2.

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Romy avait les yeux rivés sur le pare-brise et contemplait davantage le vide rendu vertigineux par la vitesse que la route qui défilait sous ses yeux. Un mélange d’émotions vrillait son cœur. D’un côté, elle admirait Diane pour le ton sans appel sur lequel elle avait parlé à ce gros lard de Durieux. D’un autre, elle en voulait à sa mère d’avoir balayé l’hypothèse du CPE d’un revers de main. Elle devait bien reconnaître à Durieux son sixième sens. Lui seul semblait se soucier de ce qui pouvait la tarauder pour qu’en moins d’une année, elle abandonne tout ce qui faisait d’elle, l’élève sérieuse et investie d’autrefois.

Romy délaissa son abîme extérieur pour observer sa mère du coin de l’œil. Diane se tenait droite, les racines de ses cheveux impeccablement plaqués au-dessus de sa queue de cheval et ses doigts vernis de rouge enroulés autour du volant en cuir. Sa parfaite maîtrise l’exaspérait. Certes, sa mère s’était toujours montrée présente et dévouée à ses besoins, ne rechignant jamais à lui faire réciter ses leçons ou à lui consacrer de longues minutes de lecture-câlin, alors qu’elle jonglait déjà comme elle pouvait entre son travail et la maison, sans montrer de signe de faiblesse. Mais, alors que Romy grandissait et qu’un flot d’émotions déferlait sur elle sans qu’elle en comprenne l’origine et les conséquences, Diane lui apparaissait au contraire dénuée de sentiments. Il lui semblait vivre à côté d’un robot, programmé pour qu’elle ne manque de rien, dispensant tout juste sa petite dose d’affection quotidienne pour parfaire son rôle de mère.

Cependant, depuis quelques mois, Romy s’était mise à analyser le monde dans les moindres détails. Et, Diane n’avait pas échappé à son œil affûté. La jeune fille avait noté que les sourires de sa mère étaient furtifs, voilés par une sorte de tristesse que ses cours de français avaient défini par le terme « mélancolie ». Romy s’était alors intéressée à cette notion, troublée par ce mot qui donnait consistance à ce qu’elle ressentait, elle. Et, durant les longues heures qu’elle passait, enfermée dans sa chambre à s’assommer de ballades Rock/Métal, elle songeait à l’origine du vide qu’elle ressentait chaque jour un peu plus. Durieux avait eu le nez fin. Le manque de son père avait creusé son lit, en silence d’abord, jusqu’à couler dans ses veines, dans son cœur, de ses paupières dans un bruit assourdissant de chute d’eau. Plus d’une fois, elle s’était blottie contre sa mère, avait entendu son cœur battre au même rythme que le sien, et, certaine d’éprouver la même chose qu’elle, l’avait questionnée sur ce père qu’elle taisait depuis tant d’années. Mais, à chaque fois, un long silence lui avait répondu avant que Diane ne se dégage de son étreinte, mal à l’aise avec ce sujet devenu tabou.

Romy détailla une fois encore sa mère dont le mutisme emplissait l’habitacle depuis l’entretien avec le CPE. Ce semblant de paix l’oppressait.

— Tu dis rien ?

Fidèle à elle-même, Diane ne sourcilla pas et garda le regard rivé sur la route. Puis, après quelques longues secondes durant lesquels plus d’un ange passa, elle répondit.

— J’aurais beaucoup à dire mais je crains de le regretter.

Romy se mordit la lèvre. Sa mère semblait plus en colère qu’elle ne se l’était figurée.

— Depuis combien de temps ?

— Depuis combien de temps, quoi ?

— Depuis combien de temps, te noircis-tu les poumons ?

Romy leva les yeux au ciel.

— Je crapote juste. Y’a pas mort d’homme !

Pour la première fois depuis leur départ du collège, Diane délaissa la route pour poser un regard sombre sur sa fille. Mal à l’aise, Romy jeta un coup d’ œil à travers le pare-brise.

— Maman !

Un coup de klaxon précéda le coup de volant que Diane mit pour reprendre sa trajectoire. Puis, un silence froid s’abattit de nouveau sur elles deux.

— Essaie de comprendre aussi…

— Qu’est-ce que je dois comprendre, Romy ? Vas-y, explique-moi les raisons pour lesquelles tu gâches ton avenir !

— Tout de suite, les grands mots ! Tu vois, on peut pas parler avec toi.

Diane braqua sur la droite et s’immobilisa sur le trottoir en tirant d’un coup sec le frein à main.

— Je t’écoute Romy.

— Je ne suis pas la seule à fumer ou à redoubler…

— Et, c’est censé me rassurer ? À chaque bêtise, tu trouves le moyen de faire pire ensuite. Qu’est-ce qu’on m’annoncera la prochaine fois ? Qu’un garçon t’a mise enceinte ? Que non contente de crapoter, tu t’es mise à te droguer ?

Romy haussa les sourcils.

— Tu ne me fais pas confiance !

— Non, Romy, je ne te fais pas confiance, en effet !

— De toute façon, tu t’en fous de moi !

Diane sentit l’injustice lui mordre le cœur et inspira pour ne pas réagir de manière trop vive.

— Ne pars pas sur ce terrain, Romy !

— C’est vrai, quoi ! Même cet abruti de Durieux a réussi à comprendre ce que toi, tu ne vois même pas ! Ou que tu ne veux pas voir…

Le sang de Diane se mit à pulser plus fort sous sa peau. Elle connaissait d’ores et déjà les prochains mots de sa fille et le visage d’Arnaud fit une fois encore son apparition. Diane ferma les yeux. Elle ne voulait pas le voir, pas entendre Romy l’appeler. Elle voulait revenir quelques années en arrière lorsqu’elle n’avait que sa douleur à elle à dompter.

Consciente du trouble soudain de sa mère, Romy reprit d’une voix plus douce.

— J’ai juste besoin que tu me parles de Papa… Juste un peu.

Diane luttait pour ne pas hurler, pour retenir les sanglots qui l’étouffaient. Le monde autour d’elle tanguait, assailli de part et d’autre par des images d’Arnaud. Des images qu’elle pensait avoir noyées sous un torrent de larmes. Une douleur atroce, vieille mais familière, reprit possession de son corps. Diane serra les dents. Il était hors de question de la laisser s’immiscer dans ses plaies aujourd’hui recouvertes de cicatrices.

Sans un mot, Diane remit le contact, actionna son clignotant gauche et s’inséra sur la voie libre.

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