Nuit 4
Emilia
La trois-centième « dernière retouche » maquillage et c’est déjà le moment d’entrer en piste. Sérieux, un jour faudra qu’on m’explique l’intérêt de se faire belle pour passer à la radio. Barbie a essayé, ça m’a donné sommeil.
BARBIE : Allez, on se remue, starlette.
NIBIL : Il est 8 heures, chers auditeurs. Et quoi de mieux pour commencer la journée que la chronique humoristique de Hey-Milia ! Votre chroniqueuse radio préférée nous vient tout droit de l’Île du Dragon et elle a le bras long, je crois.
BENZO : Milia, c’est vrai que vous avez été goûteuse pour les restaurants Boca ? L’une de nos auditrices demande : « Qu’est-ce qui est essentiel pour réussir les empanadas ? »
NIBIL : Le temps de cuisson ?
HEY-MILIA : La vérité, Nibil, c’est que personne chez Boca ne fait mieux les empanadas que ma grand-mère. Son secret ? « Tirez-vous de là sales morveux ou je vous cure le nez au rouleau à pâtisserie ! »
BENZO : Ahah, pas commode Nonna !
NIBIL : Ça c’est sûr. Tu penses que ta grand-mère tournerait dans notre rubrique cuisine ? Ça, ce serait pas banal !
BARBIE : Fin du chrono.
Nouveau message :
« Hey, Milia ! … C'est con hein, je m'attends toujours à entendre ton « Yo, Vani ! », comme quand on était gamins. C'est con comme ça me manque : Nojolevos, Nonna, toi, faire des conneries avec toi dans l'arrière-boutique. J'ai tout ce que j'ai toujours voulu, hein, mais y a des jours où j'ai un coup de mou… »
Nonna… l’arrière-boutique… on dirait une autre vie.
Est-ce que tu vas bien, Vani ?
Est-ce que tu es avec…
« … Jeffrey quand y disait qu'y suffit d'vendre du rêve aux gens. La p'tite là, j'lui ai promis qu'elle en baverait, qu'elle aurait d'la concurrence et qu'elle allait d'voir tout sacrifier pour le Temple. Bah bingo, elle a signé direct. L'a même pas lu l'contrat. T'y crois, ça ? »
Mais qu’est-ce que tu racontes, Vani ? Dans quoi tu trempes encore ?
T’as pas la voix d’un mec heureux.
BARBIE : C’est parti, on se magne.
NIBIL : Il est 17 heures, chers auditeurs, et on retrouve la talentueuse, l’hilarante, la pétillante Hey-Milia pour notre redoutable… heure des blagues !
HEY-MILIA : Toc-toc.
BENZO : Qui est là ?
NIBIL : Oh, je sais ! Deux bouteilles, un chiffon, un briquet…
HEY-MILIA : Une poule qui parle verlan.
NIBIL : Ça non plus, c’est pas banal !
HEY-MILIA : Qu’est-ce qui…
BARBIE : Fin du chrono.
Message en attente.
« Haï souerre, Emilia. Tu vas adorer ici. Bref, la tueuse millionnaire m'engueule comme jaja…»
C’est moi qui vais te tarter comme jaja, ragazzo ! Attends un peu que je sorte de.. que j’aie… un jour de congé…
« Wow, l'affreux Jojo, faut prendre un peu d'sourire en poudre, mon pote ! »
C’est qui cette fille ? T’as des amis ? Faudra me la présenter, elle a l’air fun.
« Elle, c'est Katerina Luski. Un putain d'bon numéro. Les clients se l'arrachent. Y en a qui disent qu'elle a le goût d'barbe à papa, genre où tu vois. Elle est chiante, genre attachiante. Pis elle est comme moi, elle adore prendre son pied. »
Qu’est-ce que… Ouais. C’est vrai. J’adorais ça. Jusqu’à Jeff. Jusqu’à ce qu’ils nous monte l’un contre l’autre. Rappelle-moi… pourquoi tu me call ? Pourquoi tu m’laisses des mémos en boucle ? C’est fait exprès pour pas qu’j’oublie your fucking voice ? Si tu voulais tellement faire partie de ma vie, fallait me rattraper ce jour-là. Maintenant, je suis… une vraie…
BARBIE : Rappelle-toi, y a qu’une prise, c’est du direct.
HEY-MILIA : Je sais, je…
NIBIL : Il est 23 heures, chez auditeurs. Hey-Milia est avec nous et on joue à un petit jeu. Action ou vérité ?
