99.2
Moins à l’aise en mer que mes sœurs, je laisse les commandes à mon amie et m’installe à la table de la cabine où je rouvre le grimoire, prête à découvrir les mémoires d’il y a un siècle et demi. Mais cette lecture, encore, a un goût de trop peu. La jeune Delmara Melendez y relate les mésaventures vécues avec son père, à la fin de l’année 1964.
Dans la frénésie de la crise du logement d’Anakar, plusieurs parcelles de l’Île aux Fleurs, prestement désertée par ses colons un siècle auparavant, sont vendues aux enchères, l’hiver précédent, à des promoteurs privés. On lance sans tarder le chantier d’une ville entière. Joint au carnet, le plan de Neatwater figure deux quartiers séparés par un immense parc – une jungle apprivoisée. D’un côté, les barres d’immeubles et de bureaux ; de l’autre, une flopée de pavillons entourés de jardin. Plus au Nord, la gare prévoit déjà d’étendre ses rails au reste de l’île : annonce ferrée de la conquête et de la déforestation qui, à ma plus grande joie, ont échoué.
Et pour cause, deux mois après l’emménagement des sept-cent-trente premières familles, les promoteurs se retrouvent sans nouvelles de tous ses locataires. Ils font dès lors appel à Donovan Melendez, descendant d’une illustre famille d’explorateurs et cartographes, lequel embarque dès le lendemain avec sa fille unique pour inspecter l’île des diables-blancs.
Delmara, alors âgée de vingt-quatre ans, tient le journal de bord et, au cours de la traversée, y martèle sa peur sur le papier. Peur héritée des dessins de cet ancêtre, dont les plantes dévoreuses d’hommes n’avaient rien à envier à l’imaginaire de Lovecraft. Delmara est friande de ces histoires d’horreur mais ne tient pas pour autant à en vivre une elle-même.
Par chance ou par malheur, son père et elle ne croiseront aucune liane anthropophage. Lorsqu’ils débarquent sur l’emplacement supposé de la Cité Millénium, ils découvrent les immeubles éventrés par d’immenses tiges pétrifiées et plus dures que la roche.
Ils campent au milieu de ces ruines plusieurs semaines durant. Donovan observe la dégradation des bâtiments et rédige d’innombrables rapports assommants sur la résistance des matériaux à la flore invasive de l’île. Delmara, de son côté, multiplie les courtes escapades dans la jungle et dresse la carte sommaire du versant de l’île inexploré par ses ancêtres. Meilleure en photographie qu’en mesures de terrain, elle documente chacune de ses trouvailles. Tant et tant que les clichés surpassent ses mots.
Je parcours des yeux, figés par le noir et blanc de la pellicule, les murs craquelés des pavillons, les intérieurs désolés où, par les vitre brisées, la jungle a soufflé ses graines et ses feuilles mortes et les façades des immeubles où serpentent, d’une fenêtre à l’autre, les bras géants de cette plante-fossile. Au plus loin que Delmara se soit aventurée, je découvre la gare, son toit percé par un essaim de lianes tentaculaire, ses quais explosés de part et d’autre par la course des racines, ses rails devenu le terrain de jeu des plantes qui s’y entortillent. En avançant dans la forêt tropicale, ne restent que les gros plans pour révéler les kilomètres de voirie dévorés par la végétation.
— N’as-tu pas trop d’étoiles dans les yeux, pour quelqu’un qui tient entre ses mains le témoin du décès simultané de deux-mille-cinq-cent individus ?
L’objectivité de Rosythia me fait cligner des paupières. Vite, chasser la fascination qui a pris racine en moi. Je ne peux nier, pourtant, me trouver béate devant le pouvoir sans borne de la Nature, capable de démolir en quelques semaines ce qu’il a fallu près d’un an pour ériger.
Ma culpabilité n’a pas le temps de bourgeonner, déjà mes yeux se sont heurtés à une photographie des plus étranges. Dans la densité feuillue de la jungle, dépasse une forme blanche. Delmara a tenté d’agrandir le cliché et, malgré le grain saturé de l’image, on y reconnaît sans peine la moitié d’un visage, émergeant derrière les feuillages. Un visage à la peau et aux cheveux plus blancs que les plages des Sœurs Mauriel.
