De la fugue comme moyen de tester son ingéniosité... Ou pas.
Quand on a seize ans, qu'on n’est pas très dégourdi et qu'on vient juste de fuguer de chez ses parents, on a plusieurs solutions. Soit on s'est préparé à l'avance, on a de l'argent, des vêtements confortables, un point de chute, des gens de confiance à contacter et, surtout, un projet. Soit on est parti la fleur au fusil et au bout de vingt minutes de marche on réalise que 1) les pantoufles de vair c'est joli dans un château mais ça fait mal aux pieds 2) il fait froid dès qu'on quitte le confort du palais royal qui possède une cheminée dans chaque pièce 3) la grande robe en soie froufroutante n'était peut-être pas la tenue la plus judicieuse pour une fugue efficace*
* NDLA: À moins de s'appeler Anna Wintour et de prévoir la fugue la plus élégante du monde. On s'enfuit, oui, mais avec classe !
Quand on a seize ans, qu'on n’est pas très dégourdi et qu'on vient juste de fuguer de chez ses parents, si on est dans la vraie vie on doit se méfier des étrangers, surtout s'ils portent un imper et qu'ils stationnent devant les écoles. On doit aussi éviter les ruelles sombres, les bars mal famés, les couloirs du métro et en général tous les endroits peu fréquentés et/ou peu éclairés. Et évidemment, on doit absolument éviter de se faire remarquer.
Mais quand on a seize ans, qu'on n’est pas très dégourdi et qu'on vient juste de fuguer de chez ses parents, si en plus on se trouve dans un conte de fées alors là, ça se corse. Déjà parce qu'on risque de rencontrer en un même lieu et dans un même laps de temps : des ogres, des sorcières, des elfes, des licornes, des ânes qui parlent, des morts-vivants, des filles qui se baladent avec des peaux d'animaux morts sur le dos, des loirs dans des théières, des loups avec le ventre rapiécé ou des idiotes qui laissent traîner leurs cheveux partout. Soit la lie de l'humanité. Et ce n'est pas une liste exhaustive. Ce n'est même pas le premier alinéa du premier paragraphe de la liste.
Éviter les lieux sombres et inquiétants ça pose aussi un problème vu qu'il n'y a plus ou moins que ça. Pour vous dire, un agent immobilier de conte de fées (oui, ça existe), il vous fait visiter soit une tour à moitié écroulée perdue dans une forêt profonde dans laquelle on ne peut monter que par une échelle de cheveux ; soit un château entouré d'un fossé plein de lave et où l'animal de compagnie obligatoire est un dragon furieux ; soit un autre château beaucoup plus calme pour le coup mais entouré de ronces quasiment infranchissables et dans lequel vous risquez de connaître un sommeil éternel (sauf si vous aimez que des inconnus à l’haleine plus ou moins fraîche viennent régulièrement vous léchouiller la figure).
Autant vous dire qu'il peut faire tout le home-staging qu'il veut, l'agent immobilier, il va quand même plus galérer à vendre ce genre de bien plutôt que des maisons mal décorées situées dans des couloirs aériens.
Ensuite, la fugueuse de conte doit éviter de se faire remarquer. Ça, à la limite, ça ne semble pas si difficile. Une cape sombre, une tenue de paysanne, emballé c’est pesé. Mais ça, c’est si on a un brin de jugeote. Allez essayer de vous fondre dans la masse quand vous vous baladez au milieu du marché local en tenue d’apparat et avec un diadème tellement luxueux que toutes les pies de la région vous tournent autour. Si en plus vous traversez les lieux en dévisageant chaque personne que vous croisez, il y a de fortes chances pour que vous vous fassiez remarquer encore plus rapidement qu’un vegan au milieu d'un Steak house.
Pour sa défense, il faut préciser que la jeune princesse n’avait jamais mis les pieds hors du palais royal et que les seules personnes qu’elle y croisait n’étaient pas véritablement représentatives du reste de la population du royaume. On peut alors comprendre sa stupéfaction quand elle se rendit compte qu’à l’extérieur de son domaine, les gens non seulement ne soignaient pas leur apparence mais qu’en plus, ils puaient (certains semblaient même porter leur odeur comme un manteau), qu’ils vociféraient et qu’ils semblaient tout ignorer de la politesse élémentaire, du bon-goût et de l’usage des seize couverts réglementaires pour tout repas, même informel*.
