Chapitre 30 :

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Elle avait encore le goût métallique du sang dans sa bouche. La douleur se situait dans tout son corps… Dans le noir, elle ne pouvait fixer ses mains aux doigts dépourvus d’ongles. Laurène ne savait plus pourquoi elle tentait encore de rester en vie. Elle tenait grâce au partage et à l’énergie d’Ignisaqua qui accélérait sa cicatrisation. Mais cela n’effacerait pas les cicatrices qui resteraient. Elle ressemblerait à un monstre et détestait cela. Déjà qu’elle n’avait jamais été totalement bien dans sa peau…

Malgré tout, elle gardait un mince espoir d’être secourue. La seule personne capable de les affronter était Aaron accompagné d’une bonne centaine de personne, voire plus évidemment. Il ne la laisserait pas tomber. Elle s’en convainquait même si plus les jours passaient, plus elle désespérait. Aaron ne pouvait pas la laisser tomber… non ? Non, la jeune fille ne pouvait pas laisser ses doutes gagner sinon se serait fini. N’était-ce pas déjà fini ?

Alors que l’adolescente tentait de se lever péniblement, la porte s’ouvrit. Laurène profita des quelques filets de lumières qu’elle ne voyait plus. Par réflexe, elle recula et percuta le mur. De toute façon, elle ne pouvait pas spécialement s’échapper de cet endroit. Ils continueraient toujours. Quelques jours avant, la Liée aurait tenté de leur tenir tête, sauf qu’elle n’en avait plus la force. Elle ne résista même plus lorsqu’ils la plaquèrent au sol. Elle se contentait de ne rien dire, d’endurer ainsi que de supporter la douleur. Laurène se demandait pourquoi elle n’était pas encore folle, mais… peut-être qu’elle ne le remarquait juste pas. Cette pensée l’effraya… mais si elle se questionnait sur sa santé mentale, peut-être que cela signifiait que cela allait, non ?

La jeune fille ne souhaitait pas savoir au final.

Laurène revint vite à la réalité suite à une douleur qui lui transperça son bras droit. Ils avaient allumé la pseudo cellule pour une fois, ce qui ne présageait pas de bonnes choses selon elle. De toute manière, rien de bien ne pouvait lui arriver ici.

– C’est bon ? Disposée à parler cette fois ?

À la place d’une réponse constituée de mots, la Liée grogna. Ce qui n’aida pas les ennemis à comprendre le message. Mais ces derniers temps, Laurène n’avait plus la réplique facile, essentiellement afin de se maintenir en vie selon elle, en réalité car elle se sentait trop las pour. L’adolescente tourna la tête pour voir sa grande plaie au bras droit ré-ouverte. Elle grimaça en songeant qu’elle garderait cette cicatrice à vie. Et ce ne serait pas la seule ! Ses jambes en avaient pris pour leurs grades. Laurène ne savait pas s’il s’agissait de bonté ou juste de manipulation, mais ses tortionnaires épargnaient systématiquement son visage. Son statut d’élue devait sûrement influencer leur choix. Pourtant elle songeait que ce putain de statut de lui avait apporté que des problèmes jusqu’alors.

– Bon, nous allons te reposer nos questions pour que tu nous répondes, une fois pour toute. Donne nous les noms de tous les Formatés et tous les Guérisseurs que tu connais.

Cet ordre ne fit pas trembler Laurène, sachant pertinemment ce qui l’attendait après quelques minutes de silence, habituée même. Car jamais, jamais elle ne livrerait Anna et Valentine à ces monstres, même en subissant leurs violences. Laurène préférait prendre leur place. Anna ne serait pas capable de supporter. L’adolescente imaginait ses deux amies, effrayées, fatiguées, en sang. Une vision qu’elle ne pouvait tenir.

La jeune fille fixa la lame qui se planta dans sa cuisse qui entraîna un cri de douleur. La vue du sang qui s’écoulait de son corps la fit pâlir et elle détourna vite son regard alors que sa tête commençait à tourner. Laurène se sentait faible et elle l’était. Ils maintenaient son état pour qu’elle soit à leur merci.

– D’où viennent les Liés ? Comment peut-on en avoir dans nos rangs ?

– Vous en auriez peut-être si vous évitiez de les torturer puis de les tuer, souffla difficilement l’adolescente. Et on n’est pas des putains de machines de guerre ! sanglota-t-elle. On est ni invincible, ni incassable, ni extraordinaire ! Puis vous ne devriez pas avoir trop peur de nous au vu de votre facilité à nous tuer.

Laurène regrettait souvent quand elle laissait sa colère dicter ses propos car ça finissait souvent mal pour elle. Néanmoins, elle ne reviendrait jamais sur celles-ci. Pure vérité.

