Chapitre XIII : Trône vacant

8 minutes de lecture

- Il…est encore en vie ? s’exclama Hângä, prise au dépourvue.

- Qui vous a dit ça ? interrogea Nuo.

- Blue.

- Elle…comment ?!

- Elle fait parti du clan des Vengeurs… expliqua Karü d’une voix sourde.

- Elle a dit mots pour mots « L’aigle est de retour et l’espoir mort renaît, le clan sera vengé ».

- L’aigle ? Comme le tatouage des… ? commença Nuo.

- Le dictateur. C’est son nom de code. expliqua Hângä en se rongeant les ongles tandis que Nuo lui prenait la main, comme pour la rassurer.

- On est foutu… marmonna Karü.

- Eh ! J’ai perdu une dent ! s’exclama Tïashu, faisant sursauter les deux jeunes couples.

Shino s’abaissa à sa hauteur et prit avec dégoût la dent ensanglantée que lui tendait la jeune fille.

- Euh…bravo ? lui murmura le Saîovôuntï de Caski en la lui rendant.

- Je vais la cacher ! Maman disait toujours que les dents attirent les mauvais esprits si on les trouve !

- D’accord… marmonna Karü tandis que Tïashu sautillait sur place. Je disais donc : on est foutu ! On va tous crever si on reste ici !

Tïashu cessa de bouger. Elle le regarda avec son sourire, qui s’effaça bien assez vite, laissant place aux larmes.

- On va mourir ? demanda-t-elle à Shino.

- Mais non, mais non !

- J’veux pas mourir ! J’veux pas que vous soyez plus là ! J’vaux manger les plats de papa Karü et de grand frère Shino ! J’veux entendre les histoires de maman Hângä et j’veux embêter maman Nuo ! s’exclama Tïashu, pleurant à chaudes larmes.

- Ne t’en fais pas, Tïashu, Karü exagère ! s’écria Hângä en s’approchant de la jeune fille.

Elle fusilla son frère du regard puis sortit en compagnie de Nuo et de la fillette. Karü s’approcha de Shino, tremblant.

- J’en ai trop fait, je sais. Mais on va crever si on reste là…et je ne veux pas te voir mourir.

- Moi non plus. Mais tu aurais pu attendre que Tïashu soit sortie, non ?

- Peut-être. Et toi, tu aurais pu attendre que Scurius débarque à la place de t’énerver, tout à l’heure, non ? répliqua Karü, amusé.

- Euuuh…c’est pas pareil ! s’exclama Shino, les joues rouges. Ils se fichaient de toi !

- Eh, je rigole. C’était un peu…violent, mais…disons que j’ai apprécié le geste.

Shino marmonna quelque chose à propos de Blue. Karü le repris :

- Qu’a fait Blue ? Je n’ai pas compris, Shino.

- Elle t’a brisé le cœur.

- Ce n’est pas ça que tu viens de dire.

- Si !

- Absolument pas.

- Qu’est-ce que t’en sais, d’abord ?

- Tu parles comme Tïashu ! ricana Karü.

- Bon, bon…elle…

- Elle ?

- Elle ne m’a pas laissé être ta première expérience, t’es content ?! pesta Shino.

- Abruti…elle ne compte pas, ce n’est qu’une erreur.

- Je n’aurais pas dû me laisser emporter par mes émotions sans penser aux tiennes, je suis désolé…

- Eh ! Peurs pas !

- Pardon…je suis trop nul…j’aurais dû te laisser faire, là-bas…pardon !

- Tu as bien fait, Shino, je te le jure ! s’exclama Karü tandis que son concubin tombait à ses pieds.

Karü s’abaissa à sa hauteur, ne sachant que faire, il tendit sa main et la pausa sur l’épaule de Shino qui repris :

- Pardon, pardon ! Je ne sais pas pourquoi mes nerfs lâchent…qu’est-ce qui m’arrive ?

- Tout va bien, Shino, je suis là, tout va bien.

- Tu m’aime ?

- Bien sûr que je t’aime, Shino. Et rien de ce que tu feras ne pourra changer ça. Si tu as envie de pleurer, vas-y, je suis là pour ça.

- Je suis désolé…

- Arrête de t’excuser, je te l’interdis. lui reprocha Karü, avant de l’embrasser.

- Tu as le droit de pleurer.

La Saîovôuntï d’Ohfsha essuya avec douceur les larmes de Shino en passant sa joue contre les siennes. Le jeune héritier de Caski se blotti contre son compagnon, rassuré. Il prit sa main et glissa ses doigts entre ceux de son amant.