* Les dîners importants utilisaient, eux, une trentaine de couverts dont une curieuse fourchette à huit dents acérées dont personne ne savait exactement à quoi elle pouvait bien servir mais qu'il était de bon ton de garder avec soi en prévision de la fin du repas, lorsque le vieil oncle (ou cousin/ami de la famille/voisin, vous voyez de toute façon de qui je parle) un peu trop imbibé commençait à vouloir vous tripoter. La fourchette à huit dents acérées devenait alors le seul moyen de maintenir votre zone d’intimité en obligeant le vieux cochon à rester assis sur sa chaise.
Elle découvrait donc la vie, la vraie, et réalisait que ses seize premières années au palais ne l'avaient absolument pas préparée à affronter le monde réel qui sentait nettement moins bon que ce qu'elle imaginait (d'autant plus qu'elle pensait que le vrai monde sentait le romarin).
Ce n'était bien sûr que le début, elle aurait bientôt à affronter nombre d'autres désillusions mais n'allons pas trop vite sous peine de voir notre héroïne rentrer dare-dare à la maison en mettant un point final plus rapide que prévu à cette histoire.
Mais heureusement pour nous, si elle était triste comme un jour sans pain, elle n'en était pas moins déterminée (qui est le mot gentil pour dire têtue). Elle décida donc de faire fi de sa première mauvaise impression et de tenter de comprendre l'univers étrange dans lequel elle venait de débarquer, tels les explorateurs mythiques qui avaient découvert le fameux continent oublié des éléphants à carapace bosselée ou les alpinistes qui avaient triomphé de l'infranchissable montagne des dragons furieux. Elle allait parler à ces gens, comprendre leur étrange façon de vivre pour se fondre dans la masse, en un mot elle allait « s'imprégner ». En tout cas, elle allait essayer.
Et pour commencer, elle allait s’adapter à la population locale. Finies les locutions raffinées, les formules de politesse et la concordance des temps, elle n’entendait depuis son arrivée en ville que vociférations, grognements et grossièretés, et il était clair pour elle que c’était son accent aristocratique qui l’handicapait pour se fondre dans la masse de la populace.
Je sais ce que vous vous dites : non seulement elle ne savait pas sourire mais elle était en plus complètement nigaude. Cependant, elle était têtue, enfin, déterminée à s'intégrer, aussi décida-t-elle à l'avenir de calquer son élocution sur celle de ses gens. Du moins comme elle imaginait qu'ils parlaient. Et justement, elle voyait se présenter la parfaite occasion de mettre en application son sens aigu de la linguistique avec un groupe d'autochtones en train de se restaurer.
Ça tombait bien, ça faisait au moins une heure qu'elle n'avait rien avalé et son appétit de princesse bien nourrie pouvait se réveiller à n'importe quel moment. C'est donc avec un véritable entrain qu'elle s'approcha d'un étal qui distribuait ce qui semblait être de la nourriture, malgré l'étrange couleur marronnasse et la consistance bizarre, plus proche pour elle de la boue qui recouvrait le sol que de ce qu'elle appelait un repas.
Elle rejoignit la file d'hommes qui attendaient d'être servis, se faufilant sans vergogne entre deux malabars qui patientaient depuis des heures, ce qui contribua tout de suite à les mettre dans de bonnes dispositions.
Des éclats de voix s'élevèrent immédiatement contre les malotrus qui s'avisaient de prendre la place des autres dans les files d'attente, contre les aristocrates qui ne montraient aucun respect envers le bon peuple travailleur, contre la météo, le curé, les collecteurs de taxes qui leur ôtaient de la bouche le pain qu'ils n'avaient pas encore et, surtout et avant tout, contre les femmes en général qui se croyaient tout permis parce qu'on ne pouvait pas les frapper en public, ce qui était d'ailleurs honteux et on allait devoir y remédier pas plus tard que maintenant.
Pêle-mêle, ça représentait un vacarme gigantesque auquel la princesse prit soin de participer, histoire de passer inaperçue au milieu de tous ces hommes fort bruyants, en se rangeant au côté de tous ceux qui criaient un peu fort avec force hochements de tête et « oh bah oui alors » fort bien amenés. Une bonne idée, on n'en doute pas.
