Chapitre VI : Une lueur dans les ténèbres
Shino et Tïashu se rendirent donc à la carrière, suivit des autres prisonniers. Ce jour-là, personne ne trouva d’or ; se fut pareil le jour suivant. Cependant, le 20 février 1668, aux alentours de quinze heures, alors que tous les prisonniers s’apprêtaient à regagner leurs cellules, il y eut un cri derrière Shino. Un binôme avait trouvé de l’or.
Trois autres duos les rejoignirent et s’en suivit une bagarre sanglante terminant par le décès d’un binôme. L’or revint finalement au duo le plus avancé. Celui de Kao et Nina qui avaient tous deux huit-cent-trente-cinq points. Lors du retour dans le hall, les prisonniers regardèrent le panneau d’affichage : l’homme qui s’était présenté trois jours plus tôt était de retour.
- Chers prisonniers, un duo a trouvé de l’or, je l’en félicite. Cent points lui est accordés. Quant aux autres, il vous faut prendre exemple !
L’écran s’éteignit. Les captifs rentrèrent dans leurs cellules.
- J’en ai marre… marmonna Tïashu.
- Je sais. Moi aussi. Mais tu verras, on sortira bientôt d’ici… répondit Shino, la gorge sèche.
- Je veux revoir le dehors. Je veux plus être ici.
- Je sais.
- Je veux plus jouer.
Shino s’assit dans un coin de la cellule, Tïashu le rejoignit et s’endormit, sa tête sur les genoux de l’adolescent. Au fil des nuits, le froid se faisait plus intense encore, moins supportable. Shino savait que Tïashu ne se voilait plus la face, qu’elle avait compris que cela n’avait jamais été un jeu. Elle est mature pour son âge…elle fait semblant, elle se ment, mais elle le sait…
Tïashu ouvrit les yeux au beau milieu de la nuit ; alors que Shino dormait, elle se tourna vers lui et souleva son cache-œil. La petite fille étouffa une exclamation et lâcha le bandeau qui claqua avec force sur l’œil invalide de Shino. Ce dernier se réveilla en sursaut :
- Ça fait mal ! pesta-t-il en replaçant le tissu sur son iris droit.
- Je voulais juste voir ! répliqua Tïashu, honteuse.
- Tu ne dois pas faire ça !
- Pourquoi ?! Je vais mourir, c’est ça ? Tu…tu vas me mourir parce que j’ai découvert ton secret ? Je veux pas mourir ! s’exclama la jeune fille en pleurant.
- Non ! Pourquoi je te tuerais ? C’est juste que…d’après ce qu’on m’a dit…ce n’est pas beau à voir…
- Mais moi je le trouve très beau ton œil. Si tu l’aimes pas, tu me le donnes ?
- Hein ?! Ça reste mon œil, quand même ! Même si, avec, je ne vois pas, j’y tiens !
Tïashu s’essuya les joues et reposa sa tête sur les genoux de Shino ; fermant les yeux, elle murmura :
- Raconte-moi une histoire, grand frère Shino.
Il la regarda un instant puis, sur un ton d’excuse, elle reprit :
- S’il te plaît...
Le jeune homme soupira et commença à narrer l’histoire suivante :
- « Il est un lointain pays, plus loin que Netu, plus loin que la mer Anift, au large de l’horizon. Il est un pays lointain, un pays où tout le monde peut devenir ce qu’il veut. Il est un pays lointain, un pays où personne ne décide, un pays libre. Il est un pays lointain, un pays où chaque jour est une bénédiction, un pays où chaque nuit est un cauchemar. Tina, une jeune habitante de cette contrée, se transforme chaque nuit en un monstre repoussant aux griffes acérées et à la faim croissante. Sous cette forme, elle et sa meute assassinent les villageois. Or, un soir de décembre, alors que Tina retrouvait ses coéquipiers nocturnes… »
Shino regarda Tïashu. La petite s’était endormit. Elle semblait en proie aux rêves. Le Saîovôuntï de Caski avait trouvé cette fable dans un recueil que Tïashu lui avait tendu, chaque soir, lorsqu’ils étaient chez elle. C’était cette légende que Karü et Shino lui avaient tant lu à sa demande, au point même où les deux Saîovôuntï la connaissaient par cœur.
Lorsque le jour se leva, deux binômes furent enlevés du panneau d’affichage et exécutés le soir même, dans le hall, en présence de cinq duos tirés au hasard. Shino et Tïashu ne furent pas invités, aux grands regrets de la petite fille qui voulait savoir ce qu’il se passait. Elle était la seule à ne pas savoir la vérité.
