Chapitre 3 : Un adulte, un rêve

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Assis au bout du pont, la tête pleine de rêves, fredonnant l’air d’une des nombreuses comptines d’Ash, il observait l’horizon. Il fallait, dans un premier temps, sortir de sa vie précaire. Il réfléchissait donc à la manière la plus efficace de gagner de l’argent, tout en le rapprochant de son objectif.

« Le bois... Mais c’est bien sûr ! Si je deviens charpentier, je serai payé pour construire des bateaux de pêche, et je n’aurai pas besoin d’argent pour me faire construire le mien quand je serai prêt à partir. »

Un enfant qui parle seul, c’est plutôt commun, mais heureusement que personne ne traînait du côté de la jetée quand il se mit à rire et à courir, en hurlant qu’il serait le prochain à s’en aller. Il n’était pas bien vu, gamin ou non, de parler de quitter cette île. Bien que personne n’osait même penser à naviguer les eaux troubles de Rocashire, les Westshire n’appréciait pas que des idées d’émancipations se répandent dans la tête des gens, ce serait un frein pour les affaires.

Sa mère ne comprenait pas les désirs de son unique enfant, qu’elle qualifiait d'idéaliste. Elle aurait voulu qu’il continue à l’aider, qu’il devienne grand et fort et qu’il fonde une famille à son tour. Veuve d’un mari épris de la même « stupide » aspiration, on pouvait lire sur la mine inquiète de son visage, qu'elle soupçonnait une folie héréditaire.

« Souviens-toi de comment la mer a pris ton père, ne l’oublie pas Roger. Les rêves sont bons pour ceux qui peuvent se permettre d’en avoir. Tu grandiras, et avant que tu n'aies le temps de le réaliser, tu auras de nouveaux objectifs, tu auras de nouveaux devoirs, ne laisse pas ton insouciance d'aujourd'hui condamner ton futur. »

Le petit boute-en-train grandissait, et malgré les interminables sermons de sa mère, il continuait de n’en faire qu’à sa tête. Il s’était fait un ami, Hernan, le fils cadet de la famille vivant non loin de leur petite bâtisse. C’était un petit bon à rien, à la tête dure et au sang chaud, ce qui le rendait très attachant mais non moins insupportable. Il était toujours vêtu du même pantalon troué au niveau du genou et de son pull blanc, jauni par le temps. Mais c’était le cas des petites gens, donc ça n’était rien aux yeux, ni aux narines de Roger.
Ensemble, ils allaient souvent faire les 400 coups au marché du village voisin. Une longue avenue pavée de galets, de tailles et de couleurs différentes, longeant des huttes de pailles et de bois abritant les vendeurs et les maigres ressources qu'on pouvait imaginer trouver à Rocashire. L’avenue se terminait sur une toute petite place circulaire, où se trouvait les bâtiments d’artisanats, reposait en son centre une vieille fontaine qui, lorsqu’elle se décidait à fonctionner, ne projetait qu’une eau brûnatre de saleté.

Au fur et à mesure que le temps passait, Roger fini par transmettre à Hernan sa passion pour l’aventure, et ils décidèrent qu’une fois en âge, ils iraient découvrir, ensemble, ce qu'il se cachait de l’autre côté de l'horizon. Malgré leur jeune âge, ils étaient déjà très clairvoyant quant à leur avenir. Ils se devaient d’apprendre des métiers qui serviraient leur projet. Hernan se mit à côtoyer les pêcheurs, pour apprendre à naviguer ainsi en cas d’approvisionnemment urgent, une fois au coeur des marées. Roger devint l’apprenti d’un des seuls charpentiers de l’île, Alexander.
Alexander, est un homme d’une trentaine d’année, robuste, à la carrure taillée par les années de travail acharné. Il portait toujours un bandana qui recouvrait le dessus de sa tête, pour éviter de salir sa chevelure blonde qu'il laissait tout de même dépasser "négligemment" et un long manteau de cuir très léger, sans manches pour éviter de le gêner dans son travail, disposant de plusieurs poches dans lesquelles il glissait ses outils. Ses mains étaient énormes, recouvertes de cicatrices et dégageaient une véritable impression de puissance, elles témoignait de son expérience. Son visage, lui, était d’une propreté rare, une barbe de quelques jours était parsemée un partout sur son visage, avec une concentration plus importante au niveau du menton, c’était d’ailleurs le seul petit défaut qu’il semblait s’autoriser. Il arborait toujours un grand sourire radieux quand il se retrouvait à travailler dans son atelier. Il l'avait fini par l'accepter en tant qu'apprenti, après s’être reconnu dans les yeux brillants du jeune garçon qui lui racontait, quitte à affronter les foudres de sa mère, ses projets de quitter cette île maudite sur un navire qu’il allait construire lui-même.

