Chapitre X : Prise en main
Hângä, Nuo, Karü, Shino et Tïashu se retournèrent pour voir une dernière fois leur logement de fortune mais n’y virent qu’un tas de cendres au milieu d’arbres en feu. Des branches tombaient, le vent soufflait et, un à un, les arbres s’écroulaient sur le sol sec de la forêt. La neige y avait disparu.
- On fait quoi maintenant ? demanda Tïashu.
- Je ne sais pas… répondit Hângä tandis qu’ils avançaient sur la montagne qui bordait la forêt.
Shino s’agrippait fermement au bras de Karü qui le regardait, inquiet.
- Tout va bien, Shino ? demanda-t-il tandis qu’Hângä, Nuo et Tïashu accéléraient.
- Je suis fatigué, c’est tout… assura le Saîovôuntï de Caski.
- Menteur. Je vois bien qu’il y a autre chose. Qu’y-a-t ’il ?
- Je…je n’sais pas…
Le cœur de Shino s’était emballé d’un coup, sans raison apparente, lorsqu’ils avaient quitté le manoir.
- J’ai un mauvais présentiment…
- Pourquoi ? interrogea Karü, dubitatif.
- Je ne sais pas mais…mais quelque chose ne va pas…
- C’est à cause de moi ?? s’inquiéta Karü, abattu.
- Non ! Non, bien sûr que non ! s’exclama Shino.
- Alors quoi ? Quelqu’un t’a fait du mal ? Tu es malade ? Qu’est-ce qu’il y a, dis-moi !
- Ce n’est que théorique, mais…si le manoir c’est fait attaquer, c’est que la personne qui a tiré sait où nous sommes…il ne peut pas avoir tiré au hasard, si ?
- Pauyô est en guerre, on ne peut pas savoir si ce n’était pas une attaque à l’aveugle…
- Nous sommes à l’extrême ouest du pays ! Et le seul véritable ennemi qu’on y ait vu, c’est…
- Le dictateur… conclut Karü, comprenant soudain l’ampleur du danger.
- Je ne sais pas si ton oncle veut te tuer, j’en doute, mais au vu de ce que tu m’en as raconté…je pense qu’on devrait rester sur nos gardes. On ne sait jamais…cela pourrait être dangereux si on ne fait pas attention.
Karü acquiesça et passa son bras autour de la taille de son compagnon, le ramenant vers lui. Lorsqu’ils s’arrêtèrent, épuisés, pour dormir, ils se laissèrent tomber sur le sol enneigé et froid, au milieu d’une forêt d’arbres nus.
Shino se blottit contre son amant tandis que Tïashu s’endormait, bercée par la voix d’Hângä et les mouvements de Nuo.
Karü frôla le front de Shino avec le sien et regarda timidement son œil droit. Son soupirant l’embrassa et frotta son nez au sien. Satisfait, Karü déposa ses lèvres sur son cou. Shino frissonna.
- Je t’aime… murmura le Saîovôuntï d’Ohfsha.
- Juâ tï’uomaâ. répondit Shino avec un sourire.
Il ferma les yeux, son nez au creux du cou de son amant qui se surpris à penser : On dirait un chaton…il est si mignon…
Karü lui caressa doucement la tête.
- Juâ tï’uomaâ… répéta Shino.
- Je t’adore, Shino. Je t’aime ! Je t’aime… soupira Karü.
- Maèn umaèîrü…
- Hein ? Tu peux répéter ?
- Maèn umaèîrü.
- Et ça veut dire… ? demanda Karü d’un ton moqueur.
- Rien ! Ça ne veut rien dire ! J’ai inventé. C’est tout…
- Tu sais, le livre que tu m’as offert… ?
- …oui ?
- J’ai eu le temps de le lire avant que le bateau ne coule, lorsqu’on a quitté Caski…
- Ah…ah oui ? marmonna Shino, mal à l’aise.
- Et je sais ce que tu m’as dit…
- Je l’ai inventé, je t’ai dit…
- Alors pourquoi ce sont les mots exacts de l’Aetherine pour dire « mon amou… »
La fin de sa phrase se perdit dans un baiser passionné orchestré par Shino.
- Ça va, les tourtereaux ? demanda Hângä en arrivant derrière Karü.
Les deux adolescents s’écartèrent, gênés.
- Euh…ouais, ç…ça va… marmonna Karü.
- Tïashu et Nuo dorment. Ma Valentine s’est endormit avec mon histoire ! plaisanta Hângä.
- Tu racontes toujours des histoires à dormir debout, donc. répliqua Karü en prenant la main de Shino.
- Très drôle, monsieur « je roule des pelles à mon copain à longueur de journée » ! Rien contre toi, bien sûre, Shino.
- Tu veux jouer à ça, madame « je ne sais pas ce qu’est l’eau » ?