— Faus…
Ma voix se brise, comme si ma gorge refusait de donner corps à cette idée. Il n’est tout bonnement pas possible que ma sœur ait été présente sur l’Île aux Fleurs, plus d’un siècle avant notre naissance. L’unique texte qui accompagne cette photo tient en une question : « Diable-blanc ? ». Question qui n’en est plus une puisque son autrice, en griffonnant cette supposition au crayon à papier, en a déjà, je le sens, atteint la certitude.
Le père et la fille rentrent chez eux dès le lendemain. Donovan Melendez laisse une copie du rapport lacunaire qu’il transmet dans la foulée aux sociétés immobilières. Il y est dit que la flore de l’île présente des propriétés invasives et un degré de toxicité incompatibles avec les volontés d’urbanisme traditionnel. Les photographies saisissantes de Delmara servent de soutien à ces propos, hormis celle du diable-blanc, qui restera classée dans les archives familiales avec les contes de plantes mangeuses d’hommes.
— D’accord, Alfonso est passé pour fou, mais Delmara avait la preuve…
— Cerise !
Je lève la tête du grimoire. En moins de temps qu’il n’aurait fallu à la plante-monstre pour ravager une maison, Rosythia nous a guidées à bon port.
À l’arrière du Rocher, un escalier sinueux flirte avec le relief escarpé. Ses marches d’albâtre relient le manoir cossu, au sommet, à la demi-douzaine de quais flambants du petit port privé. Seuls le yacht d’affaires de Lord Orsbalt ainsi qu’un hydroplane fuselé, taillé pour les traversées urgentes, dorment le long de leurs embarcadères respectifs et nous nous insérons sans peine sur l’un des nombreux emplacements vacants. Rosythia débarque la première. Je glisse avec précaution le Grimoire des Melendez dans mon panier, puis accepte l’aide qu’elle m’offre, paume tendue, pour me hisser à ses côtés.
Vue d’ici, en contre-jour, Whistlestorm ressemble au bas d’une gigantesque mâchoire : ses toits pointus, ses faîtages subulées et ses immenses paratonnerres, tous taillés pour déchiqueter les tempêtes qui siffleraient trop près.
— Combien crois-tu qu’il y ait de marches, Rosie ?
— Trois-cents-cinquante-huit.
— Toi, tu as vérifié en ligne…
— Je plaide coupable.
— Est-ce qu’on y explique aussi par quel miracle les Orsbalt et leurs armadas de bagages viennent à bout si fréquemment d’un passage aussi pentu ?
— Tu ne vas pas tarder à le voir.
Sitôt ma curiosité piquée, l’ombre d’une réponse s’esquisse tout en haut de l’escalier. Une forme cahotante le dévale à une vitesse inhumaine. Lorsqu’elle parvient deux virages plus haut que le port, je discerne enfin les contours d’une grande cabine, ses panneaux de bois, fenêtres à jalousies. Deux personnes suffisent à porter ce palanquin monumental. Du moins le pensé-je jusqu’à ce que, le drôle de cortège arrivant devant nous, je reconnaisse la carcasse d’acier des infatigables robots fonctionnels.
La porte de la cabine s’ouvre et une main gantée me fait signe d’approcher, mais je m’immobilise à mi-chemin en reconnaissant les yeux azurs et la longue chevelure blonde d’Hazel Orsbalt.
— Inutile, m’arrête-t-elle avant que j’ose la révérence. Nous sommes presque sœurs, à ce stade.
J’ai beau savoir quel accueil chaleureux elle a réservé l’autre fois à Nolwenn et Eugénie, combien de compliments elle leur a inspirés et l'étendue des sentiments qu’elle nourrit envers Luna, il émane de la Duchesse une force glaciale, un charisme écrasant. Son vrai visage est loin de la candeur joviale qu’elle expose pour les médias lors des garden parties.
— Es-tu venue seule ? insiste-t-elle face à mon silence craintif.
— Mon amie Rosythia s’est jointe à moi.
