Zéphyr

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Péniblement, elle se hisse, motivée autant par l’envie de réussir que par la peur des Rame-libres. Chaque étape est difficile et la chaleur que dégage l’ambre lui brûle la peau. Mais Narra serre les dents et suit son compagnon, qui, plus expert dans ses gestes, pêche par son souffle perturbé, ainsi que l’hématome qui lui comprime la poitrine.
Narra se concentre sur l’ascension, luttant contre la chaleur et les multiples tensions qui lui enflamment les muscles. Elle grimpe péniblement et ne pense pas à la distance qui la sépare désormais du sol. Elle a réussi à rattraper son compagnon et est désormais à quelques dizaines de centimètres de lui. Ils s’échangent des regards complices et il se fend même d’un :
« Premier au sommet ? »
Elle pouffe en faisant tout son possible pour ignorer la douleur qu’elle ressent dans ses bras, ses épaules et même ses cuisses enflammées. Elle doit continuer de grimper, même si la douleur est atroce, elle ne doit pas l’empêcher de réussir.
Elle pose son pied sur une entaille épaisse, au bord érodé par l’évaporation des eaux en contrebas.
La pellicule d’humidité brûlante qui recouvre l’ambre glisse.
Juste assez pour que son pied se dérobe et que les bouts des piolets glissent dans les entailles.
Elle lâche prise.
Et la main d’Alibi se précipite sur son poignet.
Il l’empoigne au point de comprimer les veines saillantes de Narra. Cette dernière tente de reprendre pied et lance le piolet de son bras libre dans une encoche plus en hauteur. Silencieux, Alibi tremble en tenant sa prise sur le poignet de la jeune femme. Il serre les dents, mais son autre prise, sur le seul piolet qu’il tient encore, tremble elle aussi, ses mains poisseuses glissant sur sa prise.
Quand enfin, Narra arrive à s’accrocher à nouveau. Il pousse un soupir de soulagement.
Mais il sent qu’il va lâcher.
Ils n’ont qu’une seconde pour s’échanger un regard.
Elle ne comprend pas quand il pose son pied plat contre la surface et se propulse en arrière.
Il s’effondre dans le vide, suffisamment loin pour que son corps tombe dans les eaux en contrebas.

Sidérée, Narra cligne des yeux en regardant sous elle, tenue en équilibre sur ses deux piolets. Elle reste à toiser les eaux en contrebas, attendant qu’il revienne à la surface.
Mais elle comprend que si elle attend plus longtemps, elle ne tiendra pas l’ascension.
Elle avance. Coup par coup, prudemment, elle franchit les mètres et s’approche du sommet. Lorsqu’il y parvient et que son piolet s’établit à la surface de plus en plus brûlante de la branche d’ambre, elle y croit à peine.
Elle se hisse et lève les yeux, découvrant le nid du Grand-Volant, ce dernier assis, la regarde arriver.
Elle déglutit devant lui. Elle aimerait pouvoir jeter un œil derrière elle, pour vérifier qu’Alibi, en contrebas, est bien vivant, mais elle sait que si elle détourne le regard, le Volant s’envolera.
Lâchant ses piolets sur le sol brûlant, elle passe sa main couverte de sueur sous son pagne et en extrait l’ocarina. Le Volant pousse un piaillement intimidant en voyant l’instrument.
Narra tremble en voyant la réaction de la créature et comprend qu’elle ne devrait pas faire ça. Elle range l’ocarina. Tenant toujours le regard du Volant, elle s’approche lentement, poussée par son courage, ou son désespoir de se retrouver seule, sans filet, sans protecteur, au sommet d’une veine d’ambre, devant une créature qui pourrait l’engloutir en deux bouchées.
Mais elle arrive à avancer et plus elle est proche, plus la tête du Volant s’abaisse, pour arriver au niveau du regard de la traqueuse.
Par réflexe, Narra a envie de fredonner l’air de l’ocarina. Elle sait que les Volants ne se laissent approcher que par les humains qui jouent de la musique et notamment l’air de Mer, le salut des hommes.
Le regard du Volant se durcit, à quelques mètres seulement l’un de l’autre.
Et Narra s’arrête.
Elle ne tremble même pas de peur, son corps est tellement épuisé, elle a tellement chaud, qu’elle ne parvient pas à craindre ce qui peut venir.
Elle pense à sa mère.
Et elle fredonne.
Ce n’est pas une bonne chanteuse. Les notes ne sont pas exactement les bonnes. Mais l’air, le rythme des notes, est respecté.
Le Volant la regarde, son souffle ralentit.
Et il se dégage de son bec un sifflement qui épouse le rythme du fredonnement.
Et ensemble, ils se mettent à jouer. Jouer l’air du Salut des hommes.
Les sifflements et les chants de Narra, rebondissent sur les branches d’ambre et grimpent jusqu’au centre du monde.
Les veines s’illuminent partout autour d’eux et la chaleur irradie les airs.
Lorsque le silence retombe, le Grand-Volant pousse un piaillement doux et aigu.
Narra sourit. On lui a toujours dit que le premier mot que l’on adresse à son Volant deviendrait son nom.
Et elle le prononce distinctement :
« Zéphyr. »
Le baptême est perturbé par des cris. La jeune femme fait volte-face, pour regarder ce qu’il se passe au niveau de la plate-forme en contrebas. Alibi, rampe en traînant son dernier piolet avec lui, se redresse alors que des rame-libres s’établissent sur les berges de l’autre côté des chemins d’écume.
Narra regarde la cinquantaine de mètres qui la sépare de la surface du sol. Elle cherche un moyen de descendre de façon sûre, sans avoir à sauter.
Mais alors qu’elle cherche à droite et à gauche, elle n’a pas entendu le bec qui se presse sous ses jambes et la projette en arrière.
Elle hurle en atterrissant sur le plumage sombre et chaud du Volant. Elle s’agrippe immédiatement au cou de la créature, se cramponnant tandis que l’oiseau toise les hommes en contrebas et pousse un cri strident.

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