- J’ai peur, Karü.

- C’est normal. Moi aussi, j’ai peur.

- Je n’ai pas peur pour moi. continua Shino. Mais pour toi…

- Moi aussi.

- Je ne veux pas que tu sois blessé, que tu perdes un membre, que…

- Chut…calme-toi, rien de tous cela n’arrivera. Tant que tu es ici, près de moi, je veillerais sur toi. Et si tu disparais, je brûlerais le monde.

- Et moi, je ne pourrais rien faire si tu disparais…je suis un boulet…je…

- Qui a osé te dire une chose pareille ?! s’exclama Karü, outré. Non, toi, tu détruirais l’univers pour me retrouver. Tu brûlerais le ciel et inonderais les terres, tu ferais exploser les étoiles, les galaxies entières !

- N’importe quoi…

Karü l’embrassa tendrement puis se leva, invitant son concubin à faire de même. Main dans la main, ils partirent à la recherche de Travers qu’ils trouvèrent derrière des caisses de bois, en train d’embrasser Scurius à l’abris des regards indiscrets. Shino eut un sourire. Karü lui murmura :

- Je le savais !

Puis il toussota exagérément et les deux tourtereaux s’écartèrent, gênés. Scurius ne leur adressa même pas un regard et s’en alla. Travers, lui, passa une main dans ses cheveux et un unique bouton de sa chemise puis s’adressa à Shino :

- T’aurais au moins pu attendre !

- Et tenir la chandelle ? railla Karü d’un ton moqueur. Non merci. On a des informations importantes à propos des Vengeurs.

- Vos sources ?

- Les prisonniers… répondit Shino en voyant le regard de son soupirant se troubler.

- L’information ? demanda Travers en remettant les plis de sa manche en place.

- Un code qu’Hângä a déchiffré. En bref : l’Empereur d’Ohfsha arrive, et un des membres les plus dangereux des Vengeurs -que l’on croyait mort- est de retour. expliqua Karü en esquivant le regard doux et inquiet de Shino.

- En quoi peut-on croire Hângä ? Sans lui manquer de respect, bien sûr…

- Elle a fait partit des Vengeurs, mais est maintenant loyal, elle…on peut lui faire confiance ! affirma Shino.

- Suivez-moi. Je vais vous guider à la cheffe de la rébellion.

Karü et Shino suivirent donc Travers, arpentant le chemin taillé dans le roc de la caverne sinueuse. Cette fois, bien que les rues fussent bondées, personne ne leur adressa le moindre regard. Travers s’arrêta devant une cavité soigneusement creusée au centre de la caverne. Elle était entourée de gardes lourdement armés. Le trou béant ouvrait sur un escalier en colimaçon qui s’enfonçait dans les entrailles de la terre. L’ex-Général de Caski et le jeune couple s’y engagèrent d’un pas vif. Karü voulut attraper la main de Shino mais il se ravisa. Le Saîovôuntï de Caski lui agrippa le bras, inquiet, y enfonçant ses ongles.

- Doucement, Shino, tu me fais mal…

- Oh…pardon… dit-il en le lâchant.

Karü repris les mains de Shino pour les déposer sur son bras et lui murmura en souriant :

- Je ne t’ai pas dit que tu ne pouvais pas.

- Pardon…

- Ne t’excuse pas.

- Désolé…

- Je vous dérange, les tourtereaux ? railla Travers d’un ton froid.

- Non, ça va ! assura Karü après avoir jeté un coup d’œil complice à Shino.

- Je ne suis pas là pour tenir la chandelle ! Ah, les jeunes !

- Et Scurius, on en parle ? répliqua Shino.

- Sc…Scurius ? Je ne vois pas de quoi tu parles…

- Mais bien sûr ! ricana Karü.

- On…on arrive, là… répliqua Travers, confus.

Shino échangea un sourire entendu avec son compagnon, puis ils passèrent une immense porte en bois et entrèrent dans une grande pièce circulaire au fond de laquelle se trouvait un vieux canapé miteux où trônait une silhouette féminine, recroquevillée sur elle-même.

- La vieille ?! s’exclama Shino alors que la silhouette sortait de l’ombre.

- Respect un peu tes aînés, petit ! Ah ! Tu as fini par retrouver ton Valentin ! Ce n’était pas la peine de me hurler dessus ! Tiens ? Qu’est-il arrivé à ton œil ?