Sa réponse ne plut pas à ses ravisseurs. En effet, sa tête fut projetée et le goût de sang revint encore plus dans sa bouche. La mâchoire endolorie, elle cracha du sang et toussa. Elle voulait partir, s’enfuir ou mourir. Mourir lui semblait vraiment la meilleure option.

Elle souhaitait garantir la sécurité de la communauté et des personnes qu’elle aimait, mais elle se semblait si impuissante ! Elle ne s’imaginait pas Lucas mort, c’était inconcevable mais une des possibilités les plus réelles à l’heure actuelle. Elle avait terriblement peur d’entraîner tous les autres vers la mort. Autant que ce soit elle qui meure. Il n’y aurait plus de problème si elle mourrait. Je dois mourir.

Son bourreau appuya sur sa blessure, ayant été trop en profondeur, mais Laurène se sentait partir peu à peu. Son esprit se brouillait de plus en plus.

– Tu crois qu’il y aura quelqu’un pour te sauver ? demanda sarcastiquement l’homme. Mais tes camarades ne semblent pas ressentir tous les sentiments que toi tu as envers eux puisqu’ils ne viennent pas te sortir de là.

Laurène ferma les yeux, une unique larme glissant jusqu’à ses cheveux. L’image d’Aaron apparut dans sa tête. Elle avait confiance en lui. Il ne la laisserait pas tomber. Non ? Elle essayait de ne pas douter mais c’était compliqué. Surtout au moment où elle se convainquait que sa mort constituait la seule solution.

Laurène perdit conscience au moment où les deux Dresseurs réalisèrent qu’elle perdait trop de sang. Certes, leur job consistait en la violenter, mais pas à la tuer. Ils étaient allés trop loin. Le jeune homme qui avait rattrapé Laurène débarqua. Il fixa le corps ensanglanté de la jeune fille. Le Dresseur fut pris d’un mélange étrange d’émotions. Quelque chose le dérangeait dans cette vision. Il se sentait coupable alors qu’il ne devrait pas !

– Luc…

– Allez chercher les médecins. Je m’en occupe en attendant, déclara-t-il froidement. Et ne recommencez plus, tuer un prisonnier important est une faute très grave.

Son regard suffit pour faire taire les hésitations des autres qui s’en allèrent rapidement. Luc Laurewce prit le relais et s’assura que le cœur de la Liée battait. Faiblement mais toujours. Il tourna le visage tuméfié et pencha sa bouche près de son oreille :

– Tu as intérêt à rester en vie, petite idiote. Car les autres ont peut-être besoin de toi, mais nous aussi on a besoin de toi.

Il aurait juré que les lèvres de la jeune fille venait d’esquisser un mouvement. Cependant, cela n’émit aucun son. Néanmoins il resta calme : le grand Ignisaqua ferait tout son possible afin de sauver sa partenaire puisque sa vie en dépendait aussi. Et il avait raison, Ignisaqua transférait le plus d’énergie possible pour permettre au corps de Laurène de tenir. C’est cela qui sauva l’adolescente ce jour-là, avant qu’on lui prodigue des soins.

***

Lorsque la jeune fille reprit connaissance, ce fut quelques jours plus tard. Ils l’avaient transféré hors de sa cellule. Sa première réaction fut de vérifier s’il y avait quelqu’un dans les parages. Personne. Sa deuxième réaction : s’enfuir. Ses blessures lui faisaient mal mais elle se devait d’essayer. Arrivée à la porte, elle se mit sur ses gardes et s’apprêta à ouvrir.

– Si j’étais toi, je n’ouvrirais même pas cette porte, annonça Luc derrière elle.

– Encore toi, cracha la jeune fille peu ravie de le voir. Tu ne crois pas que je vais finir par utiliser les méthodes radicales à un moment ?

– C’est-à-dire ?

Laurène puisa dans la faible énergie qu’elle avait pour former des flammes menaçantes. La jeune fille fut très déçue du résultat même si les flammes firent reculer l’ennemi. Pourtant elle se rendit à l’évidence qu’elle était bien trop faible pour s’enfuir. L’adolescente entendit la porte s’ouvrir derrière elle. En quelques mouvements, le doyen des ennemis se retrouva avec son couteau dirigée par Laurène dans le ventre.

