Noûr
Noûr
Maïma, Maïma, feu, fille rouge, hyène femelle, que m’as-tu fait ? Pour toi je n’ai pas dormi. Toute la nuit tu as crié dans mon sang. Tu cries dans mes veines, tu bats dans mes reins, je brûle, c’est toi qui cries. Mon cœur bat d’un pas si lourd maintenant. Cette nuit j’ai cru que bientôt il n’avancerait plus, qu'il allait s'arrêter au milieu du sentier, comme la mule de Bicha quand il la charge d’une gourde de trop et qu’elle ne veut plus faire un pas. J’ai chaud, j’ai peur, comme si j’allais mourir. Est-ce qu’on peut mourir comme ça ? Tes cheveux rouges, Maïma. Pourtant je t’appelle, je continue, je ne m’arrête pas.
M’as-tu jeté ton sort ? Ta malédiction, qu’elle retombe sur ta tête et que le Sheitan t’emporte si tu m’as envoyé le mal. Quel mal t’ai-je fait, moi ? Est-ce moi qui suis venu te chercher ? Non. Est-ce moi qui ai soulevé tes cheveux ? Non. Tu es venue, tu as soulevé tes cheveux pour moi. Tu m’as montré ton cou. Ta nuque blanche, tes cheveux roux. Pourquoi ? Si ce n’était pas pour moi, alors pour qui ? Si ce n’était pas pour un baiser, alors pourquoi ? Ne dis pas non. C’était pour un baiser.
Maïma pardonne-moi, en vérité je n’ai pas choisi, crois-tu que j’aie eu le temps de choisir ? C’est toi, tu as choisi pour moi. Tu m’as montré ta nuque, je l’ai touchée, avec mes lèvres. C’est tout. Pas plus. N’importe quel homme aurait fait comme moi. Tout autre homme aurait fait pire. Mais moi, je me suis contenté d’un baiser, pour ne pas te faire peur, pour ne pas te faire fuir, animale que tu es, animal que je suis, tu as fui. Je ne t’ai pas mordue, quand même. Ou peut-être à peine. T'ai-je mordue ? Je n'ai pas choisi. Tu as fui.
Tu as crié que j’étais fou, que ton frère te tuerait, et est-ce que je voulais ta mort, c’est ça, et la suite je n’ai pas entendu. Tu as détalé, un renard traqué qui court pour échapper à la mort, comme si j’allais te poursuivre, moi, comme si je voulais ta mort, moi. Comme une renarde en feu que les bergers pourchassent tu as dévalé la pente en évitant les rochers. Les cailloux couraient après toi, ils roulaient sous tes pas. Un gros caillou s’est glissé sous ton pied, tu ne l’as pas vu, je l’ai vu, tu es tombée. Je t’ai vue.
Je t’ai vue, un genou à terre et tes deux mains écorchées par le sable rouge. Tu t’es relevée et tu t'es remise à courir moins vite, brebis boiteuse, ton genou blessé, en silence, pour continuer à t'éloigner de moi. Tout ça pour un baiser, je ne t’ai même pas mordue. Je t’ai appelée, Maïma, Maïma, mais tu ne répondais pas, tu faisais comme si tu n’entendais rien, comme une brebis stupide qui suit son idée et n’en fait qu’à sa tête, elle croit courir vers sa liberté alors qu’elle court droit vers le ravin, avec sa patte qui traîne et la nuit qui tombe déjà. Moi, je t’aurais soignée. Ce n’est pas la première fois que je vois une brebis qui s’écorche contre un rocher, les brebis, je les soigne. Mais tu ne voulais pas de moi.
J’ai bien vu, Maïma, quand tu es arrivée tout en bas. Le sang, rouge sang, tout le long de ton mollet. Le rocher t’a mordue, lui, et tu as saigné, toi, mais moi quand je t’ai mordue par emportement ou par erreur, ou peut-être par amour, tu n’as pas saigné, et pourtant tu m’as fui comme si j’étais pire que le rocher qui écorche la peau alors qu’on ne lui a rien fait, Maïma, moi je ne t'ai rien fait. Je ne peux pas dormir, je ne peux pas travailler, tu cries dans mes bras, tu m’appelles dans mon cœur et tout mon sang te cherche. Reviens. Reviens avant la nuit.
Maïma, tu ne connais ni les bêtes ni les hommes, ni les anges du bon Dieu. Tu ne connais rien. Ta mère ne t’a donc rien appris ? J’ai pris ton cou entre mes dents comme la maman chat fait au chaton nouveau-né pour lui apprendre qui est sa mère, et qu’il n’a pas intérêt à s’éloigner d’elle. C’est comme ça qu’elle le mord au début. Il apprend à écouter sa mère et à se laisser faire quand il faut se laisser faire. C'est ainsi qu'il sait à qui il appartient. C'est ainsi qu'il apprend à ne pas s'éloigner d'elle ni trop tôt aller découvrir le monde, comme un chaton idiot qui ne sait pas qu’il ne sait rien.
Si tu n’étais pas si sauvage qu’aucune mère ne pourrait t’apprivoiser, tu saurais que je ne te voulais aucun mal. Que du bien. Délice de mon âme, reviens cette nuit, reviens une seule fois mais reviens. J’ai gardé des bâtons de réglisse pour toi, je les ai achetés à la Gnawa du marché, la grande Noire, juste pour toi, je sais que tu aimes ça. Pour quand tu reviendras.
Une fois arrivée tout en bas de la colline tu t’es retournée, je t’ai vue. Tes cheveux brûlaient dans le soleil de midi qui tombait droit sur toi, il faisait un soleil de flammes juste au-dessus de ta tête. J’ai vu que tu me cherchais des yeux, je t’ai vue, tu ne pourras pas m’enlever ce que j’ai vu. Maintenant le soleil est descendu. Il n’y a pas de vent. Il n’y a plus d’air, il n’y a rien. La nuit bat dans mes veines comme une huile épaisse qu’aucune flamme ne viendra brûler et le désir me noie. Maïma, mon âme rousse, ma sœur. Viens me retrouver. Tu es le seul cadeau que la vie m’ait jamais fait. Viens. Ne te reprends pas. Je t’en supplie. Je ne te toucherai pas.
Ou si tu veux, je te toucherai.
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