Il fallut que le cuisinier tape de son énorme poing sur son comptoir pour que le calme revienne (mais on sentait que la colère populaire n'était pas loin d'éclater et de tomber sur la tête de la princesse comme la guillotine sur le cou d'un roi de France).
“ Voyons ma p'tite demoiselle, vous ne devriez pas traîner toute seule par ici, c'est pas un endroit pour vous, ça se voit tout de suite. Vous allez vous attirer des problèmes, prophétisa le clairvoyant cuisinier.
- Toutes mes excuses, je ne comprends pas... Oh !, fit la princesse en réalisant qu'elle ne s'exprimait assurément pas dans l'idiome adéquat pour ces bonnes gens du peuple. Aheum. J'crève la dalle, vingtdiou, quand c'est-y qu'on graille dans c'te gargotte, fi’d'garce, j'avions l'estomac dans les talons !
Rayonnante et pas peu fière, elle regarda autour d'elle en attendant avec impatience la réaction de ses voisins.
- Plaît-il ?
- Pourquoi elle nous parle comme ça ?
- Pour qui elle nous prend ? s'énerva la foule. Encore un des ces aristocrates pourri-gâté qui nous méprise et nous prend pour des imbéciles, mais le peuple un jour il va se révolter et tous leur couper les cou...
- Hola !
Le cuisinier, qui sentait les problèmes arriver à grand train, constata l'air désorienté de la princesse, comprenant instinctivement que cette jeune fille bizarre n'avait pas de mauvaise intention (et surtout pas un brin de jugeote) et fit signe à ses camarades de baisser d'un ton.
- Et beh ma p'tite, reprit-il en se forçant à adopter l'accent le plus cul terreux possible, faut pas traîner par ici à c't'heure avec vos belles frusques comme ça! Qu'esse vous voulez dont à des pauv' bonshommes comme nous?
- J'avions faim, peuchère ! J'voulions de la bonne bouillasse comme vous aut’ !, répondit la princesse, encouragée par cette victoire linguistique.
Les commentaires reprirent de plus belle dans son dos, non plus menaçants désormais mais franchement inquiets. Elle voulait manger... ça ?
- Z'êtes pas sérieuse, ma p'tite demoiselle ! Z'allez vous y rendre malade, c’est rien que d'la saloperie là-dedans ! l'avertit obligeamment l'homme qui se trouvait devant elle.
- Hola, faudrait voir à pas trop exagérer, s'emporta le cuisinier. Si ça te plaît pas t'as qu'à aller grailler chez toi, mauvaise langue.
- Chez moi c’est encore bien pire.
- Messieurs... Enfin, oh compagnons ! J'allions goûter cette bectance sur l'heure, foi de moi !
Le cuisinier, imaginant déjà cette jeune femme à la constitution délicate tombant raide morte devant son étal, paniquait à vue d’oeil. Suant à grosses gouttes, il se jeta sur la première idée qui passait par là.
- Ah dame, j'pouvions point vous servir à c't'heure, puisque faut viendre avec une gamelle pour que j'vous y versions la bouillie !
- Une gamelle ?
Les hommes présents dans la file levèrent obligeamment ce qui leur tenait lieu de gamelle afin de prouver que non, décidément, on ne pouvait pas se présenter ici les mains vides, et à quoi est-ce qu'elle pensait, franchement ?
- Et oui mademoiselle... Euh, bah alors la donzelle elle pensait-y qu'on graillait directement le groin dans la marmite ?
- Et bien... N’est-ce pas ce que vous faites ?
Un ange passa tandis que les hommes se demandaient s'ils devaient se sentir insultés par un tel manque de considération ou lui confirmer que, de fait, parfois, c'est effectivement comme cela que ça se passait. Mais pendant ce temps, la princesse fit fonctionner ses neurones et trouva la solution.
- Z'avez qu'à m'en vendre une, de gamelle.
- Vous la vendre... Elle a de quoi payer au moins la gourgandine ?
Le cuisinier se félicita intérieurement de son ingéniosité ainsi que d'avoir enfin réussi à placer le mot « gourgandine » qu'il avait un jour entendu de la bouche d'un bourgeois de passage mais dont il ignorait totalement le sens, sinon qu'il faisait assurément très bien dans une conversation.