– Oh non, murmura cette dernière paniquée. Non, non, non, non…

Heureusement, le vieillard ne perdit pas connaissance même si la blessure était sérieuse. Luc prit encore une fois les choses en main et ne lâcha plus Laurène. Elle ne devait plus bouger. Les Dresseurs spécialisés en médecine soignèrent leur chef très vite et il se retrouva rapidement hors de danger. Il ordonna le retour de Laurène dans sa cellule. Luc s’en chargea encore une fois, il recouvrit la tête de la jeune fille d’un cagoule sans trou pour les yeux et l’entraîna avec lui. Laurène ne tenta rien d’autres et retrouva sa petite cellule. Puis, elle se rendit compte qu’elle n’avait même pas ses meilleures armes : ses poignards demeuraient au campus, en sécurité au moins. Comment pouvait-elle faire sans eux ? Luc la jeta dans la cellule et la referma.

– Tu devrais arrêter de jouer les héroïnes et collaborer.

– Déjà je ne joue pas les héroïnes, sinon j’aurais refusé vos soins, ce qui aurait été stupide et mets toi à ma place deux secondes. Tu te fais enlever et torturer. Voudrais-tu vraiment aider des personnes qui veulent la mort de tes amis ?

– Je n’ai pas d’amis ça règle le problème, trancha le jeune ennemi d’un ton glacial. Et je ne fais pas partie de la prophétie, donc ce n’est pas mon problème, c’est le tien.

– Vous n’aurez jamais mon aide, hurla Laurène en s’agrippant au barreau tandis qu’il partait. Avec tout ce que vous m’avez fait, aucun traitement de faveur me fera changer d’avis. Vous êtes tous des monstres ! Tu m’entends ?! Des putains de monstres ! Tu es un putain de monstre ! Vous ne méritez pas d’exister.

Il était déjà parti avant qu’elle finisse. Laurène se laissa tomber au sol, tremblante et en pleurs. Elle pleura à chaude larme, à bout de force et à bout de nerf. Elle était tellement fatiguée… Elle se savait toujours en danger en tant que Liée et qui plus est, en tant qu’élue. Cependant, y être confrontée… avoir failli mourir… cela avait terrifié Laurène et elle angoissait d’une nouvelle blessure potentielle, comme si la moindre petite éraflure pouvait l’envoyer vers la mort. L’adolescente souhaitait terriblement sortir de là, loin de ce village, retrouvée les autres, tout le monde. Mais les perspectives étaient bien sombres.

Les jours passaient, se ressemblaient et les cicatrices s’ajoutaient de plus en plus sur le corps de Laurène. Certaines disparaissaient peu à peu, mais d’autres marqueraient à vie, ne s’effaceraient jamais tout comme ces moments gravés dans la mémoire de la jeune fille. Plus les jours passaient, plus elle désespérait. Elle ne pouvait pas s’enfuir et ils ne viendraient jamais la sauver… pourquoi la situation ne bougeait-elle pas ? Le gouvernement avait-il si peu foie en elle pour l’oublier de la sorte ? Laurène se blâmait, se reprochait de n’être jamais assez forte, trop faible. Oui, trop faible, elle l’était selon elle-même et cela la frustrait énormément. Cela la frustrait d’être inutile. Elle ne se débattait même plus.

« Tu te sens mieux ? J’ai vraiment cru que tu allais y passer la dernière fois. »

« Désolée… Je me sens nulle, Ignisaqua. Comment pourrais-je sauver la société si je n’arrive même pas à me sauver moi-même ? À quoi ça sert que j’essaye même ? »

« Laurène, dis-toi peut-être que cette épreuve est nécessaire, pour toi et pour la prophétie. »

Laurène resta un petit moment muette, dans ses pensées, triant les idées qui lui venaient à l’esprit. Elle commençait légèrement à être fatiguée de ne jamais être mise au courant des choses qui la concernaient. Encore plus par son propre partenaire !

« C’était prévu, n’est-ce pas ? Toi qui as plus de connaissance que n’importe qui… il s’agit d’une étape de la prophétie. C’est pour ça que tu n’étais pas spécialement emballé par mon idée de fuite. Je me trompe ? »

« Non, admit Ignisaqua. Tu ne te trompes pas. Bon sang Laurène… comment peux-tu réfléchir dans ta situation ? »

« Tu sais bien que je réfléchis trop et actuellement je n’ai rien à faire donc… mais j’aimerais comprendre, Ignisaqua. Les voyants sont les personnes les plus informées sur les prophéties. Comment ça se fait que tu en saches plus qu’eux ? »

« Tu sais bien que je ne peux pas te le dire. Ce n’est pas le moment. »

« Pourquoi ? »

« Parce que Laurène, personne ne sait ce détail, pas même Aquaventus qui est un très bon ami à moi. »

« Je ne suis pas que ton amie ! Je suis ta partenaire ! On est lié ! Je ne suis pas comme tout le monde. »

« Je n’ai jamais dit ça ! », rétorqua Ignisaqua, la colère se sentant dans sa voix.