Quelques jours passèrent, et cinq autres duos furent exécutés. Une à deux semaines plus tard, alors que la nuit venait de tomber et que Shino racontait pour la énième fois la fable de Tina à Tïashu, il y eu un bruit en provenance de l’extérieur, et une silhouette passa devant les barreaux de leur cellule, cachant un instant la lune. Deux autres silhouettes passèrent, puis revinrent vers l’ouverture. Shino s’interrompit et Tïashu demanda à voix basse :
- C’était quoi les ombres ?
- Je ne sais pas.
- On va mourir ?
- Mais non.
Les silhouettes n’avaient pas bougé ; une main agrippa les barreaux et Tïashu cria. Shino, lui faillit l’imiter mais le visage de l’ombre se dessinait peu à peu à la lueur de l’unique torche de la cellule.
- Karü ? C…c’est toi ? demanda Shino en se levant.
- Shino ! Oui, c’est moi ! Je suis avec Hângä. On va te…on va vous sortir d’ici. Attendez.
- Non, c’est trop dangereux ! répliqua Shino.
- Papa Karü ? demanda Tïashu.
- Hein ?
- Laisse tomber. C’est trop dangereux, si vous vous faites prendre, vous serez jetés en prison ou utilisés comme…comme nourriture !
Shino s’approcha de la fenêtre et prit la main de Karü. Elle était chaude, tremblante. Hângä prit la parole :
- Vous devez rester ici, je ne suis pas sûre que ça marche.
- Attends ! s’écria Karü en se tournant vers elle.
- Ne t’en fais pas pour moi. Il suffit de toquer à la porte et de montrer…le…le signe…
- Le signe ?
- Tous les membres du clan des Vengeurs se font tatouer un aigle sur le poignet…
Karü soupira mais abdiqua. Hângä et Nuo partirent en direction de l’entrée de la prison.
- C’est quoi, sur ton œil ? demanda le Saîovôuntï d’Ohfsha à son compagnon.
- Oh…ça…euh…rien, rien…c’est rien…
- Grand frère Shino s’est battu ! expliqua Tïashu en souriant.
- « Grand frère » ? Battu ? Hein ?
- Je t’expliquerais plus tard ! répliqua Shino en faisant comprendre à Tïashu –qui allait parler- qu’elle devait se taire. Et toi ? Ça va ?
- Oui. Mais le dictateur est là. A Pauyô. On a été attaqué…
- Tu n’as rien ? s’inquiéta Shino.
- Non, tout va bien.
Tïashu s’allongea sur le sol et marmonna la fable que Shino lui racontait quelques secondes plus tôt. Le Saîovôuntï de Caski se tourna vers elle, sourit et regarda Karü.
- C’est un enfer, ici…je ne veux pas que tu te fasses attraper.
- Laisse-moi t’aider.
Karü lâcha sa main et tenta de briser les barreaux de la fenêtre, sans succès ; il jeta un regard vers l’endroit où Hângä et Nuo avaient disparue.
Nuo revint. Seule.
- Où est Hângä ? s’inquiéta Karü.
- Elle a réussi à rentrer. Maintenant, nous n’avons plus qu’à attendre qu’elle agisse, comme convenu.
- Qui est-ce ? demanda Shino.
- Salut ! Tu dois être Shino, n’est-ce pas ? Moi, c’est Nuo.
- Enchanté…mais qu’est-ce qu’une fille de ton âge fait ici ? Pourquoi tu nous aides ? Ne devrais-tu pas… ?
- Une fille ?! interrompit Karü.
- Nuo, tu es bien une fille, non ? demanda Shino, soudain gêné.
- Euh…oui, pourquoi ?
- Pardon ?!
- Bah…tu croyais quoi ? répliqua Nuo en levant les yeux au ciel, nerveuse.
- Mais pourquoi tu l’as pas dit plus tôt ?!
- Et pourquoi j’aurais eu à le dire ?! répondit Nuo sur le même ton.
- Et Hângä, elle, elle sait ?
- Bien sûr, qu’elle sait !
- Comment ça « bien sûr » ?!
- Tu lui demanderas, on s’en fou, là.
Karü lui lança un regard noir et reporta son attention sur Shino.
- On va te sortir de là… lui promit-il.
- Karü…et si Hângä se fait attraper ? Et si elle se fait enfermée, elle aussi ? Et si… ?