Surprise, Lady Orsbalt hausse un sourcil à la vue de l’androïde. À en juger ses porteurs, j’imagine que les robots fonctionnels pullulent au manoir, au même statut que l’électroménager. Mais son regard s’adoucit et un léger sourire ravive ses lèvres pâles.
— Il n’y a plus personne pour mettre en doute l’humanité des cyborgs, à présent que les prothèses biomécaniques s’imposent comme la norme. La voie qu’ouvre Rosythia n’est que la suite logique… Enfin, soyez toutes deux les bienvenues. Je vous en prie, montez.
Nous prenons place à bord de la cabine, assez large pour quatre – peut-être six personnes, à condition qu’elles soient aussi menues que la Duchesse. Pour mon plus grand soulagement, les porteurs androïdes gravissent le Rocher si vite qu’il n’y a pas besoin de réfléchir à un sujet de conversation. Si Hazel Orsbalt m’intimide, dès que nous sortons du palanquin sur la terrasse arrière et que je vois, sous sa galerie voûtée, accourir Adoria, mon cœur tremble de joie. Je m’élance sans réfléchir à sa rencontre et la serre dans mes bras, aussi fort que si je ne l’avais pas vue depuis plusieurs saisons.
Les retrouvailles sont accélérées par la maîtresse de maison, qui déjà nous somme de la suivre jusqu’à ses appartements. Et l’ordre du jour doit être suffisamment confidentiel, pour qu’Hazel ait choisi de nous réunir, non pas dans son salon privé, mais dans une pièce adjacente, exiguë et chargée d’une banquette de cinéma. Emmanuelle et Roxane nous y attendent déjà. Je ne sais pas laquelle enlacer en premier mais, encouragée par le regard entendu que m’adresse Sher, je laisse mes pas me porter jusqu’à Roxane. Elle a la mine sombre, l’ai amaigri. Bien que mon cœur refuse encore d’admettre dans quel taudis elle se trouvait captive, ses yeux fuyants, son étreinte timide et sa robe de lin d’une sobriété déconcertante – probablement empruntée à Hazel – forcent dans mon esprit l’image de ma sœur asservie, touchée contre son gré, crispée dans des bras moins aimants que les miens et au creux desquels, pourtant, je la sens se déliter.
— Je suis désolée, Roxie, nous aurions dû…
— Je me suis foutue toute seule dans cette merde, m’interrompt-elle d’une langue cinglante, trop bien forgée par l’autoflagellation.
Comprenant aussitôt qu’aucun de ses reproches ne s’adresse à autrui, je ne prends pas la mouche quand elle me repousse et se rassoit.
— Tu n’es pas fautive, insisté-je. On t’a tendu un piège. C’était une erreur de nous séparer en premier lieu. Si vous étiez restées à la villa…
— Ah ça, raille Emmanuelle, ça t’aurait fait plaisir, hein !
Je n’ai rien fait pour mériter son ton acerbe.
— Tu as une réclamation à me faire, Sher ?
— Il aura fallu attendre que Roxane soit la proie des proxénètes et que Luna manque de se tuer pour que tu sortes le nez de ta serre.
— Tu es injuste ! Je suis venue l’autre fois à…
— Allons, allons, nous reprend Hazel, dont l’autorité paraît toute naturelle. Puisque nous sommes au complet, prenez place, je dois vous parler sans attendre.
— Faustine ne vient pas ? m’étonné-je.
— Tu la connais, toujours injoignable ! souffle Emmanuelle. Faustine serait morte qu’on ne le saurait même pas.
Sur ce point-là, elle n’a pas tort, et ça ne date pas d’hier.
— Non, ce n’est pas aujourd’hui que j’aurais l’honneur de rencontrer la huitième sœur. Dommage, on me l’avait dépeinte comme un phénomène.
Pour sûr, Hazel ne manque pas de répartie, mais je sens, sous le rire de façade qu’elle affecte, combien elle lutte pour refouler le chagrin dont les notes amères teintent sa voix.
— Qu’est-il arrivé à Luna ? demandé-je.
La main ducale nous commande une énième fois de nous asseoir. Peut-être craint-elle de nous voir défaillir, une fois lâchée l’annonce. La boule au ventre, je me laisse tomber sur le strapontin, entre Ad’ et Rosie.
