Chapitre 6 : L'héritage d'une journée typique

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Une trentaine d’années s’était écoulée depuis cette maudite journée. Après le "Jour du Feu", la place était devenu impraticable pour les vendeurs et les artisans. Les Westshire ayant abandonné cette zone, il leur fallu trouver un endroit de substitution. Il ne fallut pas beaucoup de temps pour que l'immense maison de Roger soit envahie par ses détracteurs, qui les chassèrent, sa femme et lui, afin de se réapproprier le terrain.
Ils s’étaient enfuis vers la forêt, emportant avec eux les outils de Roger et les souvenirs de leur vie passée, à jamais perdue.

Il construisit une cabane miteuse, le temps de se refaire. Ils s’y installèrent, dans cet abri de fortune, entre arbres de pins et littoral. Où elle finit par lui annoncer qu’elle était enceinte. Là naquirent son premier fils, plus tard, virent le jour dans ce même abri, son second et son troisième. Le temps de se refaire qu’il disait. Bahar retourna supplier la famille Westshire, de la reprendre à leur service, pour pourvoir aux besoins de sa famille. Ses enfants étaient devenus maître en chasse à la vermine. Quand la proie était assez dodue, elle finissait à la casserole, un gros rat était souvent synonyme de festin.

Roger, durant toutes ces années, était devenu un homme aigri, assisté et incomplet. Toujours à grommeler des phrases incompréhensibles, au sujet de se laisser guider et de l’ironie du sort, dans sa barbe grisonnante. Il n’avait plus goût à la vie depuis bien longtemps. Mais la petite famille ne lui reprochait jamais rien, ils étaient tous au courant de son histoire. Bahar les berçait de la gloire passée de leur père pour les endormir. Ses enfants étaient adultes désormais, mais personne ne voulait faire travailler les enfants de ce misérable Roger, « évidemment ». Leur quotidien était un enchaînement semblables de lever et de coucher de soleil, sans réel but que de chercher un repas plus appétissant ou ne serait-ce que plus copieux que celui de la veille.

Un jour comme les autres, Alex, son fils aîné, vînt lui annoncer la mort du « Vieux Hernan ».
C’était un vieux fou, à la rue, qui ressassait des histoires toutes aussi insensées que ce que Roger murmurait dans son coin. A propos d’aventures qu’il aurait vécu, sur les mers.
Il lui annonça la nouvelle, sans s’attendre à une quelconque réaction de sa part, c'était simplement à titre informatif, ils ont quand même été amis, à une époque, avait-il pensé.
Cela-dit, c’était bien le contraire qui allait se produire, cela eu l’effet d’un électrochoc qui semblait avoir ouvert son esprit à une entièreté de nouvelles perspectives.
Cette information qui n’était pas si surprenante que ça, compte tenu du mode de vie du vieil homme, alluma une étincelle dans le regard de son vieux père. Comme si le Roger d’antan, perdu dans les limbes de son esprit avait fini par retrouver le sentier qui le ramènerait au contrôle de ce vaisseau qu’était devenu son corps.

Il était là. Roger était de retour, il se reprît en main et avait un seul objectif devant lui. Une lueur brillait tellement fort devant lui, qu’elle allait guider ses faits et gestes, avec une conviction inébranlable. Il allait quitter cette île avec sa famille, et allait vivre son aventure !

Il récupéra son matériel, s’improvisera bûcheron et initia ses fils à la charpenterie. En moins d’un an, ils construisirent un nouveau navire. Certes pas aussi grand et impressionnant que le premier, mais il ferait plus que largement l’affaire pour qu’il puisse embarquer à cinq dessus et s’en aller vivre l’aventure de leur vie. Bahar était contre, et avait tenter de les en dissuader mais rien n’y faisait.
En un rien de temps, il avait réussi à donner un but à ces jeunes hommes, qui jusqu’alors, n’avait rien connu qu’une horrible routine, à manger pigeons et rats, sans avenir aucun sur ce maudit rocher.
C’était certes un changement soudain dans leurs vies, mais c’était exactement ce dont ils avaient besoin. Bientôt eux aussi se feraient emporter par la mer, ils veulent que les vagues les montent jusqu’au ciel, leur âme brûlait d’une vive et féroce flamme de vaincre désormais. Pouvaient-ils réellement résister à l’appel de la mer qui faisait bouillonner leur sang ?
Ils étaient prêt à défier les pires tempêtes, guider par le vent libérateur des eaux salées, tout sauf rester sur cette île.

Ça y est, c’était le moment d’y aller. A l’aube, dans le plus grand des secrets, ils allaient enfin lever l’ancre. Bahar, dans un dernier élan de bon sens, tenta de convaincre Roger de rester et de ne pas mener ses enfants vers une mort certaine. Elle avait déjà décidé qu’elle n’irait pas avec eux, mais elle ne voulait pas qu’il lui ôte ses fils de sa vie, qui représentaient l'unique lumière de son existence.

« Je suis enceinte Roger. Tu ne peux pas me laisser comme ça ! Tu ne peux pas me faire ça, pas après toutes ces années. »

S’écria-t-elle. Les émotions la submergeaient, sa voix en était nouée. Elle qui n’avait pas connu ses parents, elle ne pouvait pas s’imaginer qu’on lui retire ses enfants. Mais rien n’y fait.

« Ne t’inquiète pas Bahar, tu sais bien que c’est l’oeuvre de ma vie et c’est aujourd’hui aussi celle de nos fils. Je sais que tu sauras t’occuper de celui-ci. – en mettant sa main sur le ventre de sa femme – Je reviendrai vous chercher, je te le promets, tu lui expliqueras que ses frères et moi sommes partis à la conquête de l’univers. Univers dont il héritera. »

Il lui tourna le dos pour se diriger vers la sortie, rejoindre ses fils qui l’attendaient à côté de leur embarcation. Elle s’empressa de saisir un couteau. La main tremblante, elle l’attrapa par l’épaule, le retourna et lui posa sous la pomme d'Adam, en guise d'ultime menace. Mais il n’y avait pas une once de peur dans les yeux de l’homme, plutôt une détermination implacable. Son regard était parlant.

« Si tu dois me trancher la gorge, fais le maintenant, mais plus rien ne peut me retenir ici. »

Elle le comprit, elle s’en doutait, car c’est cette détermination qui l’avait fait tomber amoureuse. Abattue, elle le laissa s’en aller et se posta à la fenêtre pour observer leur départ, impuissante.

De là, elle observait cette immense étendue d’eau, et le bateau qui devenait de plus en plus petit, s’éloignant de l’île, le rapprochant de ses rêves.

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