Chapitre 4 : Une triste comédie

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C’était un matin comme les autres. Mais avant le coucher du soleil, toute la vie de Roger allait se retrouver chamboulée. Il se leva à l’aube, prépara son petit déjeuner et celui de sa vieille maman, qu'il laissait de côté, prêt à être déguster à son réveil. Il s’habilla, et sortit en direction de la plage. Il y allait aussi tôt pour pouvoir travailler sur son projet personnel, avant de devoir s’affairer aux requêtes de ses clients.
Quand le soleil était à son zénith, il s’arrêtait enfin et s’en allait rejoindre l’atelier. Se baladant à son aise, prenant ainsi sa première pause de la journée. Il arrivait généralement à l'atelier en même temps que la serveuse, rejoignait ses frères à la fontaine.

Enfin, ce jour-ci, elle se contenta de s’asseoir au bord de la fontaine, souriante. Elle regardait dans la direction de Roger, quand leurs regards se sont croisés, elle détourna le sien, gênée, son petit rire typique aux lèvres, mordillant le bout de sa langue. Sa longue chevelure brune et lisse retombait sur son visage, elle se cachait derrière pour ne pas avoir à recroiser les yeux perçants du jeune homme.

Une flèche sifflante traversa à cet instant l’espace et le temps pour aller se planter droit dans le coeur de Roger. Il n’en pouvait plus, il devait lui parler. Le temps semblait s’être arrêté, les pensées fusaient dans sa tête, tout se mélangeait, le temps était à la fois long et pourtant tout était comme gelé autour de lui, son corps également. Ça y est, il a pris sa décision, son pied, dans toute sa lourdeur se leva. Au moment de son premier pas, un jet d’eau transparent, aussi pure que de la glace, jaillit de la fontaine. Des cris de joies et de surprises éclatèrent partout sur la place, suivi d’un tonnerre d’applaudissements, comme un signe du destin pour conforter Roger dans sa décision. Un sourire au coin de sa bouche, il pensat

« Sacré Hernan... ».

Il s’avança vers elle et s’introduisit le plus simplement du monde :

« R – Bonjour, moi c’est Roger et...

B – riant – Je sais qui tu es. Tu en as pris du temps pour te décider, moi c’est Bahar. »

Les mois passèrent, et les jeunes tourtereaux apprirent à sa connaître de mieux en mieux. Il lui parla de son rêve, et elle semblait y adhérer, une femme aussi avait le droit de vouloir vivre son aventure après tout, et puis rien ne semblait la retenir sur ce rocher perdu, sûrement pas l’orphelinat dans lequel elle avait grandi, l’orphelinat des Westshire. Ils avaient fini par emménager ensemble, elle s’occupait de sa mère malade et lui s’occupait d’entretenir le foyer avec ses revenus plus que suffisant. Tout semblait sourire à Roger, il avait trouvé l’amour, un amour qu’il n’aurait pas à perdre, sa mère était entre de bonnes mains, le bateau était quasiment terminé et Hernan lui avait dit qu’il avait réussi à regrouper une poignée d’aventurier en herbe prêt à tenter leur chance avec eux.

Il se leva comme à son habitude à l’aube, il avait donné rendez-vous à Hernan sur la plage, à l’endroit où il travaillait secrètement, pour lui montrer le résultat de toutes ces années de dur labeur.

Quelque chose n’allait pas, en sortant de chez lui, il vit des oiseaux affolés dans le ciel, il avait un drôle de sentiment. Était-ce donc ce qu’on ressentait en achevant l’œuvre de toute une vie ? Son cœur s’emballait au fur et à mesure qu’il s’approchait de l’endroit où il était censé retrouver son ami. Au fur et à mesure qu’il se rapprochait de sa destination, son pas et son pouls s’accélérait machinalement. Le cœur qui battait la chamade, le ventre noué, cette gênante sensation d’emprisonnement dans son propre corps, la cage thoracique se resserrant un peu plus sur ses organes à chaque respiration, situation certes désagréable pourtant il sait qu’il doit s’habituer à garder la tête froide et s’accoutumer à cet état de stress, s’il veut pouvoir assumer un mode de vie d’aventurier des mers. Cette réflexion lui fit réaliser la futilité de laisser ses émotions et ses inquiétudes le diriger, il devait apprendre à se gérer, il doit rester maître de son corps comme il sera maître de son navire. Un rictus vint fendre son visage inquiet, et le voilà qu’il court vers la plage, slalomant entre les arbres de cette forêt de pins qui semblait interminable.