- Elle ne se fera pas attrapée. Elle sait ce qu’elle fait.
- Et si tu te fais attraper, toi ?
- Je ne risque rien.
- Je veux que tu me promettes que, si Hângä échoue, tu ne tenteras pas de nous sauver. Je refuse que tu sois ici !
- Je ne peux pas te promettre une telle chose ! Si Hângä échoue, je…
Il fut interrompu par des coups donnés contre la porte de la cellule de Shino et Tïashu. Nuo et Karü s’écartèrent de la fenêtre et écoutèrent, attentifs. Hângä était entrée dans la cellule, accompagnée d’un garde masqué. Elle prit une voix grave et pesta :
- Eh ! Vous deux ! Suivez-moi.
Shino et Tïashu ne la regardèrent pas et la suivirent. Le garde les suivit jusqu’au hall puis les laissa. Hângä se tourna vers Shino et posa son index sur sa bouche, lui imposant le silence. Tïashu frissonna. Elle agrippa Shino par le bras et ils avancèrent vers la carrière. Le lieu était évidemment désert, puisque la nuit était tombée.
Hângä, Shino et Tïashu contournèrent le premier tas de pierre et s’engouffrèrent dans un des dix tunnels de la carrière. Il s’agissait là d’une cavité condamnée depuis quelques années comme en témoignaient les toiles d’araignées qui bloquaient le passage. A leur vu, Tïashu étouffa un cri et enfonça ses ongles dans le bras de Shino qui se mordit la lèvre pour ne pas le lui faire remarquer.
Hângä s’arrêta brusquement à une intersection entre deux couloirs et laissa passer une troupe de dix gardes masqués et saouls, avant de continuer sa route, toujours suivie de Shino et Tïashu. Ils descendirent ensuite des escaliers lugubres et humides, eux aussi abandonnés de longue date. Sous leurs pas, on entendait de l’eau circuler avec force.
L’escalier s’arrêta net. Hângä stoppa Tïashu qui allait tomber dans l’eau et se tourna vers les deux fugitifs :
- Shino, tu ne lâches pas Tïashu, compris ? Tïashu, prends ma main et celle de Shino. On va se laisser porter par le court d’eau et on rejoindra Nuo et Karü.
- Tu es sûre que ce n’est pas dangereux ? demanda Shino, peu convaincu.
- Ne pose pas ce genre de question. Vous êtes prêts ?
- Oui… marmonna Tïashu en prenant d’une main Shino et de l’autre Hângä.
Ils sautèrent tous les trois dans l’eau gelée et se laissèrent porter par le courant. Sans se lâcher, ils percutèrent quelques rochers et Tïashu faillit couler.
- Baissez-vous ! hurla Hângä tandis que le plafond disparaissait, laissant une toute petite ouverture pour respirer.
Shino se cogna la tête et faillit boire la tasse, mais il s’agrippa à Tïashu avec force. Son bandeau se détacha de sa tête après une chute de seulement quelques mètres et son œil droit commençait à lui faire mal.
- On y est presque ! s’exclama Hângä.
Shino entendit alors un cri derrière eux puis un bruit sourd ; ils se laissèrent zigzaguer parmi les rocs puis Hângä agrippa le rebord d’un mur et, imitée par les deux autres, elle se hissa hors de l’eau. Tïashu toussota et lâcha la main de Shino.
- J’ai… commença-t-elle.
- Chut ! répliqua Hângä en la faisant taire avec sa main. Ils peuvent encore nous entendre. Suivez-moi.
Elle reprit la main de la jeune fille qui s’accrocha au bras de Shino et ils s’aplatirent contre la paroi du tunnel. Les trois fugitifs montèrent un escalier de pierre d’une centaine de marches et arrivèrent à l’extérieur, en haut d’une colline enneigée ; il faisait encore nuit mais Shino savait que les deux silhouettes en contrebas appartenaient à Nuo et Karü. Ce dernier se mit à courir vers lui et le fit tomber, sans le vouloir, sur le dos.
- Shino ! Tu peux pas savoir combien j’ai eu peur pour toi
- Karü…tu m’as tellement manqué…
Shino frôla d’une main le visage de son compagnon et lui sourit. Karü, remarquant l’œil invalide de Shino, eu un léger mouvement de recule puis, s’approchant de ce même œil, il murmura, attrister et subitement paniqué :
- Ton…ton œil ! Que… ?