- Oh ! C’est toi qui dis ça ? Alors que tu t’es dit que boire la moitié d’une bouteille pour « goûter » c’est une bonne idée ? Tu n’as pas vu comment Shino a réagi ! Il a eu si peur qu’il t’arrive quelque chose que, même si je lui disais de se reposer, il restait éveillé ! Alors, peut-être que toi, tu t’es amusé, tu voulais « tester », mais Shino, lui, était mort de peur à l’idée de te perdre, et ce même s’il te savait en sécurité.
- Donc…toi, si tu sais que Nuo est en sécurité, ça te suffit ? demanda Karü.
- Bah…euh…ouais…
- Eh bien, vois-tu, Shino et moi, c’est différent. On pourrait être accepté, respecté par tous, avoir cent, mille, personnes qui nous protègent, ça ne suffirait pas à nous convaincre que notre moitié est en sécurité. Rien ne nous le fera penser. Et s’il y a doute, il y a raison : l’amour.
- Tu insinue que je n’aime pas Nuo ?! pesta Hângä, outrée.
- Non, mais plutôt que tu as honte d’assumer que tu as peur pour elle. l’accusa Karü.
- Et alors ?! En quoi ça te concerne, abruti ?!
- Eh ! L’appel pas comme ça ! Il te fait juste remarquer une vérité !
- Shino, laisse tomber…
- Elle t’a traité d’abruti ! Y’a que moi qui ai le droit !
- T’es vraiment un gamin, toi ! ricana Karü.
Hângä sourit puis rejoignit Nuo dont elle embrassa le cou avant de se loger contre elle.
- Pourquoi tu te moques de moi ? se plaignit Shino.
- Je ne me moque pas de toi…je suis désolé, si tu l’as pris comme ça…
- Uborütïo… (abruti)
- Eh ! J’te permets pas !
- J’ai rien dit !
- C’est ça, ouais…allez, viens-là.
Karü l’attira vers lui et l’embrassa avec tendresse. Il regarda son visage, passa son bras derrière son dos et lui murmura :
- Vivement que cette guerre soit finie, qu’on puisse vivre normalement, rien que toi et moi…
- Tous les deux, ensembles. A jamais…
- Tu me rends dingue…
- Hein ?
- Je suis dingue de toi, Shino…je t’aime tellement…
- Abruti…
Shino l’embrassa et ramena la main de son amant sur son torse.
Ils finirent par s’endormir, blottis l’un contre l’autre ; mais, lorsqu’ils se réveillèrent, Hângä, Nuo, Tïashu et eux étaient dans une cage couverte d’un épais tissu gris à travers lequel perçait faiblement la lumière du soleil. Ils étaient tous réveillés et Karü pesta :
- Où sommes-nous ?!
- Qu’est-ce que j’en sais ?! répliqua Hângä.
- Calmez-vous, là-dedans ! Nous sommes bientôt arrivés ! cria une voix à l’extérieur.
- Travers ?! s’exclama Shino.
- Je le savais ! On ne peut faire confiance à personne ! ragea Karü.
- Je ne vous veux aucun mal. Vous verrez, nous sommes bientôt arrivés. On ne peut pas vous laisser voir l’extérieur pour le moment, question de sécurité… s’excusa Travers.
- Où nous emmènes-tu ? demanda Shino, la gorge sèche.
- Tu verras. Par contre, où est Lina ? Elle n’était pas avec vous…
- L…Lina… marmonna Shino.
- Lina est morte, Travers…elle voulait nous protéger, et…
- Elle a été tuée par un soldat de Netu… s’excusa Shino.
- Tuée…Lina…non, vous me faites marcher ! ricana Travers, dubitatif.
- Non, Travers…c’est la vérité…on l’a enterrée le plus dignement possible…on pourra te montrer, si tu veux…
- Cela devait arriver. Mais pas si vite…pas comme ça…pas maintenant…pas…là…
- Nous sommes vraiment désolés, Travers, vraiment. Si on peut faire quelque chose pour toi… proposa Karü.
- Vous ne pouvez pas ressusciter les morts.
- Désolé…
- Ça ne sert à rien de t’excuser, Shino. Ce qui a été sera toujours…
Shino entendit dans sa voix un regret, un non-dit ; il se sentait coupable, bien qu’il ne le fût pas. Le Saîovôuntï de Caski versa une larme dans la claire pénombre que leur offrait la cage. Karü, voyant son état, passa sa main derrière lui et posa sa tête sur son épaule. Tïashu, ne comprenant pas la situation mais voyant Shino pleurer, se blottit contre lui. Nuo et Hângä se rapprochèrent également d’eux. Karü essuya les yeux de son concubin et l’embrassa.
La cage cessa de bouger un instant, puis repartit, moins vite qu’avant ; des gens parlaient à voix basses autour d’eux, des enfants riaient, jouaient, d’autres pleuraient et les adultes marchandaient des morceaux de viande.
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