BENZO : Vérité !
HEY-MILIA : Quel est le truc le plus strange que t’as avalé ?
BENZO : Ah… euh… Dix… ah… zépineux…
NIBIL : En langue commune, on appelle ça des cactus.
BENZO : Ouais, bon… Milia, action ou vérité ?
NIBIL : L’action, fais l’action !
HEY-MILIA : Vérité.
BENZO : Le déguisement le plus improbable que t’aies porté.
NIBIL : Oh, je sais ! Le coup de la fée, là ! "Scions du bois, scions du boa…"
HEY-MILIA : Je voulais être une fée des bois, ma mère avait compris “fée des boas”, du coup je ressemblais à une maquerelle aristo.
BENZO : Mais mort de rire !
NIBIL : C’était pour carnaval ?
HEY-MILIA : C’était la fête de…
BARBIE : Fin du chrono, on remballe.
Message en attente.
« J'enrage que tu t'sois cassée en solo, Emilia, sans déc. Tout ça parce que tu pouvais pas blairer Jeffrey, hein. T'avais la rage qu'il ait de meilleurs plans qu'toi, pis tu voulais pas m'prêter d'toute façon, avoue… »
T’as tout faux, Vani. Tout faux. Ce type c’était qu’un plouc. J’voulais pas qu’il profite de toi, j’voulais pas qu’il gâche nos rêves. Mais t’adores ça toi, le gâchis. T’es même fier de te vautrer dedans.
« Tu t'sens de quelle humeur, dis-moi, dans ton tiralasauvette sans contrôle sanitaire, à écarter les cuisses tous les quarts d'heure shoutée au nibilium ? Fière ? Eh, t'en fais pas Emilia, t'es mon prochain investissement. »
Je… je…Non. Je passe à la radio pendant que toi… tu speak toujours pas l’english.
Tout à fait, Vani. Moi, j’vis le rêve que t’as foutu en l’air.
Je passe…
… à la radio.
BARBIE : Eh, tu sais ce qu’on dit, pas de repos pour les artistes.
NIBIL : Il est une heure, chers auditeurs. Avec nous cette nuit, l’infatigable Hey-Milia, tout droit venue de… du…
VOIX EXPLOSÉE : Hey, Milia. Ça y est, j’ai assez… J’vais pouvoir te sort…
Vani ?
Il a la voix des lendemains de soirées, celle d’un mec qui parle en dégobillant.
VOIX PLATE : Il est de quelle couleur, lui ?
VOIX MYSTÉRIEUSE : Gruseu, pourri jusqu’à la moelle.
VOIX PLATE : Il avait l’air de vouloir l’aider.
VOIX MYSTÉRIEUSE : C’est peut-être mieux comme ça.
Vani ?!!!
Il fait chaud à crever. Je fais le tour du studio. Barbie ? Benzo ? Nibil ? Personne.
Même pas de studio.
C’est le black-out.
VANI : Hey, Milia, faut que… eurk, eurk… tu reviennes. Faut qu’on… eurmmm… s’casse de là. Milia ! Errrr… Putain, Milia, bouge !
J’me sens plus, j’suis perdue et tout me brûle à mort.
C’est comme si… tout fuitait.
Barbituriques, plus assez fort.
Benzodiazépines, plus assez fort.
Nibilium… évaporé.
J’peux plus bouger.
On me porte pas, je vole, j’sens pas les bras me tirer.
VANI : J’te lâche… errrr… pas. C’est… a phocking promaïze !
VOIX DOUCE : Elle a quoi ? T’as quoi ? Vous fichez quoi ici ?
VANI : M’faut un docteur… Faut m’emmener à Red Hill.
VOIX DOUCE : Nan, vous tiendrez pas jusqu’à là. Mais j’sais où y a un toubib. C’est pas loin, à trois docks. Il bosse sur le bateau où j’suis marin.
VANI : Eh, j’te r’connais toi. T’es le gars d’Sancho. Eeeeerb… Va pour le poissonnier… errrk… Go me recoudre with a phocking fishingue net !
Vani… my best friend forever, mon “rirmão”… Il a pas changé d’un chouilla. Il jure tout l’temps quand sa bouche veut dire “merci”. Il attire pas la sympathie. Et c’est très bien, comme ça, moi non plus, j’ai pas à le remercier.
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