à marcher encore un moment jusqu'à ce que Reece emprunte un chemin s'enfonçant dans une petite forêt. A chaque nouveau pas que l'on fait, la lumière décline. Si je n'étais pas avec mon meilleur ami, j'aurais eu la peur de ma vie et aurais sûrement fini par m'enfuir le plus loin possible. On dirait un décor de film d'horreur. Je suis sûr qu'il s'est passé énormément de choses ici mais qu'on ne se souvient de rien. Peut-être que des gens sont morts ici, tués probablement.

Un frisson parcourt mon corps et je me rapproche de Reece. Je ne sais pas s'il pourra vraiment me protéger s'il nous arrivait quelque chose, mais je me sens déjà un peu moins en danger. Cette pensée me fait rire et le sursaut que cela provoque chez mon meilleur ami me fait penser qu'il n'est peut-être pas plus rassuré que moi.

— Qu'est-ce que tu as à rire tout seul ?

— J'étais en train de me dire que cette forêt me faisait flipper et que lorsque je me rapproche de toi, je me sens plus en sécurité.

— En sécurité de quoi ? Si un psychopathe arrive, je cours plus vite que toi ! C'est toi qui te fera tuer en premier du coup ! Si quelqu'un doit se sentir en sécurité en se rapprochant de l'autre, désolé de te le dire Darling, mais c'est moi !

J'explose de rire très vite suivi par Reece et l'atmosphère se fait enfin plus détendue. Je prends même le temps de vraiment regarder autour de nous et outre l'aspect film d'horreur, c'est plutôt un joli coin. Bon, certes il manque pas mal de lumière pour que je sois vraiment rassuré, mais ça fait du bien de se retrouver entouré de végétation. En plus, on s'éloigne de la route et donc de la pollution sonore. Même l'air semble différent à chaque pas qui nous enfonce dans la forêt.

Si je devais être honnête, cet endroit me détend tout autant qu'il m'effraie. C'est tout aussi perturbant que contradictoire.

Nous marchons encore une bonne dizaine de minutes avant d'atteindre ce qui ressemble à une cabane abandonnée. Construite par des Hommes, elle a cependant été réappropriée par la nature qui la recouvre comme un manteau. Si ce n'était pas l'endroit que l'on cherchait, je pense qu'on serait passé totalement à côté.

On s'arrête, Reece et moi, à quelques pas de la cabane. Elle est impressionnante. Pas par sa taille, parce qu'à vrai dire, elle n'est pas très grande. Mais c'est magnifique. Elle a été faite avec ce que propose la forêt, à savoir des branches et du feuillage. Pour tenir le tout, de la corde a sans doute été utilisée mais elle est invisible de là où nous sommes. Et pour cause. Le lierre recouvre la quasi-totalité de la cabane en bois. Il y a aussi de la mousse ... et des champignons. Ça ne m'étonnerait même pas si des animaux avaient décidé de vivre dedans.

Mais avec tout ça, une crainte commence à naître en moi. Celle de ne rien trouver là-dedans. Ou alors rien en assez bon état qui pourrait nous être utile. J'espère que mon moi du passé a pensé au temps qui s'écoule et donc a bien mis ce qu'on cherche à l'abri. Mais pour le savoir, il n'y a qu'une solution ... il faut entrer.

Première difficulté ... trouver la porte, l'atteindre et réussir à l'ouvrir. Bon, la voir a été assez rapide, mais le lierre l'a soudé au reste de la structure. Il nous faut s'y mettre à deux pour réussir à la faire bouger. Nos mains sont sales et surtout pleines de terre, de griffures et de poussière d'écorce d'arbre. J'espère vraiment que ça en vaudra le coup.

L'intérieur est superbe. Il n'y a quasiment rien à l'exception d'un coffre et d'un canapé mais les murs sont décorés. Il y a des guirlandes électriques, sûrement un moyen d'avoir de la lumière sans avoir besoin d'électricité. Ingénieux pour le coup. Il y a aussi des cadres et ça, c'est actuellement ce qui m'intéresse le plus. Je m'approche et commence à les observer.

Ce sont des photos de nous.

Enfin, quand je veux dire nous, je parle de Reece et de moi ... ainsi que de Riley.

Je décroche tant bien que mal un des cadres pour mieux regarder la photo. Il s'agit de nous, Reece, Riley et moi. Nous sommes côte à côte et c'est Reece qui tient l'appareil, sûrement son téléphone portable. Moi, je suis juste à côté de lui et souris vers l'objectif. J'ai l'air heureux ... et surtout, je suis collé contre le torse de Riley qui a un bras autour de ma taille. Ça pourrait passer inaperçu si une de mes mains ne tenait pas fermement une des siennes.

Je dois avouer que ça me fait bizarre de me trouver devant cette photo. C'est comme si je regardais la photo d'un couple qui nous ressemble trait pour trait mais qui n'était pas nous. Je ne me souviens pas de ça, je ne sais pas pourquoi on a fait cette photo, ou encore quand nous l'avons faite ni où !

Je raccroche le cadre et continue de faire le tour. Je vois que Reece fait de même, s'arrêtant parfois un peu plus longtemps sur certaines d'entre elles. Il doit ressentir la même chose que moi, cette impression de regarder la vie de parfaits inconnus qui nous ressemblent. C'est une sensation vraiment bizarre et même désagréable.