- On…me l’a crevé… marmonna Shino, gêné.

- Et vous, que faites-vous là ? demanda Karü.

- Pauvre petit… soupira leur interlocutrice.

- Que faites-vous là ? répéta Karü.

- Je suis la cheffe de la rébellion, ex-Gouvernante de Pauyô. Ma Saîovôuntï étant morte au début de la guerre, j’ai repris mes fonctions, et j’ai fondé un réseau de rébellion.

- Vous… commença Shino.

- Eh oui, jeunes sots ! J’ai gouverné cette terre durant des décennies ! Oui, comme vous avez dû l’apprendre à l’Académie, je suis Mykà, Gouvernante libératrice de Pauyô ; et aujourd’hui comme autrefois, je me bats contre l’Alliance. Travers ? Que fais-tu ici ? s’étonna la vieille femme en s’apercevant de sa présence.

- Je ne faisais qu’accompagner ces deux jeunes gens.

- Tu peux disposer, quelqu’un t’attend dans l’armurerie.

Elle lui souri puis il quitta la salle en courant, l’air heureux ; Mykà se tourna ensuite vers Karü et Shino.

- Quel est votre message ?

- L’Empereur d’Ohfsha arrive, les Vengeurs aussi… expliqua Shino, la gorge sèche.

- C’est ce que j’avais également cru comprendre lors que j’ai interrogé les prisonniers…

- Que…que vous ont-ils dit d’autre ? demanda Karü.

- Ta relation avec Blue ne m’intéresse pas. répliqua Mykà d’un ton froid.

Karü baissa la tête et n’entendit pas la suite de la discussion. Shino lui prit la main et le tira vers l’escalier qu’ils montèrent pour se rendre à la pièce qui leur avait été assigné, à eux et leurs camarades. Shino s’assit sur le sol et regarda Karü. Ce dernier tremblait de ton son corps ; il imita son soupirant, posa sa tête sur les genoux de Shino.

- Je suis inutile… soupira Karü.

- N’importe quoi.

- Je suis lâche.

- Tais-toi. Dors, Karü.

Le Saîovôuntï d’Ohfsha s’exécuta ; il se détendit, presqu’allongé sur Shino qui lui caressait doucement la tête, descendant lentement sa main sur sa nuque, puis son dos, avant de remonter sur son front avec la même fluidité ; Shino fini par s’endormit à son tour, sombrant dans une nuit de cauchemars.

Il rêva de l’Empereur de Caski, sur un lit, un lit de mort. Un lit dont le bois avait été brûlé, calciné. Un lit dont les draps, autrefois rouges, avaient été remplacés par des linceuls. Un lit lugubre où reposait l’Empereur mort. Un cadavre d’une maigreur maladive, terrifiante. A son chevet, lui-même, en bonne santé. Mort. Fantomatique. Tenant la main d’une jeune fille et d’une femme toutes deux translucides. Mortes elles aussi. Le fantôme regarda son cadavre puis fit demi-tour, disparaissant avec le décor. Noir complet. Un sourire édenté, cruel, agaçant et sinistre. Un rire sombre. Du vent froid. Une lame. Une couronne. Du sang. Le vide. La pluie. Une silhouette. Des larmes salées. Un trône ; vide.

Les lèvres humides de Karü frôlèrent le front de Shino qui se détendit instantanément. Il ne voulut pas ouvrir les yeux, bien qu’éveillé. Il ne le voulut pas, par peur de découvrir un liquide chaud et visqueux sous sa paupière et sur sa joue. Karü, sachant que son amant était éveillé, passa son doigt sur ses pommettes et sous ses yeux, essuyant le sang malheureusement présent sur ses joues. Il posa un regard doux sur le visage de Shino. Le fils du Dictateur posa la tête de son amant contre son épaule. Le Saîovôuntï de Caski ouvrit les yeux ; sa vue était voilée par un filet de sang chaud qui lui collait à la paupière. Paniqué, il tenta de se lever, et regarda Karü, effrayé.

- Qu’y a-t-il, Shino ? De quoi as-tu rêvé ? s’inquiéta son concubin.

- L’Empereur de Caski…est mort… murmura Shino, consterné.

Karü resta bouche bée. Le seul rempart à son oncle interne à l’Alliance n’existait plus. Shino était à présent l’Empereur légitime de Caski par succession.

Annotations

Vous aimez lire Narce_Aether67 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0