- Merde, mon bandeau ! s’exclama Shino en tentant de se redresser.
Mais Karü le repoussa avec sa main et se pencha sur lui afin d’examiner sa blessure.
- Ne regarde pas ! pesta Shino, sur la défensive, en cachant son œil.
Tïashu attrapa la manche de Karü et lui dit :
- Grand frère Shino ne veut pas te montrer son œil, alors monsieur papa Karü doit attendre que monsieur papa Shino il soit d’accord. Tiens grand frère Shino.
Elle tendit au jeune homme le bandeau qu’il pensait avoir perdu et qu’il mit sur le champ. Karü s’excusa et se retourna vers Hângä et Nuo qui venaient de s’embrasser.
- Hângä ? demanda-t-il à sa sœur.
- Oui ?
- Qu’est-ce que…
- J’ai pas le droit, c’est ça ? J’ai pas le droit d’avoir quelqu’un dans ma vie, c’est ça ? Vas-y, parle !
- Tu savais que…que Nuo est une fille ? railla Karü.
- Et ? Ça change quoi ? Shino est un mec et j’ai rien dit. Parce qu’y a rien à dire en fait ! Donc il est où le problème ?
- Depuis quand tu le sais ?
- Depuis qu’on sort ensemble.
- Et si, comme Haîpé …
- Parles pas de lui ! s’écria Hângä en le poussant violement.
- Euh…c…calme-toi, Hângä…il ne voulait pas…il s’inquiète juste, c’est tout. murmura Nuo en l’agrippant par le bras.
- Oh si, il voulait ! Karü ! Je te signale que je suis plus grande que toi et sûrement plus responsable et que tu n’as aucun droit sur moi et mes sentiments !
- Responsable, toi ? Oh mais excusez-moi ô grande sage ! Tu bois à longueur de journée ! Hier, t’as descendu dix bouteilles ! En une heure ! Et t’ose encore dire que t’es responsable ?!
- Là il gagne un point… murmura Nuo.
- Tais-toi, Nuo ! répliqua Hângä, dents serrées. Tu dis que je ne suis pas responsable, mais qu’en est-il de toi ? Hein ? Tu fonce dans le tas, tu cris sur tous les toits que tu es homosexuel et tu veux quoi, à la fin ? Hein ? Tu veux quoi ? Tu veux finir la tête sur une lance ? Avec celle de Shino ? C’est ça ? Hein ? C’est ça, ton idée d’avenir ? Mourir en compagnie de celui que tu aimes ? Mais vas-y, fait toi plaisir ! Je t’en prie, rend-toi au dictateur les mains liées !
- Un partout. commenta Nuo.
- Ne mets pas Shino dans cette histoire ! Tu sais quoi, en vrai, sur Nuo ? Tu sais quoi de plus que ce que tu savais sur Haîpé ? Tu sais quoi sur qui elle est vraiment ? Hein ? Je m’inquiète juste pour ma sœur ! Et au vu de ton passé, j’en ai le droit !
- Deux, un.
- Mais moi aussi je m’inquiète pour toi ! Simplement, j’essaye de ne pas le montrer, pour que tu ne te sentes pas mal à l’aise ! Pour que tu vives ta vie avec Shino ! Tu penses que te voir avec lui me rends seulement heureuse pour toi ? Putain mais tu comprends rien, si tu penses ça. Ça me rend malade de vous voir ensemble aussi heureux l’un et l’autre alors qu’il y a des tarés dehors qui ne demandent qu’à vous tuer depuis le début ! Je ne dis pas que je ne veux pas votre bonheur, mais vois les choses en face : votre amour apparait comme un crime aux yeux des imbéciles de l’Alliance et, si l’un de vous deux meurt, je m’en voudrais au plus haut point ! Alors oui, je m’inquiète pour toi, oui, je n’en parle pas et oui, je veux votre bonheur ; mais merde : je veux vivre ! Tu passes ton temps à vouloir protéger Shino, et moi je devrais simplement te suivre ? Mais je suis pas un mouton ! J’aime Nuo, Nuo m’aime, si ça te pose un problème je m’en fou !
- Trois, deux, victoire d’Hângä !
Karü tourna les talons. Hângä donna un coup d’épaule à Nuo qui la regarda bêtement alors que Tïashu lui prenait la main :
- Il se passe quoi ? J’ai pas compris…
- Rien, ne t’inquiètes pas, c’est une dispute de grande personne, c’est tout… répondit Nuo.