Une photo attire un peu plus mon attention. C'est une photo de groupe et elle semble avoir été prise au lycée. Je me trouve rapidement dans la foule ainsi que Riley, juste à côté de moi. Nous sommes simplement côte à côte et rien ne laisse présager que nous sommes en couple. Peut-être d'ailleurs que nous ne le sommes pas à ce moment-là ? Par contre, ce qui est plus intéressant, c'est Reece. Il n'est pas loin de moi mais contrairement à Riley et moi, il ne regarde absolument pas l'objectif. Il est occupé à sourire à une fille pas très loin de lui. Elle aussi lui sourit. Mais ce qui me marque surtout, c'est que même à cette distance l'un de l'autre, ils donnent l'impression d'être proches l'un de l'autre. Pourtant, je ne sais pas qui elle est.

— Tu sais qui c'est ? je finis par demander à Reece.

Il s'approche de moi et regarde à son tour. Je vois ses sourcils froncer, signe qu'il est assez perplexe face à ça. J'ai l'impression qu'il ne la connaît pas et, effectivement, il me le confirme rapidement.

— Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi j'ai l'air aussi proche d'elle alors que je ne la connais même pas. Je l'ai jamais vu et à première vue toi non plus.

— C'est bizarre ... tu crois qu'on l'a oublié de la même manière que j'ai oublié Riley ?

— Sûrement ... au point où on en est, ça ne m'étonnerait pas si on apprenait qu'elle fait partie de ma famille.

Je pouffe avant de lui donner un coup dans le bras. Puis, on passe à autre chose quand bien même je reste confus face à cette photo. Comme une impression que de ne pas s'en occuper nous ferait passer à côté d'une énorme information. Mais on a encore beaucoup de choses à regarder alors je décide de ne plus m'en soucier. A la place, je m'approche enfin du coffre. Je l'ouvre et tombe sur des toiles d'araignées. Je lâche un petit cri qui fait rire Reece et, en jeune homme mature que je suis, je décide de lui répondre en marmonnant des choses inintelligibles dans ma barbe.

Une fois débarrassé des toiles, je commence enfin à fouiller. Il y a encore des photos dans un gros album qui semble relater que l'année dernière. Je regarde vite fait et en viens très rapidement à une conclusion ... Riley et moi avons vraiment été en couple l'année dernière. Certaines photos de nous ne laissent plus place au doute, notamment celles où on s'embrasse. J'hésite entre rire et pleurer. Rire en voyant notre insouciance et même simplement de nous voir aussi heureux. Et pleurer parce que c'est la preuve que la Léthé nous a retiré une année de nos souvenirs, une année qui semble avoir été si douce aux côtés de Riley.

Je continue à fouiller et tombe sur une boîte. Elle est simple, sans décoration ou quoi que ce soit d'autre. Juste une boîte. Je l'ouvre et découvre qu'il s'agit d'une boîte à souvenirs. Je la vide et y trouve des mots et quelques objets qui, je le sens, doivent tenir à cœur à la personne qui les a mis là. Il y a un porte clé. Je le reconnais comme étant un de ceux que la fête foraine présente chaque année dans la ville fait gagner dans leurs machines à pince. Un souvenir de sortie ? Un cadeau ? Un ... rendez-vous amoureux ? Je me demande s'il m'appartient ? Ça paraitrait logique mais ... le reste des objets me fait quand même douter.

Les mots en particulier.

Ce n'est pas mon écriture. La mienne est bien moins lisible. Ce n'est pas non plus l'écriture de Riley qui est bien plus droite ou celle de Reece qui écrit en cursive. Est-ce que ce serait à Nora ? Non, c'est impossible ... Il n'y a aucune trace nulle part qui nous montrerait que nous lui parlions déjà l'année dernière. Ça voudrait dire que nous avons gardé les souvenirs de quelqu'un d'autre ? Mais pourquoi ? Ça n'a aucun sens ? A part si la cabane est connue d'autres personnes ! C'est une hypothèse. Après tout, je ne sais pas à qui elle appartient.

En tout cas, ces mots semblent assez importants pour être mis en sécurité comme ça. Ils sont tous signés de la même personne, un ou une certaine M, ce qui confirme qu'ils n'ont pas été écrits par un de nous. On dirait des mots envoyés pendant des cours. Des « Je m'ennuie » suivi de « rdv après les cours ? ». Il y en a des tonnes. Peut-être une soixantaine à vue de nez. Jamais rien de bien sérieux à part un je t'aime ou deux qui s'y sont incrustés.

Je range tout dans la boîte et la pose à côté du coffre. Je ne sais vraiment pas à qui cela appartient, mais je me sens comme obligé d'y prendre soin. On dirait qu'elle renferme une belle histoire et j'aurais aimé savoir si elle existe encore.

Je reste plongé dans mes esprits quand Reece m'interpelle. Je crois qu'il a trouvé quelque chose d'intéressant. Ça expliquerait en tout cas pourquoi il sautille sur place avec un énorme sourire sur le visage.

— Ce sont eux !!! me dit-il.

— Eux quoi ?

— Les carnets que TU as écrit l'année dernière !

Alors je l'ai vraiment fait ? J'ai rempli un carnet, et même plusieurs si j'en crois les paroles de Reece, et les ai cachés dans une cabane au fond d'une forêt. J'espère qu'ils renferment des choses intéressantes. Ils le doivent d'ailleurs, sinon pourquoi autant d'efforts ? J'aurais tout aussi bien pu les ranger dans le tiroir de ma commode. Mais non, je les ai cachés ici, alors ils ne peuvent que renfermer des choses importantes.

J'attrape les carnets que me tend mon meilleur ami et pars m'installer plus confortablement dans un coin de la cabane. Je respire un bon coup et ouvre le carnet portant le numéro 1.

Quand il faut y aller, il faut y aller.

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