Du sable, ça y est, il courait désormais en ligne droite, devant lui, plus que quelques arbres obstruant sa vue, défilant devant lui comme un immense rideau de théâtre qui s’ouvrait pour le laisser admirer son idylle.
Enfin, un premier pas sur ce sable, brisant la verdure, devenant poussière dorée. Toutes ses pensées, inquiétudes, espoir, ce capharnaüm dans sa tête, toutes les voix omniprésentes qui oppressaient son esprit, à croire qu’il était partagé entre un nombre incalculable de personnalités, se turent. Il était là.

Aucun nuage dans le ciel, un ciel au ton orangé par les premiers rayons de soleil, se reflétant dans l’eau de la mer qui avait l’air d’être une immense perle rose, secouée par le léger remous matinal des vagues, contre les rochers, qui laissaient perler des gouttelettes d’un blanc éclatant contrastant sur le fond sombre des pierres qui se laissaient éclabousser sans dire un mot.

Une énième vague vint se confronter à la froideur des pierres, dans son bruit cinglant de liquide contre solide et le rideau boisé s’ouvra enfin, Il était là.
Face à cette scène, lui qui pensait être dans les coulisses, il s’arrêta, les jambes légèrement écartées, les bras ballants, le corps droit et la nuque doucement incliné en arrière. Il se retrouvait spectateur.

Il était là. Stoïque, immense, immobile et tellement puissant. Juste là où il l’avait laissé. La proue visant une autre embouchure de la forêt, et légèrement en diagonal par rapport à lui. Il l’avait positionné de cette manière car il savait de quel côté allait arriver son ami, et il voulait que le spectacle soit d’autant plus impressionnant pour lui, qu’il ne venait de l’être à ses yeux. Il vit Hernan, justement, un peu plus loin, exactement là où il s’attendait à le trouver, face à face avec sa création, son bijou. Les genoux à terre, comme vaincu par l’imposante présence du navire. Il devait sûrement se demander comment un seul homme a pu construire un tel bateau, sans l’aide de personne. Roger s’empressa de rejoindre son compagnon.

« Hernan ! Hernan ! Alors ? Impressionné hein ! »

S’écria-t-il en lui faisant un signe de la main, le bras levé bien haut au-dessus de sa tête, balançant de droite à gauche. Il ajouta en dans sa direction :

« Bon, on va devoir le tirer précautionneusement par l’arrière sans arracher les planches, j’ai placé des gros mousquetons pour qu’on n’arrache pas les planches de la poupe. C’est un peu plus délicat comme opération mais je voulais vraiment marquer le coup à ton arrivée ! Je pense que c’est une belle réussite... »

Enfin à côté de son ami, toujours dans la même position, il se mit à son tour face à son chef-d’œuvre, le torse bombé, les mains cette fois sur les hanches. Il bascula en arrière, il tomba sur son postérieur. Son regard se jetait dans toutes les directions, il ouvra grand la bouche, il essayait de sortir des mots de sa bouche mais rien ne sortait si ce n’est des balbutiements. Si seulement c’était l’aspect vertigineux d’avoir cherché à regarder le sommet du perchoir sans s’y préparer qui l’avait fait se retrouver dans cette position peu flatteuse.

Un énorme nuage noir se profilait dans le ciel, un ciel au ton orangé par ces premiers rayons de soleil, se reflétant dans l’eau de la mer qui avait l’air d’être une immense perle rose,toujours aussi calme qu'à l'arrivée de Roger, comme impassible face à leur désarroi.

Enfin, une énorme vague, annonciatrice d'une tempête, se souleva en arrière-plan et vint briser la douce mélodie des flots matinaux, fulminant contre les hauts-rocs entourant la plage.

L’un à côté de l’autre, ils contemplaient l’effroyable spectacle. Le flanc était entièrement ravagé, complètement détruit. Les débris sur le sable, formait une flèche. Un avertissement ?

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