- De quoi payer ? répéta la princesse aux abois qui réalisa que, décidément, fuguer était bien compliqué si en plus il fallait se préoccuper de considérations aussi bassement matérielles que l'argent. Et bien... J'ai mon diadème... Est-ce que ça suffirait ?
Un ange passa à nouveau, le copain du précédent qui s'était arrêté le temps de refaire son lacet et qui prenait le train de l'histoire en marche. Les hommes, le cuisinier compris, avaient la mâchoire qui tombait si bas qu'ils risquaient d'y mettre un coup de genou. La simplette voulait vraiment échanger son diadème contre l'une de leur gamelle ?
- Moi j'veux bien ! s'écria soudain le plus opportuniste du groupe.
- Non moi !
- Non la sienne est trouée ! Prenez la mienne !
- Si vous prenez la mienne, j'vous y donne la cuillère avec !
- Et moi j'vous donne la ficelle pour accrocher la gamelle et la cuillère à votre ceinture !
- T'as même pas de gamelle, sale escroc !
- P’têt, mais j'ai de la ficelle.
- Moi je vous donne ma gamelle, ma cuillère et ma femme pour faire votre petite vaisselle !
- Tu triches, t'es le seul qu'a une femme qui a encore ses deux bras pour faire la vaisselle…
- Et bah pas de bras, pas de chocolat, tant pis pour vous les gars.
- Tu vas voir !
Comme on pouvait s’y attendre, tout cela finit en bataille rangée. Le cuisinier n'était pas en reste et tentait d'étouffer ses adversaires avec sa bouillie immangeable tandis que la plupart des autres essayaient de se mordre mutuellement les jambes avec les quelques chicots qui leur restaient.
La petite princesse, littéralement terrifiée par la tournure des événements, se sentait responsable de ce désastre. Évidemment, elle les avait insultés en leur proposant son diadème en paiement ; comment un bijou si commun et si inutile pouvait-il compenser la perte d'un outil indispensable pour assurer la subsistance de ces malheureux ? Elle n'était décidément qu'une bécasse bonne à rien, qui ne semait que la colère et le chaos autour d'elle.
C'est en jetant des « désolés » à la volée qu'elle s'enfuit du champ de bataille dans l'indifférence générale, courant aussi vite que le lui permettaient ses talons trop hauts et sa tenue inconfortable. Elle finit par se jeter derrière un puits et s'agenouilla pour pouvoir pleurer toutes les larmes de son corps à l'abri des regards.
Ça dura un moment parce qu'elle en avait quand même gros sur la patate, mais cela cessa finalement et c'est d'un geste fort peu princier qu'elle se moucha dans un de ses jupons et s'essuya le nez sur sa manche soyeuse. Elle se rendit alors compte qu'elle était assise près d'un très vieil homme dont les longs cheveux blancs couvraient entièrement le dos. Sa barbe, tout aussi longue, descendait jusqu'à son nombril. Sous ses sourcils broussailleux, ses yeux étaient laiteux. Il était parfaitement immobile, assis en tailleur, ses mains posées sur ses genoux. Tout en lui respirait le calme, la méditation et la sagesse.
- Scusez-moi de la dérangeance, commença-t-elle avant de gémir. Oh, mais de qui est-ce que je me moque, je suis incapable de parler ainsi, cela va à l'encontre de toute mon éducation. Je n'ai pas les connaissances linguistiques nécessaires pour me fondre dans la masse du peuple malgré tous mes efforts. Je suis une incapable.
Étrangement, la jeune princesse se sentit rassérénée par l'absence de réaction de son compagnon d'infortune et surtout encouragée à s'épancher davantage.
- J'ai essayé pourtant, je voulais tellement vivre cette aventure. Cette vie de princesse était si ennuyeuse et monotone, vous comprenez ? Tous les jours des repas somptueux, des bains parfumés, une compagnie spirituelle et des gens aux petits soins pour moi. C'était déjà dur à supporter mais surtout, ils passaient leur temps à me sourire comme pour me rappeler que moi, je ne pouvais pas. Et la pression parentale pour que je me montre jolie et avenante... Je ne le supportais plus. Qu’y puis-je, moi, si je ne suis ni jolie ni souriante ?
