Chapitre 1 : Gospel

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Les larmes ne voulaient pas couler, tout était allé trop vite. Sa maladie, sa mort, la lente détérioration de sa raison, tout s’entremêlait, se confondait. Un étrange mélange, entre la certitude de la perdre et une indifférence forcée, m’empêchait d’être triste pour le moment. Il restait seulement de sa voix des sons inarticulés, ses bras pendaient le long de ses cuisses, de profondes cernes recouvraient son visage maladif. Sa tête était le champ d’une bataille acharnée. Tout s’effaçait quand je croisais son regard. À travers ses yeux bleus, je voyais qu'au fond, elle n’avait pas changé. Son sourire fièrement arboré en acte de résistance, elle se révoltait contre l’ordre établi, celui de la Nature. Délaissant le chignon, ses cheveux descendaient sauvagement le long de ses épaules, laissant croire à une forme d’insouciance juvénile. Elle souffrait, terriblement, ses pieds enflés l’empêchaient de marcher, ses migraines répétées hachaient son sommeil, la laissant, dans un état à moitié conscient durant la journée. Dès le matin, elle était assise dans une chaise au centre du jardin, nous regardait de loin, je l’embrassais en passant, la regardais de loin.

« Elle vient de nous quitter », un long silence, je m’y attendais, j’accepte. Mes parents sont venus me l’annoncer ensemble, d’une voix solennelle.

- Tu veux venir voir son corps avec nous une dernière fois, à la morgue ?

J’ai décliné, sans savoir qu’ils y allaient tous. J’imagine encore le docteur, soulevant théâtralement le linceul, pour dévoiler au monde ce corps livide, à nu. Morte, elle avait perdu toute sa substance et n’était plus qu’un amas de chair. Son chignon détaché, ses cheveux envahissaient ses bras et son visage. Comment ses lèvres s’étaient-elles figées ? J’aime croire qu’elle souriait, un dernier défi donné à l’au-delà.

Les jours suivants se passèrent dans l’attente de l’enterrement. Un jour, me voyant dissipé, le surveillant général me convoqua.

- Quelque chose ne va pas ?

- Non, tout va bien.

- Alors pourquoi tu ne veux plus aller à la sortie scolaire ?

Il me dégoutait, sa voix, son attitude nonchalante, tout m’irritait, m’énervait. Il avait jugé bon, dans ma tristesse, de mâcher bruyamment une pomme. J’étais décidé à ne pas lui dire la vérité.

- Je suis malade, je vais aller voir un médecin.

- Bon…je vais voir ça avec ta mère, t’as pas mauvaise mine…ça n’a pas l’air trop grave.

Jamais il ne lui parlera. Elle était aussi en deuil, n’allait pas recevoir un appel de ce quinquagénaire au style douteux, de la chemise à carreaux et à manches courtes aux chaussettes de noël recouvertes de sapins. Une longue inspiration me donna du courage.

- J’ai perdu ma grand-mère, les funérailles sont mardi.

- Oh…je suis désolé, je ne savais pas. Elle avait quel âge ?

- 68 ans.

- Ah ça va…c’est quand même un bel âge.

Je me levai sans le regarder, de peur de lâcher une larme, claquai la porte et m’assis sur un banc dans la cour.

Arriva le mardi.

J’enfilai un costume noir, trop grand, dont les manches m’arrivaient jusqu’aux doigts. Il était à mon grand-père, fournisseur officiel des cousins. Les chaussures de clown m’allaient à ravir, plaçaient sur mes lèvres un sourire d’enterrement, le plus puissant, le seul capable de contenir un cœur lourd. Une longue procession nous amena à la messe d’adieu. J’aurais aimé pleurer comme eux, seulement, je manquai d’intimité.

Une image, un chœur, un défilé d’inconnus,

Indifférents, câlins, gospel, voilà la rue.

Un buffet, champagne, manger, converser,

Se faire chier, manger, s’éloigner, respirer.

Un souvenir, un sourire, une robe d’été,

Un goûter, un kinder, un câlin serré.

Vint enfin l’enterrement, sanctuaire d’intimité.

Impassible, une tombe, une larme versée,

Un torrent, l’inavouable sanglot, elle m’a bercé,

Une rose, un caveau, un discours inachevé,

Inconsolable, des mouchoirs noyés, des papiers froissés,

L’envie de chialer quand je pleurs.

S’en est suivi cinq ans de sècheresse, jusqu’à aujourd’hui.

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