- Ça veut dire quoi homosexuel ? demanda Tïashu sur le ton le plus innocent du monde.
Nuo hésita. Elle jeta un regard à Karü qui s’était retourné, à Shino qui lui tenait la main puis à Hângä, avant de répondre :
- Tu vois, dans la vie, il y a des gens qui sont en couple.
- Oui ?
- La plupart du temps, c’est un garçon avec une fille, tu es d’accord ?
- Oui, comme mon papa et ma maman.
- Eh bah des homosexuels ce sont des personnes comme les autres qui aiment les gens du même sexe qu’eux.
- J’ai pas compris.
- …euh…on va prendre l’exemple de Karü et Shino. Ce sont deux garçons, jusque-là tout va bien, non ?
- Oui.
- Et ils sont en couple.
- Et ?
- C’est ça, l’homosexualité. C’est quand deux garçons ou deux filles sont ensemble. En couple.
- Donc toi et elle aussi ? demanda Tïashu en montrant Hângä.
- Oui. Hângä et moi, on est en couple. Et on est toutes les deux des filles.
- D’accord. Mais pourquoi y a des gens qui aiment pas ?
- Parce qu’ils ne savent pas que ce n’est pas mal. Ils pensent que, selon la déesse Fréïa, on n’aurait pas le droit d’être en couple autrement qu’un garçon avec une fille.
- Mais c’est débile !
- Oui, c’est débile. Mais les gens sont fous, de toutes façons. Ils nous appellent méchamment les « monstres » ou les « anomalies ».
- Mais c’est pas gentil ! Moi je trouve que vous êtes comme les autres humains mais en plus mieux ! s’exclama Tïashu en sautillant pour se jeter dans les bras de Shino.
- Merci, Tïashu ! répondit Karü.
Cette dernière rejoignit Hângä et lui demanda :
- C’est toi la sœur de monsieur papa Karü ?
- Hein ? Euh…oui, pourquoi ?
- Parce que papa Shino il veut pas prêter papa Karü à la sœur de papa Karü ! C’est papa Shino qui l’a dit !
- Hein ?
- Laisse tomber, Hângä ! s’exclama Shino, gêné, en agrippant Tïashu par le bras dont elle se dégagea presqu’immédiatement.
- Et toi, t’es qui du coup ? demanda Tïashu à Nuo.
- Je suis la petite amie d’Hângä.
- Donc t’es la petite amie de la sœur de papa Karü ? C’est long comme nom.
- Tu peux m’appeler Nuo, tu sais.
- Petite amie de la sœur de papa Karü. répliqua Tïashu.
Hângä, Nuo, Karü, Shino et Tïashu descendirent de la colline et marchèrent quelques heures avant de s’arrêter au beau milieu d’une forêt. Karü et Shino s’allongèrent loin des trois autres.
Durant la nuit, le Saîovôuntï d’Ohfsha enleva le bandeau de Shino. Ce dernier se réveilla.
- Qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-il en fermant son œil droit.
- Ouvre l’œil.
- Non, rends-moi ça !
- Ouvre l’œil, Shino, s’il-te-plaît…
Il refusa une nouvelle fois ; Karü lui rendit son bandeau, mais Shino ne le remis pas. Il le posa à côté de lui et enlaça son amant.
- Tu m’as tellement manqué, Karü…tu m’as tellement manqué…c’était un enfer, là-bas…j’ai dû faire croire à Tïashu que c’était un jeu, mais elle a vite compris que c’était faux…là-bas, on nous fait manger de la viande humaine…on nous la fait cuisiner…on nous dit qu’on va gagner notre liberté mais…
- Mais quand vous atteignez mille points on vous tue.
- Comment tu sais ça ?
- Hângä me l’a dit.
- Je ne veux plus jamais y retourner…
- Montre-moi ton œil.
- Non, ça ne mènerait nulle part…
- S’il-te-plaît.
- Non.
Karü se tourna vers lui et l’embrassa avant de reprendre :
- S’il-te-plaît, Shino. Je m’inquiète pour toi, je veux juste le voir, et que tu me raconte quelle enflure t’a fait ça. Je veux que tu me dises qui je dois ajouter à la liste de ceux qui doivent mourir.
- Il est mort, de toutes façons…et si tu voyais mon œil, tu ne voudrais plus m’approcher…
- C’est faux. Tu pourrais être défiguré, t’être brûlé l’entièreté du visage, ne plus avoir de lèvres, je t’embrasserais encore. Je t’aime, Shino, et aucune blessure ne pourra changer ça. Je te le promets.
