Chapitre 2 : Un livre, une vision

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Voilà bientôt quatres jours. Quatres jours que Bahar est debout à leur seule fenêtre, contemplant l’océan, stoïque. Elle était livide, son regard perdu dans cette étendue infinie, vide de vie, comme si son âme cherchait à rejoindre les millions d’autres qui, avant elle, avaient rejoint les fonds marins. Elle n’a pas été travailler et n’avait pas dit un mot durant tout ce temps.
D’ailleurs, le temps passait et son fils se plaignait un peu plus, chaque fois, de son ballonnement. Ils n’avaient rien mangé, mais lui, dans son insouciance, allait tout de même accomplir son rituel. L’appel de la mer ne pouvant, apparemment, être ignoré.

Il profita de son état pour aller se balader sur la plage, sans risquer ses foudres. C’était la première fois qu’il y allait en journée, l’occasion de profiter de la lumière du soleil afin d’analyser la scène, il y trouverait peut-être un indice.
Effectivement, en arrivant sur place, il vit un objet qui dépassait du sable. Il s’empressa d’aller le déterrer, et il y trouva un vieux bouquin. « Les aventures de Ash, vol. 23 », scellé de sa ceinture en cuir, et gravé des initiales E. O.

Le livre était légèrement usé par les voyages et les aventures qu’il a dû traverser, certes, mais il était extrêmement bien entretenu. L’eau ne l’ayant absolument pas endommagé, à croire qu’il avait été délicatement déposé sur le sable sans qu'une simple goutte de pluie n’ait atteint son cuir brillant et encore moins sur une de ses pages, à peine jaunies par le temps.

Les aventures contaient la légende d’Ash. Il les connaissait déjà par coeur, on chantait son histoire dans les comptines pour enfants. Son nom était également cité dans des livres, au moins, aussi vieux que la dynastie des Westshire.
On racontait qu’il avait tenté de s’échapper de Rocashire, de naviguer sur cet océan maudit, et qu’avant d’atteindre l’horizon, son vaisseau coula face à la violence des vagues. Ni lui, ni un seul des hommes suffisamment fous pour l’accompagner ne survécut. On les éduquait à éviter la mer. Cela dit, ce livre était différent, il semblait avoir été écrit à la main, comme un journal de bord. Ash aurait bel et bien existé et aurait tenté de naviguer hors de cet endroit maudit.

Il avançait dans sa lecture et allait de surprises en surprises, Ash serait apparemment revenu sur Rocashire et serait la raison de l’introduction d’une partie de sa faune et de sa flore, ainsi que de plusieurs technologies qui servaient, aujourd’hui encore, les habitants. Avant de reprendre la mer pour aller vivre de nouvelles aventures.
Le journal décrivait des paysages inconnus dans l’esprit du petit garçon, et plus il le lisait, plus il réalisait l’immensité du monde qui l’entourait. Les descriptions étaient si précises, qu’elles prenaient vie dans son esprit. Des plaines de grains de sables, des châteaux, des villes sous-terraines, des créatures aux spécificités aussi surprenantes que monstrueuses, tout semblait si irréel et pourtant si tangible en même temps.

Quand il arriva enfin au bout, les premières lueurs de l’aube se reflétaient sur l’eau, il avait été absorbé par sa lecture qu'il avait veillé dehors.
Il referma le livre, à bout de souffle. Tout ces mots défilaient encore devant ses yeux. L’adrénaline ne redescendait pas tant l’afflux de son imagination le faisait vibrer, il ne s’en était guère rendu compte mais son ballonnement s’était étendu à ses poumons, l’élancement était en train de l’asphyxier. Ses poumons étaient obstrués, il fallait réagir. Il rassembla tout ce qui lui restait d’énergie et de courage et se mit à courir. Il avait l’impression que son corps s’enfonçait dans le sable à chacun de ses pas, chaque mouvement lui coûtait un peu plus. Sa vision était de plus en plus floue, chaque respiration relançait cette douleur aïgue qui venait traverser sa cage thoracique. Sans s'arrêter dans sa course effrénée, il porta une main au cœur et serra le tissu miteux de son chandail de son petit poing. L’autre alla agripper sa gorge nouée, par un réflèxe inexplicable, comme pour souligner son manque d'air, avant de tomber les genous au sol. Les rayons du soleil l’éblouissaient mais il discerna tout de même ce qui semblait être une femme, juste là, devant lui.
C’était Bahar. Sa peau était pâle, une blancheur morbide. Elle avait les bras tendus vers l’océan, le regard absent. Après quatre jours de silence, des mots sortirent de sa bouche. Doucement, elle susurrait quelque chose d’inaudible.

Dans un dernier sursaut de vie, il se projeta littéralement dans sa direction, sa courte vie traversa son esprit. Ce n’était pas le moment de mourir, il devait lui aussi suivre l’exemple d’Ash et partir à l’aventure. Un sentiment partagé entre l’excitation que lui avait provoqué sa lecture, à l’idée que lui aussi pourrait vouer sa vie à voguer sur les océans et le soulagement.
Le soulagement de s’être trouver un objectif. Le soulagement de savoir que sa mère était sortie de sa léthargie.
Dans sa ruée, un sourire se dessinait sur son visage, il réussit à saisir une phrase parmi les nombreux râles incompréhensible de sa mère. Elle avait l’air de chuchoter à l’oreille du vent, à l’oreille des morts, à qui veut bien l’entendre. Elle se tourna vers son fils, pour l’enlacer.

« Enfin... enlace-moi... »

Et c’est ce qu’il fît, il lui sauta littéralement dans les bras, les yeux fermés, et se laissa aller dans son étreinte. Apaisé par cette vague d’affection d’une étrange froideur macabre, le cœur léger et toujours le sourire aux lèvres, il réussit à prendre une grande inspiration, finalement.

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