Hazel s’installe face à nous, juchée devant l’écran sur un haut tabouret. Dans d’autres circonstances, je l’imaginerais sur le point de nous délivrer une performance comique. La tirade qui suit tient malheureusement plus du fait divers que du standup.
— Comme je vous l’ai communiqué, tôt ce matin, Luna a été grièvement blessée. L’infirmière Jeringa du Temple de Vénus a pu lui prodiguer les premiers secours et ses jours ne sont, le ciel soit loué, plus en danger. Elle se repose en ce moment dans sa chambre, sous sédatif et inconsciente. Vous ignorez peut-être que Luna et moi communiquons… comment dire ? Par des voies astrales. Elle pensait y rester et souhaitait que je vous relate la vérité.
« Avant toute chose, sachez que j’ai connaissance de la mort de votre père, ainsi que pour vos transformations. Ne perdez pas de temps à vous en inquiéter : personne mieux que moi ne peut garder un secret.
« Peu après votre arrivée à Elthior, Luna s’est mise à fréquenter Awashima Hirata, tout en sachant qu’il s’agissait de l’assassin de votre père. Son plan était simple : lui faire baisser sa garde pour découvrir ses réelles motivations. Il se trouve qu’Awashima est un modèle de robot expérimental extrêmement avancé. Son père et le vôtre auraient partagé un laboratoire, il y vingt-cinq ans de cela. C’est dans ce laboratoire que vous auriez été conçues, à l’heure où la Pacification cherchait à développer de nouvelles armes biologiques. Les deux scientifiques avaient conclu un accord : Luna la presciente devait user de son aura pour insuffler une âme au robot de M. Hirata. Seulement, votre père a pris la fuite en emportant vos huit fœtus, rompant ainsi sa promesse.
« Les Hirata n’ont eu de cesse de chercher une psykos aussi douée que Luna, en vain. Le malheur a voulu qu’ils finissent par retrouver la trace de votre famille. Ils ont éliminé votre père avec pour but premier de mettre la main sur Luna. Pour ce faire, ils auraient bénéficié du soutien d’un certain Théo, dont l’implication reste floue, mais qui chercherait, pour sa part, à récupérer les armes – c’est-à-dire vous.
« Ces derniers mois, Luna avait fait la connaissance de sa mère biologique, une puissante médium qui, elle aussi, a péri sous le joug des Hirata. J’étais présente lorsqu’elle a découvert le corps. Luna s’est rendue chez les Hirata, a effacé pour de bon Awashima et, après une lutte acharnée, a terrassé Noboru au péril de sa vie. Le lac artificiel qui surplombait l’atelier des Hirata s’est effondré sur eux et j’ai heureusement pu la secourir in extremis.
« Je serai franche. L’état de votre sœur est encore instable, ses blessures sont sévères et, à moins que l’on envisage plusieurs greffes de bioderme, jamais elle ne retrouvera son apparence d’antan. Plus inquiétant : nous ignorons qui est Théo et par quel biais il pourrait s’en prendre à vous. Luna est l’être le plus cher à mes yeux et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour protéger sa famille. Pour l’heure, je puis juste vous garantir les meilleurs soins pour votre sœur, vous offrir le gîte, un appui financier, et tendre l’oreille à ce qui se dit dans les hautes sphères. Si quiconque y connaît Théo, soyez assurées que je ne négligerai aucune information.
Hazel Orsbalt a le ton rassurant et étrangement paternaliste d’un dirigeant rôdé aux situations de crise. Sa maîtrise d’elle-même est exemplaire et, même si l’émotion a plusieurs fois déformé ses mots, elle a poursuivi vaillamment, sans se laisser submerger.
— Faut croire que la redoutable Fugu a laissé en vie le seul danger public qui valait le coup qu’on l’élimine ! soupire Emmanuelle.
— Tu sais pas de quoi tu parles, Em’, la reprend vivement Roxane. Si t’avais rencontré une seule de ces ordures, t’aurais souhaité les tuer toi aussi, plusieurs fois même, pour être bien sûre.