« Je vais prendre la mer. Je veux être secoué par ses remous, sentir son air salé me caresser le visage, quitte à ce qu’elle m’emporte à tout jamais. »

Alexander avait secrètement enfoui un rêve similaire, dans un endroit scellé de son coeur. C’était d’ailleurs le père de Roger qui l’avait inspiré, et c’est également lui qui, contre sa volonté, avait fini par ouvrir les yeux du charpentier en fermant les siens à tout jamais. Mais de voir son fils parler de la même manière avait ravivé en lui une flamme qu’il pensait éteinte à tout jamais.

Les jours passèrent, les mois et les années défilèrent et Roger devint un jeune homme éclairé, aussi bien bâti que son maître et, surtout, le charpentier le plus doué de l’île. Tout le monde passait désormais par leur atelier. Désormais, Il pouvait subvenir à ses besoins, ceux de sa mère tout en économisant une partie de ses gains. Ils avaient d’ailleurs emménagé dans une maison avec beaucoup plus d’espace à leur disposition, bien trop grande pour juste deux personnes. La gratitude de sa mère et la satisfaction d’un travail bien fait était devenu son moteur pour se réveiller le matin, mais bientôt un nouveau carburant allait s'y ajouter.
Depuis quelques semaines, la jeune fille de l’orphelinat, qui devait avoir son âge, venait tous les jours, à la même heure, sur la place du marché. Elle venait donner un coup de main à ses frères qui avait été embauché par les Westshire pour réparer la fontaine centrale.

Quand il finissait sa journée, il allait retrouver Hernan à la taverne de la place, où la même fille travaillait en tant que serveuse le soir. La taverne était tenue par les Westshire également, c’était une profonde bâtisse en pierre au plafond bas, toujours bien animée et pleine à craquer. On y servait la meilleure bière de l’île, rien d’étonnant que tout le monde cherchait à s’y détendre après les dures journées de labeur sur ce rocher maudit. En poussant la porte on trouvait, à sa gauche, le long bar qui servait à la fois d’accueil, de réserve et de cuisine. S’enchaînait, à droite de l’entrée, trois rangées de longues tables en bois, pour ceux qui aimait se réunir et faire la fête autour d’un banquet, le reste des places étaient agencées autour de tables rondes plus ou moins grandes. La jeune orpheline se baladait de table en table avec dextérité pour récupérer la vaisselle, servir et prendre les nouvelles commandes. Quand elle passait par la petite table ronde, au fond de la pièce, à laquelle se retrouvaient nos deux jeunes hommes, Roger n’arrivait même pas à articuler sa commande. Hernan avait fini par le remarquer et le poussait à aller lui parler mais il n'en trouvait pas le courage. Bien que sa réputation ne fût plus à démontrer en tant qu'artisan, qu'il avait l'habitude de discutailler avec sa clientèle, prendre son courage et aller aborder une inconnue, à la beauté si intimidante, était une épreuve qu’il allait avoir du mal à surmonter.
Enfin, il envisageait bientôt de monter son équipage et avait déjà commencer l’élaboration de son plan pour pouvoir quitter l’île, ça fait bien des années qu’il s'y prépare, se rajouter une attache n'était pas raisonnable.

« R - Ca ne sert à rien Hernan, c’est déjà suffisamment difficile de penser à partir d’ici et tout laisser derrière nous et tu voudrais que je me rajoute une ancre supplémentaire ? On doit se concentrer et repérer qui est-ce qu’on va pouvoir prendre avec nous sur le bateau, on a besoin de gens forts et intrépides !

H – Ne change pas de sujet comme ça ! Et puis on en a déjà parlé, tu t’occupes de construire le rafiot et je m’occupe du recrutement. Bon, je te propose un marché, tu vois la fontaine qui n’a jamais fonctionné ? Si elle et les autres gars de l’orphelinat finisse par la réparer avant que tu ne finisse notre bateau, tu devras aller lui parler. Et puis, t’es populaire ici, elles en ont toutes que pour toi, tu ne l’as laisse pas indifférente, crois-moi !

R – Bah... j’ai besoin de quelques mois encore et j’aurai terminé ! Cette fontaine, elle est foutue depuis toujours, c’est pas demain la veille qu’ils arrangeront quoi que ce soit. Mais je t’en prie, si je finis le bateau avant qu’elle ne finisse, je prends le titre de capitaine du navire ! »

Hernan leva sa choppe, déjà ivre mais sûr de lui, un sourire malicieux aux lèvres, comme s’il savait quelque chose que Roger ignorait, il s’écria :

« Aye Aye Cap’taine ! Marché conclu ! Tu me remercieras bien assez quand tu emporteras ta bien-aimée avec toi, à la conquête du monde ! »

Un silence tonitruant s’abattit ensuite au-sein de l’échoppe. Même les clients les plus éméchés, semblaient se rendre compte de la gravité de tels propos dans un lieu appartenant aux Westshire. Roger, insouciant face à l'attention que son ami avait attiré, saisit son verre et alla le claquer contre le sien, dans un grand éclat de rire. Petit à petit, le cours des conversations reprirent jusqu’à ce que l’ambiance redevienne semblable à son habitude.

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