Il ne répondit pas mais son silence était suffisamment éloquent pour notre héroïne. Assurément, il s'agissait là de l'interlocuteur le plus attentif qu'elle ait jamais rencontré.
- Je vois que vous me comprenez, vous. Vous savez que je n'avais pas d'autre choix : si je voulais avoir le contrôle de mon histoire, il fallait que je quitte cette vie qui me rendait si malheureuse. Je me faisais une joie de découvrir enfin le monde réel, loin du faste, loin de mes parents. Mais maintenant que c'est fait, tout va de travers. Les gens ne sont pas du tout tels que je les avais imaginés.
Elle ravala les larmes qui menaçaient à nouveau de la submerger. L'homme n'avait toujours pas bougé ni prononcé le moindre mot mais elle sentait la désapprobation dans son attitude.
- Vous me jugez, n'est-ce pas ? Vous vous dites que je ne suis qu'une aristocrate trop gâtée qui a voulu jouer à l'aventurière sans savoir ce que ça représentait et vous avez raison, bien entendu. Mais qu'est-ce que je peux faire ? Rentrer au château et accepter une vie de tristesse et de solitude ?
Pas de réponse mais son silence lui fit sentir qu'elle avait mis le doigt sur quelque chose de capital.
- Vous croyez que je dois abandonner ? C'est ce que tout le monde attend de La petite princesse à la tronche de travers, comme ils m'appellent. Et bien vous savez quoi, je vais prouver à tout le monde que je ne suis pas comme ça, je ne suis pas que ça. Je suis une fille libre qui choisit sa vie et qui va au bout de ce qu'elle a décidé malgré les difficultés. Je suis une princesse après tout, et les princesses n'abandonnent pas. Et si je reviens un jour au château, ce sera avec un grand sourire sur le visage. Pas avant !
Toujours pas de réponse mais elle sentit néanmoins dans l'attitude de ce vieil homme la fierté qu'il éprouvait pour elle.
- Oh merci, merci monsieur, j'ai retrouvé ma motivation grâce à vous. Très certainement, vous êtes de ces sages que les héros trouvent toujours sur leur route lorsqu'ils perdent espoir ou que leur quête semble inaccessible. Vous êtes le guide qui m'a été envoyé par le destin pour m'aider à franchir cette étape de mon aventure. Merci, merci ! Je suis sûre que nous nous reverrons et que, chaque fois que je douterai ou que je voudrai abandonner, je vous trouverai sur ma route, comme aujourd'hui. Merci, merci encore !
La petite fille qui ne savait pas sourire se mit debout, la tête haute et les poings serrés, forte de sa toute nouvelle détermination. Elle allait retrousser ses manches en soie véritable, remonter ses jupons et se lancer une bonne fois pour toute sur l'autoroute de la vie qui, à défaut d'être pavée d'or, était quand même mieux que rien. Elle tapa fermement du pied sur le sol boueux et s'élança...
Une fois tombée dans la belle flaque au milieu de laquelle ses jolis escarpins s'étaient enfoncés, elle s'essuya le visage comme elle le put, ravala son orgueil blessé, fit la sourde oreille aux quolibets des badauds et se releva. Elle abandonna sans regret ses chaussures de toute façon scellées dans le sol, contourna la flaque, prit une profonde inspiration et se lança, pour la deuxième fois en moins de trois minutes, dans sa Grande Aventure.
La petite fille qui ne savait pas sourire était peut-être tristounette et pas dégourdie mais elle apprenait de ses erreurs. Elle était donc toujours fermement résolue à arpenter l'autoroute de la vie, mais à petits pas cette fois et en regardant où elle mettait les pieds.
De longues minutes après son départ, le vieil homme qui était resté jusqu'alors parfaitement immobile, se fourra le petit doigt de la main gauche dans l'oreille, secoua très fort deux ou trois fois et en retira un bouchon de cérumen de la taille d'un bigorneau. Puis il sembla se réveiller d'un long sommeil, regarda autour de lui d'un air perdu et lança un sonore :
- Qu'est-ce qu'elle a dit?
Avant de retomber dans la profonde léthargie de celui qui sait qu'il s'est passé un truc qu'il n'a pas compris et que ça ne vaut donc pas la peine de s'en préoccuper.
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