Chapitre 5 : Un avertissement, quatre heures et une ironie

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La flèche pointait ironiquement dans la direction du nuage qui devenait d’ailleurs de plus en plus envahissant. Le ciel qui devait retrouver sa couleur bleutée semblait partager leur douleur, en prenant une couleur rouge écarlate de plus en plus vivace, le ciel s’apprêtait à saigner sur le cadavre du navire éventré.

Ils restèrent là, dans un silence de tombe. Les secondes paraissaient être des minutes. Les minutes s’écoulaient au rythme des heures. Ils n’avaient plus aucune notion du temps, avec cette couverture noire qui recouvrait désormais entièrement le ciel. Ils étaient ensemble, et pourtant ils semblaient tellement seuls et désespérés. On venait de leur arracher des années de travail acharné, de rêves , d’espoirs et d’ambitions.

Des mots sortirent finalement de sa bouche, il ne s’adressait pas à Hernan, il se parlait à lui-même. D’ailleurs parler était bien exagéré, il susurra d’une manière à peine perceptible :

« Se laisser guider par ses émotions et ses inquiétudes hein... »

Cette fois-ci, d’une voix plus ferme :

« Bon ! »

Il se releva, frotta d’abord l’arrière de son pantalon en cuir pour en retirer le sable, il se tapota les mains entres elles pour les décrasser. Il croisa les bras en soufflant du nez.

« Ça ne fait rien, je vais le retaper en un moins de deux. Si on abandonne maintenant, ça veut dire qu’on n’aurait jamais survécu aux épreuves qui nous attendant de l’autre côté de l’océan Hernan. Allez, lèves-toi, on va voir où mène cette flèche. Je compte bien trouver qui est le coupable et le faire payer. »

Hernan, toujours à terre, leva la tête et croisa le regard déterminé de Roger. Partagé entre l'agacement et un sentiment soulagé, il soupira :

« Tsss.. T’es irrécupérable hein ».

Il se leva à son tour, et tout en s’époussetant les genoux recouverts de sable, faussement exaspéré du temps qu’il avait fallu à Roger pour se reprendre en main.

« H - Et ben, t’as autant de jugeote que de sens de l’orientation finalement. C’est un coup signé Westshire, c’est évident, ça fait des plombes qu’on hurle sur tous les toits qu’on va prendre la mer. L’île entière en est au courant, tu sais bien que ça ne plaît pas aux hautes sphères ces idées farfelues. Et puis tu vois bien que cette flèche pointe la place du marché. » dit-il d’un ton hautain

« R – Ouais... évidemment que je le savais. » rétorqua Roger

« H – Évidemment, évidemment. Heureusement que tu m’as moi comme cerveau et navigateur... cap’taine»

Roger balança un coup de poing sur l’épaule de son ami, avant d’éclater de rire. Les deux se mirent à rire à gorge déployé.

Ils s’aventurèrent, donc, dans la forêt, en direction de la place du marché. Lancé dans une de leurs conversations habituelles, s’imaginant déjà leurs futurs exploits, ils ne se rendirent même pas compte de cette atmosphère toxique qui les entourait de plus en plus, dans la mesure qu’ils se rapprochaient de la place. En sortant de la forêt, il ne leur restait plus qu'à traverser la longue avenue qui menait à la fontaine.

Ce sont d’abord les cris qui les alarmèrent, ils arrêtèrent leur conversation, inquiets et se mirent à courir le long de l'allée. Arrivés sur place, une chaîne humaine de la fontaine aux boutiques, se passait des sceaux remplis de son eau. Une vague de chaleur les accueillis, ainsi que des colonnes de fumée et de flammes s'élançaient de l’atelier. Le feu s’était déjà propagé aux échoppes avoisinantes.
Tout se bousculait dans la tête de Roger, il mit quelques secondes avant de s’empresser d'aider les autres. Dans tout le vacarme de la situation, un bruit en particulier vint le percuter dans ses oreilles. Un hurlement d’agonie, quelqu’un était en train de brûler vif. Cette voix, c’était celle d’Alexander. Il continua sa course vers la fontaine, totalement déboussolé par la confusion. Désemparé et désespéré, il récoltait de l’eau dans le creux de ses mains, qu’il allait balancer sur le mur de feu devant lui. Il enchaînait les allers-retours, jusqu'à s'en couper le souffle, afin de sauver son maître de l'agonie.

Quatre heures. Quatre longues heures. C’était le temps qu’ils mirent pour éteindre le feu qui avait balayé la moitié des magasins de la zone. Il était au cœur des débris. Une poutre était tombé et avait écrasé les jambes d’Alexander, l'emprisonnant à l’intérieur de son atelier. Il a brûlé jusqu’à la mort, les jambes broyés, ne pouvant s’échapper de son tourment infernal. Roger était agenouillé au sol, le torse d’Alexander, rouge, la peau brûlée et en lambeaux, reposant sur ses genoux, lui tenant la tête dans ses mains.
Il pleurait, choqué par la violence de la scène, les larmes se mélangeant à sa morve, terminant leur course dans sa bave coulant de sa bouche béante. Roger n’avait jamais été dans un état si pitoyable. Ses sanglots s’entendaient sur toute la place. Pour une fois, toutes les voix dans sa tête étaient unifiée et lui répétait inlassablement que tout était de sa faute. Il déposa délicatement le corps de son ami au sol, et se leva lentement, tremblant. Il se dirigea en titubant vers la sortie, ou ce qu’il en restait, dévisagé par tous, le poids des regards accusateurs venaient s’ajouter à celui de sa propre culpabilité. Après tout, ils n’avaient pas tort de lui en vouloir, le rêve dont il était si fier, venait non-seulement de lui retirer son mentor, mais avait également impacté la vie de tous les insulaires. Sa mère lui avait pourtant rabâché les oreilles sur son manque de discrétion. Hernan quant à lui, était adossé à un mur un peu plus loin, rongé par les remords, le regard dans le vide, quelque chose s’était éteint dans ses yeux. Quant aux voix dans sa tête, une s’était détachée du reste, jaillissant du fond de son crâne, pour lui rappeler :

« Se laisser guider par ses émotions et ses inquiétudes hein... »

Roger avançant tel un mort-vivant, se dirigeait machinalement vers chez lui. Sa mère attendait sa venue, regardant par la fenêtre, livide. Quand elle le vît arriver, elle s’empressa de se retirer, en ayant précautionneusement laissé la porte ouverte au préalable. Pour le laisser se recueillir un moment, seul.

Parfois, il arrive que la vie décide de faire s’acharner le sort. Une drôle d’ironie, pour celui qui réussit à se détacher suffisamment. On dit qu’un malheur n’arrive jamais seul, ça c’était vérifié aujourd’hui avec Roger.

Il poussa la porte ouverte, se dirigea sans un mot vers sa mère malade. Il avait appris la leçon, malgré lui. Elle était là, allongée sur son lit, comme d’habitude. Il alla s’asseoir au pied de celui-ci. Il voulait pleurer, mais plus rien ne se décidait de couler de ses yeux enflés. Alors il se mit à rire. Il riait seul. Ou plutôt, il riait avec la vie qui s’était bien moquée de lui. Il mit son visage entre ses mains, se recroquevilla et s’allongea sur le sol froid. Avant de finalement éclater en sanglots.

Sa mère n’était plus malade. Elle n’était plus.

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