« De quoi as-tu peur ? »

« De devenir une proie pour les ennemis. »

« Nous sommes déjà des proies ! Je suis torturée tous les jours ! TOUS LES JOURS ! »

« Je sais. »

« Ah bon ? s’étonna sincèrement Laurène. Et ça t’amuse de me voir souffrir ? Pourquoi tu ne fais rien pour m’aider ?! Pourquoi tu me laisses comme ça ?!»

Elle ne sécha pas ses larmes. La jeune fille se sentait profondément trahi par son dragon. Laurène se retint de demander l’origine du pouvoir lumineux, mais cela lui brûlait les lèvres sauf qu’elle anticipait déjà : il dirait non et elle serait trop las pour insister. Des questions, toujours des questions ! Une habitude depuis toujours qu’elle ne s’en débarrasserait jamais. L’adolescente sortit de ses pensées en entendant un bruit dans la pièce. Elle se recroquevilla sur elle-même en attendant la sentence du jour, pourtant ils étaient déjà passés… la Liée s’inquiéta encore plus en constatant que personne allumait la lumière.

– Hey ho ! hurla Laurène. Qui est là !? Que faites-vous là ?!

L’individu ne répondit pas. Laurène se releva mais fut directement plaquée contre le mur. Son cœur s’accéléra mais elle n’avait pas assez d’atout pour s’échapper : elle ne voyait rien à cause de l’obscurité. Au lieu de passer par la porte, elle se heurterait sûrement contre un barreau. Heureusement, son agresseur ne semblait pas avoir d’arme pour la blesser.

– Tes parents te passent le bonjour, commença le Dresseur à la voix modifiée.

L’adolescente partit au quart de tour. Son poing cogna un visage, son autre poing aussi.

– Qu’avez-vous fait à mes parents ?! Jusqu’où comptez-vous aller ?! Ils n’ont rien à voir avec tous ça maintenant ! Vous êtes monstrueux.

– Comme je le répète, je suis un homme libre. Ils sont actuellement dans ton campus.

– Quoi ?

– J’ai passé un marché pour t’aider.

Si elle avait pu voir la personne, Laurène l’aurait mal regardé tellement la surprise s’emparait d’elle. Elle ne voyait pas l’intérêt de lui mentir, mais elle ne parvenait pas à y croire non plus. Un inconnu qui l’aidait ? Cela la fit rire de désespoir. Les ennemis souhaitaient juste détruire son moral pour la manipuler plus facilement. Mais Laurène était trop bornée pour se laisser retourner le cerveau par ses propres bourreaux !

– Écoute-moi bien, reprit l’ennemi sans faire attention à la réaction de l’adolescente. Tu ne sauras pas qui je suis et tu ne me verras sûrement jamais, mais je t’ouvrirais des occasions pour partir. D’ici quelques mois, ils comprendront que te laisser comme ça ne sert à rien et ils te feront sortir. Tu seras très surveillée mais cela sera beaucoup plus simple aussi.

– Vous êtes qui vraiment ? questionna Laurène. Pourquoi m’aidez-vous ? Que voulez-vous en échange ?

– Ce que je veux, tes parents s’en occupent déjà Tout ce que je veux, c’est changé la société et je sais que tu peux m’aider. Alors contente-toi de saisir les opportunités que je te fournirais.

– Alors je suppose que je peux aussi considérer ce passage comme une opportunité alors.

L’ennemi ne s’attendait pas à ce coup là. Grâce à la coordination d’Ignisaqua, qu’elle devait questionner sur ce pouvoir, une sphère de lumière apparut. Elle assomma son ‘‘allié’’ et déguerpit de la salle. Une fois dehors, elle se glissa rapidement dans la foule et entra dans la forêt.

– Bien essayé, lui lança Luc avant de la plaquer au sol. J’imagine même pas l’état de tes parents lors de ta crise d’adolescence. Tu fuguais ?

– Je fais ma crise d’adolescente depuis janvier, c’est vous qui vous la subissez, marmonna Laurène, effrayée de savoir que l’individu avait menti sur la sécurité de sa famille.

Mais Luc lui aurait dit, pour mieux la tourmentée si c’était le cas. L’adolescente se laissa faire et retourna encore une fois dans sa cellule. La mystérieuse personne s’était volatilisée.

« Ignisaqua, toi qui est si calé sur les prophéties… tu saurais par hasard quand je sortirais enfin de cette prison ? Tu sais que tu me dois bien ça, à défaut de te comporter comme un partenaire. »

« Sois patiente Laurène. Cela arrivera. »

« Quand ça ? »

« Bientôt. »

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