Chapitre 6 : le train
Le hall de la gare est gigantesque. L’importance accordée aux baies vitrées rappelle les édifices européens de la première Revolution Industrielle. Les voyageurs se ruent d’une porte à une autre, se bousculent, se bloquent, à la manière d’une colonie de fourmis, enfermée sous une coupole de verre.
Mon train arrive en gare. A peine la voie affichée, une foule impressionnante prend d’assaut les quais, je me dépêche pour atteindre dans les premiers le dernier wagon. Une vieille dame traine une valise qui fait deux fois son poids, je l’aide à monter, me retrouve dans la queue du peloton. Toute les places sont prises…non, il en reste une, à la fenêtre, derrière un porte-bagage plein.
Le train démarre. Pour tromper l’ennui, mon visage se pose sur la vitre. Le paysage défile, je me perds dans ses nuances de couleur. Mon cerveau se vide, laisse place à des pensées vagabondes. De ces moments, je ne retiens rien de précis. Le déliement de mon esprit, le sentiment d’être seulement une paire d’yeux, me fait rentrer dans un état de profonde tranquillité. Je m’imagine dehors, allongé dans l’herbe. Les frissons parviennent, des gouttes s’échappent, le seul bruit du paysage le reconstitue, et les branches deviennent des oiseaux, le vent un chant, la mer une mélodie et le temps une impression. En un instant l’extase devient totale, l’odorat s’en mêle, les pétales virevoltent sur la pointe des pieds, redescendent, atterrissent sur mon épaule, se posent sur mon nez, imprègnent ma narine, et puis, quand je les repousse d’un souffle, s’en vont peupler l’horizon…BOUM…une valise tombe par terre dans l’allée. Je me lève pour la remettre sur le porte-bagage, cette fois tout en bas, je déplace les bagages un à un. En posant la dernière valise, un papier tombe de ma poche. Le nom et le numéro de la fille d’hier soir. Je ne vais jamais la revoir, ça ne sert à rien, je vais le jeter. Une force invisible m’en empêche, le doute, le maigre espoir que j’aurai envie d’elle, qu’elle aurait envie de moi. L’Homme apprends rarement des histoires de cœur, remplies de désillusions, elles sont également sans mémoire.
De retour à mon siège, je finis par réussir à m’endormir.
On arrive en gare. Par la vitre, j’observe des voyageurs qui attendent leur train, torse nu, le t-shirt plié sur la tête en guise de casquette. D’autres tentent de se protéger du soleil en cherchant l’ombre du tableau d’informations, se plient pour tenir en-dessous. Le village où on est arrivé est encerclé de montagnes. Depuis le moyen-âge, elles le protègent des invasions de royaumes voisins. Après la réunification du pays, elles sont devenues une faiblesse, retenant la chaleur et maintenant la vallée dans une atmosphère étouffante.
Il est dix-sept heures passées, je vais partir demain matin, le temps de rassembler des provisions et de tracer mon itinéraire. Je pars chercher un hôtel et, en chemin, m’arrête pour rencontrer le guide du consulat, Mickael, élevé dans ces montagnes, et le prévenir de notre départ retardé. J’en profite pour manger un morceau. Arrivé dans ma chambre, j’essaie de dormir, en vain, j’enlève un à un mes habits, la température ne descend pas, je n’ai pas envie de réfléchir…non, j’ai sommeille. Je prends une douche glaciale avant de retourner dans les draps. La nuit va être courte.
Trois heures plus tard, je rejoins Mickael au pied d’une montagne. Il porte sur le dos deux sacs de randonnées pleins à craquer et esquisse un sourire en voyant le mien en toile.
- T’as de quoi tenir deux semaines là-dedans ?
- Oui…je crois
- T’as de l’eau par exemple ? Du savon ?
J’ai oublié.
- Non…que des habits et une carte…j’y retourne.
- T’embêtes pas, j’ai tout.
La discussion m’a relégué au rang d’enfant, dépendant d’un adulte pour me nourrir.
- Fais gaffe, y’a pas mal de serpents sur les sentiers qu’on va emprunter, faut pas marcher dessus.
- Venimeux ?
- La plupart oui…une morsure et tu gonfles, tu deviens tout rond et t’explose. Dit-il en rigolant.
Désormais confiant, je reste proche du guide, le laisse ouvrir la route. Les sentiers sont peu ou pas tracés, les lianes diminuent notre visibilité…et il se met à courir, je le suis avec peine.
- C’est bon pour les articulations, me lance-t-il, sans perdre le souffle.
L’instant d’après, je manque de trébucher sur une racine au sol, me rattrape avec ma main ensanglantée. La jungle commence à s’éclaircir. Une croix plantée au sommet de la colline d’en face nous fixe, nous défie, nous appelle.
L’ascension termine sur une plaine modeste. Une petite maison trône au centre, une maloca. Le toit en palme tressé protège des pluies, les murs en bois la laisse vulnérable au feu.
- On est arrivé chez les Otombe. Me lance-t-il en se retournant.
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