- J’ai bien vu, tout à l’heure, ton mouvement de recul lorsque tu as vaguement aperçut mon œil. Qu’en sera-t-il lorsque tu le verras vraiment ?
- J’ai simplement eu peur que tu te sois blessé, et, malheureusement, cela s’est avéré…
- Je sais que je te dégoûterais. Je préfère éviter.
- Je veux voir ton œil, Shino. Rien qu’une fois, je t’en prie.
Shino abdiqua et ouvrit lentement son œil. A la lumière du soleil qui se levait au loin, son globe oculaire brillait, voilé d’un gris transparent qui rendait sa pupille et son iris, tous deux noirs, un peu pâle. Le visage de Karü s’y reflétait. Ce dernier murmura d’une voix mielleuse :
- Il est magnifique.
- Arrête tes conneries, c’est immonde ! Je suis un monstre !
- Je t’interdis de dire une chose pareille ! Tous de ce qui est toi est magnifique, il ne peut en être autrement ! Moi, je l’adore, ton œil. Le mieux aurait été que tu puisses voir avec, certes, mais, tu sais quoi…je verrais avec mes deux yeux pour que tu n’aies pas à le faire. S’il le faut, je te prêterais ma vue, afin que tu puisses voir à ta guise.
- Tais-toi. Tu racontes n’importe quoi, là…
- Je t’aime tellement.
- Je t’aime, Karü…
- Et sinon, quel imbécile a osé te faire une telle chose ?
- Dans la prison, on pouvait faire plusieurs tâches pour gagner des points…Tïashu a insister pour une en particulier. Je pensais que, si on ne faisait rien durant un jour, il y aurait des conséquences…alors j’ai accepté…c’était l’arène…je me suis battu contre un mec que j’ai tué après qu’il m’ait…qu’il m’ait crevé l’œil…le deuxième membre du binôme s’est suicidé juste après en prétextant ne pas pouvoir lever la main sur des enfants…
- Tu as fait preuve de courage, Shino…
- Non, j’ai été lâche. Si je n’avais pas dit oui à Tïashu, j’aurais encore mes deux yeux valides.
- Tu n’es pas lâche. J’aurais aussi flanché face à Tïashu. C’est redoutable, une gamine de six ans ! plaisanta Karü.
- Sept.
- De quoi ?
- Elle a eu sept ans depuis le dix-sept. C’est elle qui me l’a dit.
- Ah. Ok. D’accord.
- Tu as des nouvelles de Travers ?
- Non.
- J’espère qu’il va bien…qu’il est encore en vie…
- Mais oui, il l’est forcément.
- Et s’il lui était arrivé la même chose qu’à Lina ? Si…
- Il faut dormir, maintenant.
- Mais…
Karü embrassa Shino, puis frotta son nez contre le sien avant de plonger son regard dans celui de son compagnon. Il s’allongea ensuite à ses côtés, blottit contre lui, une main autour de sa taille, l’autre dans son dos. Shino passa une main sur l’épaule de Karü et remonta jusqu’à sa nuque pour loger son bras entre son épaule et son cou. Ils se regardèrent un instant, sourirent, puis fermèrent les yeux et s’endormirent.
Trois jours passèrent puis, durant une nuit, dans un village en ruine enseveli sous la neige, alors que Karü, Shino et Tïashu dormaient, Nuo et Hângä trouvèrent quelques bouteilles d’alcool. Nuo ne but pas contrairement à Hângä qui descendit quatre litres en quelques minutes. Elle commença une cinquième bouteille lorsque Nuo la lui prit.
- Rends-la-moi, Nuo !
- Il faut que tu arrêtes de boire, c’est mauvais pour toi.
- Rends-moi ma bouteille !
Hângä se jeta sur elle, tentant de récupérer le litre, mais elle et Nuo tombèrent et la bouteille se brisa sur le sol.
- Ma bouteille !
Nuo lâcha le goulot qui était resté dans sa main et attira Hângä contre elle. Cette dernière tenta de se dégager pour prendre une autre bouteille mais Nuo l’en empêcha. Elle l’embrassa et lui murmura :
- Arrêtes de boire, tu pue l’alcool, à force.
- Ma bouteille…
- Il faut qu’on dorme, Hângä.
- J’ai soif.
- Dors.
- Boire.
- Tais-toi.
Nuo ne lâcha pas Hângä de la nuit.
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