Il me faut attendre un thé fumant et une farandole de gâteaux servis par une soubrette RF12 pour que l’on me mette au parfum de ces meurtres. J’écoute, horrifiée, Emmanuelle me dresser le palmarès de l’empoisonneuse et Roxane défendre sans faiblir celle qui, dans le crime, est devenue pour elle une sœur.
Que dois-je penser des agissements de Fugu ? Savoir Roxane saine et sauve me suffit, je n’ai pas à juger leur tableau de chasse. C’est une toute autre question qui me taraude.
— Pourquoi Luna ne nous a-t-elle rien dit ? Nous aurions pu nous battre ensemble…
— On a vu ce que ça donne quand j’essaye de me battre, se renfrogne Adoria.
— Tu as été innocentée, Ad’, lui rappelle Emmanuelle.
Que celle qui l’a disculpée soit aussi l’assassin de notre père n’étonne pas que moi.
— L’attachement d’Awashima pour Luna semblait sincère, explique Hazel d’une voix gonflée des sanglots qu’elle refoule. Peut-être Rosythia la comprendra-t-elle mieux que nous.
— Je crois que les objets ont une âme, affirme l’intéressée. Tous les objets, pas seulement les robots. Cette âme dépend seulement de ce qu’on y insuffle. L’Awashima qui a tué Magnus était un outil chargé de la rancœur de son père, celle qui s’est laissée désactiver devait avoir jugé que le bien de Luna passait avant le reste. Les robots sont programmés pour choisir le bien, encore faut-il qu’ils soient capable de le reconnaître. Par extension, nous sommes capables de refuser les requêtes injustifiables, et donc de décider quels humains nous servons. Je pense que cette évolution, elle aussi, fait partie de notre code.
Nos débats s’assèchent en même temps que nos tasses. Nous terrons dans le sucre glacé et le sablé cannelle l’appréhension qui s’est insinuée en nous. Nous avons beau déplorer que Luna ait agi seule, son sacrifice en dit long. Il dit d’abord combien Luna nous aime. Mais il exemplifie aussi une réalité que je n’ai jamais voulu m’avouer : on choisit toujours pour les autres ce qu’on estime le mieux pour eux.
Comme Luna s’imaginait que nous digérerions sa perte, peut-être me suis-je trompée en décidant d’être par tous les temps, toutes les humeurs et toutes les circonstances le soutien sans faille de cette fratrie. Peut-être avait-on besoin, en fait, que je m’oppose, que je résiste, que je remue les consciences. Roxane aurait-elle renoncé à son rêve, si je lui avais mis sous le nez les scandales à la pelle des Classes Spectus ? Si au lieu d’écouter ses poèmes je m’étais occupée d’arroser Luna d’autant de positivité que mes ancolies, aurait-elle fait plus cas de sa vie ? Et si j’avais admis ne jamais vouloir déménager, Emmanuelle aurait-elle renoncé à partir ?
— J’ai une question, nous interpelle Roxane.
Comme si toutes les miennes ne me suffisaient pas. Par habitude, mes sœurs et moi nous attendons à ce qu’elle ait perdu le fil. Ad’ jubile même déjà à l’idée que Roxie puisse avouer une incompréhension qu’elle-même refoulait fièrement.
— Comment les Hirata ont-ils su où nous vivions ? Et pourquoi personne n’a tenté de s’introduire dans la villa depuis ?
Emmanuelle a bossé le sujet et y va bon train sur les conjectures. Soit l’ennemi s’est montré prudent face à la menace de nos métamorphoses, soit il espérait que nous prenions le large. J’y vais moi aussi de mon grain de sel :
— Si quelqu’un guettait le bon moment pour voler les travaux de Magnus, il ne devait pas s’attendre à ce qu’on ait une militaire à la maison.
— Une militaire ?
C’est vrai, Roxane n’est pas au courant. Je lui présente Dolorès en photos sur mon holosphère. Que Nolwenn ait une petite amie ou que celle-ci soit originaire de Puertoculto, cela n’a pas l’air de la surprendre. Le vernis écaillé de son ongle effleure l’hologramme d’un geste tremblant.
— Cette fille… elle est arrivée sur l’île… quelques heures avant la mort de Papa.
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