Co-ronimas !

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Narra ne comprend pas ce qu’il fait. Tente-t-il de l’impressionner ?
Elle se penche pour le tirer par le vêtement, mais il lève la main et l’index pour lui demander de patienter. Elle le laisse immerger sa tête de longues secondes.
Quand il se redresse d’un coup, reprenant une bouffée d’air, l’eau ruisselle sur ses joues.
Il ferme les yeux un instant pour se concentrer, puis déclare :
« Bien, je comprends leur chant. Maintenant, il faut que je m’harmonise. »
Il sort alors son ocarina de son pagne de plumes, et pose ses lèvres sur les tubes les plus épais. Ne comprenant ce qu’il fait, Narra demande :
« Qu’est-ce que tu es en train de fabriquer ?
— Tu as déjà essayé de parler avec les Coronimas ? Demande-t-il en s’ébrouant, projetant des gouttes partout autour de lui, et notamment sur Narra qui proteste d’un froncement de sourcil et d'un :
— Non ! Très sec. »

Fier de sa farce, Alibi se laisse aller à un ricannement qui agace d'autant plus Narra. Mais chaque milimètre que les sourcils de la jeune femme gagne sur ses yeux, satisfait d'autant plus le fils Volo. Sourire carnassier, il ajoute :
« Normal, ils ne te répondraient pas.
— Mais toi, tu peux leur parler, c’est ça ? Dit-elle d’un ton sarcastique, cette fois bien convaincue qu’il fait le malin.
— Pas tout à fait. »
Il souffle dans le bec de l'ocarina.
De longues notes graves, variant selon l’intensité de son souffle, imitent les chants des Coronimas.
Sous les flots, les coraux dodelinent ensemble, se penchant en rythme les uns contre les autres.
Ils frétillent, et leurs chants deviennent plus profonds.
Alibi cesse alors de jouer et plonge à nouveau la tête dans l'eau. Lorsqu’il remonte quelques secondes plus tard, il désigne la tour-couveuse de droite :
« Ils disent que le Volant est là-bas. Comme pour ponctuer sa phrase, il crache l’eau qui s’est immiscée dans sa bouche.
— Tu essayes vraiment de me faire gober que tu comprends les Coronimas ?
— Mets ta tête dans l’eau. Élude-t-il en se redressant, prêt à partir. Quand il comprend qu’elle ne le croit pas, il se retourne, et insiste en fronçant les sourcils. Allez, couche-toi moins bête ! »
Narra s’esclaffe, croyant à la plaisanterie. Elle le sait capable de lui jouer un tour. Cependant, elle ne peut s'empêcher de contempler les fonds, et bien voir que les coraux ont changé de rythme. Sa curiosité l’emporte.
Elle grimace puis plonge la tête sous l’eau. Une fois accoutumée à la pression sous-marine, elle écoute mais n’entend rien d’autre que de simples chants graves. S’apprêtant à émerger pour pourchasser Alibi qu’elle s’imagine se tordant de rire sur la rive, les chants semblent prendre peu à peu une intention plus nette. Quelque chose de dirigé, de plus orienté que de simples notes.
Narra se concentre, puis réalise : ces bruits, ce sont des mots ! Des mots intelligibles, rythmés, une sorte de leitmotiv :
« Co-porte ! Oiseau dort dans tour ! Dort dans tour !
— Entends ! Humains tête dans eau ! Tête dans eau ! »
Narra émerge puis s’ébroue. Répétant la farce qu'elle vient de subir. Alibi déjà trompé, n'en prend pas ombrage — au grand dam d'une Narra déjà prête à s'en moquer — et déclare :
« J’ai hésité à te pousser, m'en retenir a été la pire épreuve de cette aventure. »
Et avant qu’elle ne puisse échanger un sourire avec lui, il était déjà en train de se détourner, et de se diriger vers le couple de tours. Narra se redresse, et emboîte le pas du jeune homme, bien décidée à vite trouver le Volant, et à l’apprivoiser.
Contrainte de trottiner pour le rejoindre, la jeune femme craint que l’empressement de son compagnon ne leur coûte une autre chance de convaincre le Volant de se laisser monter.
« Tu devrais être un peu moins pressé.
— Facile à dire, c’est mon crédit en tant que descendant qui se joue. Il ne regarde pas Narra en lui répondant, continuant d’avancer d’un air décidé. J’ai un nom à perdre, toi, si tu échoues, tu seras promise à la vie à laquelle on t’a destinée. Il résume la chose simplement : j’ai tout à perdre, toi tu ne peux que gagner.
— Tu dis que c’est moins important pour moi, donc ? Demande Narra, loin d’apprécier le raisonnement du prétentieux, mais ça ne date pas d’aujourd’hui.
C’est factuellement moins important pour toi, oui. Répond-il, en se tournant enfin vers elle, l’air on ne peut plus sérieux. Tu ne vis pas avec la peur d’être dépossédée.
— En effet, j’ai déjà pas grand-chose, ironise Narra. Peut-être que tu devrais penser à échouer, tu serais enfin débarrassé de la peur de ne pas être le fils préféré du grand Guide.
— Si ton plan c’est de faire en sorte de confirmer à mon père que je suis un raté, tu peux te le garder. Répond-il d’un ton sec, avant de montrer le cœur du monde, l’enchevêtrement de toutes les branches d’ambre au centre du ciel. Je serai le monteur du Volant qui nous permettra de rejoindre l’Outre-mer, et là, là je serai libre du regard de mon père, pas avant.
— Ah, c’est donc pas une rumeur, le Guide y croit vraiment, à ces histoires ? Se moque Narra en ricanant, jaugeant son interlocuteur d’un regard plein de mépris. Être au-dessus de nous ne vous suffit pas, il faut que vous soyez au-dessus de Mer, aussi ?
— Je ne veux être au-dessus de personne, je veux être libre. Affirme Alibi en pressant le pas, s’éloignant de sa compagne. Et malgré ton mépris et ton caractère de merde, nous rentrerons à deux. »
Narra serre les poings, par pur réflexe. Elle s'en veut de réagir avec une telle vigueur, elle devrait être au-dessus de ses provocations. Elle aurait préféré qu'il l'insulte directement.
C'était trop propre, du mépris enrobé dans de la politesse. Elle Sait ce qu'il pense d'elle et des gens de son rang. Elle s’agace silencieusement, et presse le pas pour suivre le fils du Guide.
Elle ne peut s’empêcher de lever les yeux vers l’enchevêtrement d’ambre, qui prend progressivement une teinte plus ocre à mesure que le jour se lève, et qu’une lumière jaune éclaire les eaux.
Plus ils approchent des tours, plus un souffle se mêle aux chants des Coronimas. À mesure que le souffle devient de plus en plus fort et rauque, les épaules d’Alibi s’affaissent. Narra tend la main vers la lance que son compagnon lui tend, et ce dernier attrape du bout des doigts son ocarina.

Ils lèvent tous deux les yeux vers la source du son. La tour-couveuse de droite, faite de pierres calcaires, dont la flèche chancelle et vibre au rythme du souffle.
Des morceaux de coraux taillés en fins carreaux ont chu aux pieds de la tour. En suivant la trajectoire suggérée des débris, Narra remarque que la moitié du toit a été arrachée, et que des plumes blanches se mêlent au tas de carreaux.
Le Volant se trouve au sommet de la tour.

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