À ma porte se tient la Laideur.
Mais elle n’est pas une étrangère venue d’un autre monde. Non, elle est l’enfant de l’humanité, née de nos choix, de nos silences, de nos blessures.
Elle porte mille visages : celui d’un mari dont la colère brûle plus fort que l’amour, d’une mère qui noie ses peines dans l’alcool pour oublier l’ombre de ses jours, d’un dealer dont le regard trahit la faim et la misère.
La Laideur, ce n’est pas qu’une apparence déformée ou une tâche sale. C’est le reflet brisé de ce que nous avons créé, un miroir que nous refusons souvent de regarder.
Je l’observe, et dans ses yeux fatigués, je vois nos erreurs, nos peurs, nos espoirs déçus.
Au mari en colère :
Tu ne connais que la violence.
C’est ton langage, ton abri, ton armure. Tu cries parce que tu n’as jamais appris à parler autrement.
Tu frappes parce qu’on t’a frappé, parce que les sentiments refoulés te brûlent plus fort que les mots.
Mais dis-moi, comment pourrais-tu aimer… si personne ne t’en a jamais montré le chemin ?
À la mère noyée dans l’oubli :
L’oubli, c’est la sortie de secours que tu as prise trop souvent.
L’alcool a remplacé les bras qui auraient dû te retenir.
Tu n’as jamais voulu fuir, pas vraiment — tu voulais juste que la douleur se taise.
Tu n’es pas faible. Tu es fatiguée. Mais les super-héros, ça n’existe pas…
Pas tant qu’on ne choisit pas de le devenir pour soi-même.
Et je sais… faire le bon choix, c’est celui qui fait mal tout de suite, mais qui guérit dans dix ans.
Au dealer au coin de rue :
Tu ne blesses personne de tes propres mains.
Mais chaque nuit, ton âme se recroqueville un peu plus.
Tu te dis que tu ne fais que nourrir un système — que d’autres l’ont bâti, pas toi.
Mais regarde ce que tu pourrais bâtir, toi. Ce que tu pourrais réparer.
L’argent contrôle ce monde, oui. Mais il n’achètera jamais ta paix.
Et à toi, Laideur,
Tu n’es pas le monstre. Tu es le cri.
Tu es la trace de ce que l’on a oublié de guérir.
On t’a créée, façonnée, nourrie de silence et de honte.
Et pourtant…
Tu es là pour qu’on te voie. Pour qu’on n’oublie pas.
Tu es l’enfant de ce monde — et peut-être qu’en te regardant bien en face,
enfin, on apprendra à faire mieux.