Chapitre 3 - Tu fais quoi ce soir ?

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— Paul attends !

Il se retourna et vit à l’autre bout de la rue une silhouette à la main levée. Immobile, il reconnut l’étudiant de tout à l’heure qui venait à sa rencontre. Il portait un manteau foncé et une longue écharpe de laine. Celui-ci, essoufflé, le nez rougi par le froid, lui souriait. Muni d’un sac en toile kaki US qu’il portait en bandoulière, il lui montrait un gant de laine.

— Tu l’as oublié sur le banc.

Paul saisit le gant que l’étudiant lui tendait.

— Pour une sortie discrète, c’est raté! Tu peux m’croire.

Paul ne comprit pas tout de suite ses paroles.

— Quelle sortie ? Ah oui...le professeur s’en est donc aperçu ?

Grand sourire de l’étudiant. Il lui tapota l’épaule droite.

— C’est pas grave tu sais, Durieux a l’habitude non ?

Hésitations.

— Oui... Peut-être...Merci pour le gant dans tous les cas.

— Tu fais quoi ce soir, je t'offre un verre ?

Étonné de la proposition, il répondit qu’il n’avait rien de prévu et qu’il acceptait volontiers. Il se surprit de sa propre spontanéité face à cet inconnu qui lui inspirait une confiance immédiate. Il baissa la tête, le temps de remettre ses gants, quand il vit la main de l’étudiant s’approcher de la sienne pour la lui serrer.

— Enchanté Paul, moi c’est Tom.

Il esquissa un sourire devant son enthousiasme. Comment connaissait-il son prénom?

— Viens, suis moi, dit Tom qui lui emboîta le pas.

Démarche tranquille et nonchalante, Tom lui parlait avec de grands gestes. Il le suivit sans un mot et pour mieux l’entendre, revint à sa hauteur. Il tenta de s’orienter mais ne reconnut aucune des rues qu’ils empruntaient. Il ne put s’empêcher de penser à la valise qu’il n’avait pas terminée, à l’appel qu’il avait prévu de passer à ses parents à 19h. Sans parler du film loué au vidéo club qu’il avait l’intention de regarder ce soir. Il regardait cet étudiant si enjoué, poursuivre sa conversation, sans vraiment l’écouter en réalité.

— Et voilà, nous sommes arrivés, dit Tom dans un claquement de doigts.

Il franchit la porte vitrée, embuée, d’un café. Paul leva les yeux. Une devanture en bois, deux ampoules éclairant son nom gravé dessus, “Le petit Marcel”. La porte allait se refermer sur lui quand un homme assez grand, une cigarette aux lèvres, la retint et lui fit signe d’entrer. Il le remercia et referma aussitôt la porte pour ne pas laisser le froid pénétrer à l’intérieur. Il salua du menton les personnes assises à la table la plus proche de l’entrée, chercha Tom du regard et alla le rejoindre. Celui-ci était déjà penché au dessus du comptoir et faisait la bise à une jeune femme brune, coiffée à la garçonne et à un jeune homme à la coupe soignée, en train d’essuyer un verre.

— Paul, je te présente Marie, la patronne du Petit Marcel et Lucas, son associé.

Spontanément, la femme le gratifia d’un sourire jovial. Ses yeux clairs papillonaient pour l'accueillir.

— Bienvenue à toi !

Le serveur posa sur lui un regard appuyé avant de lui offrir un charmant sourire. Il s’en retourna servir un client.

— Tom, la table du fond vient de se libérer. Je t’envoie Lucas t’apporter ton cocktail préféré.

Paul suivit Tom qui filait déjà à l’autre bout du café. Il dut forcer le passage parmi les nombreux clients, s’excusa à plusieurs reprises pour éviter de renverser leurs verres.

Il arriva devant une petite table carrée au revêtement clair, disposée devant une cheminée murale décorative. Atypique. Il s’assit sur une chaise en métal qui grinçait, le comptoir du bar au loin face à lui. Sur la table, une petite bougie qui oscillait lentement, un cendrier, la carte des consommations et deux verres de bières vides. Il manqua de les renverser en enlevant son manteau et son écharpe. Il s’excusa à demi-mot, s’assit et finit par retirer ses gants. Tom, amusé de le voir figé comme s’il ne voulait rien renverser d’autre, enleva à son tour son manteau. Paul réajusta machinalement le col de sa chemise. Tom posa sa main sur la sienne.

— J’ai toujours l’habitude de commencer par le cocktail de la maison, j’espère que tu aimeras.

Par réflexe, Paul, gêné, retira sa main. Il conserva un instant sa chaleur agréable. Il osa lui rendre son sourire.

Il n’avait jamais mis les pieds dans cet établissement. C’était un café de taille modeste mais avec une certaine profondeur. Sur les murs, deux larges miroirs donnaient une plus grande dimension bienvenue. Plusieurs affiches publicitaires aux coins jaunis dont certaines lui rappelaient les anciens cafés parisiens du XIXème siècle. La touche rétro contrastait avec des tables en formica de différentes couleurs. Un peu défraîchies, certes mais propres et entretenues. Elles étaient disposées très près les unes des autres. La clientèle s’entassait autour, assise sur des chaises métalliques et d’autres en bois et faisait monter les décibels facilement par des éclats de rire spontanés. Les conversations animées et bavardes apportaient au Petit Marcel une ambiance joyeuse et une bonne humeur contagieuse. Il constata rapidement la chaleur des lieux qui contrastait avec le froid extérieur, ce qui invitait chacun à se détendre.

Tant pis pour son film. Sa valise attendrait aussi. Lui qui ne s’était accordé des sorties que trop rarement depuis son entrée à la faculté, il était ravi d'être ici, de la tournure que prenait la soirée, avec le plaisir d’avoir en face de lui une nouvelle tête à qui parler.

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