Sous les eaux...

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La lame crantée d’un piolet émerge des eaux et s’accroche à la plateforme, aux pieds du bras d’ambre. La tête d’Alibi regagne la surface alors qu’il se hisse, sa respiration aiguë trahissant sa douleur. Il roule sur le sol et se redresse immédiatement.

Devant lui, à plusieurs dizaines de mètres, l’eau remous encore du Volant qui vient d’y plonger. Il croit avoir vu Narra entraînait par la créature. Il serre la poignée de son piolet, serrant à l’idée de ne rien pouvoir faire pour empêcher le Grand-Volant de tuer sa camarade.

Mais des clameurs venant des berges lui rappellent qu’il n’est pas seul.

De l’autre côté des chemins d’écume, une douzaine d’hommes marchent sur les coquilles avoisinnantes. Des adultes dont l’épaisseur de vie se lit jusque dans leurs traits burinés et leurs épaules larges.

Ils ne sont pas juste venus avec des lances. Ils sont venus avec des harpons, des cordes faites de fibres de poudreuses, et leurs ocarinas sont plus fins et plus longs, jouant des notes interdites.

Eux, ne veulent pas communier avec le Volant.

Quatre d’entre eux se tournent vers Alibi.

Le plus dominant d’entre eux ricane en voyant le garçon. Ce qui doit être un chef de Volée est couvert de plumes de collerettes qui lui donnent une crinière qui recouvre son corps. Il tient dans ses mains un trophée sinistre.

Une patte de Grand-Volant, ses ongles servant de lames crochues.

Les Rames-Libres considèrent que tout ce qui n’est pas la Cité des Volières, est leur territoire.

Et Alibi a abusé de leur hospitalité.

S’ils sont là, ils veulent deux choses.

Le Grand-Volant.

Et s’ils veulent une rançon de la part de leurs ennemis Facirs, ils pourraient se satisfaire d’un prisonnier.

Alibi comprend vite, et s’en va se cacher derrière le bras d’ambre, tandis que l’ombre de ses poursuivants se projette sur les chemins d’écume.

Sous la surface, les coronimas hurlent :

« Co-porte ! Oiseau dans eau ! Oiseau dans eau !
— Entends ! Humain dans bec ! Humain dans bec ! »
Les paupières de Narra papillonnent, alors qu’elle fait l’erreur d’inspirer. Elle regarde autour d’elle et voit les bancs de coronimas multicolores qui dansent en célébrant la plongée du Volant.
Ses ailes et ses puissantes pattes lui permettent de s’enfoncer profondément dans les eaux laiteuses. Ils longent les bras d’ambre sous-marin dont la chaleur produit des miasmes mousseux qui grimpent en surface.
Narra s’agite, l’air lui manque et elle a l’impression de sentir le goût de soufre jusque dans ses poumons. Elle pousse sur le bec du Grand-Volant pour se dégager de la pression. Mais la créature raffermit sa prise et pince plus encore la jeune femme qui griffe le cuir sous les fines plumes qui couvrent le visage du Volant.
Elle aurait pu avoir taillé ses ongles en pointes qu’elle n’aurait pu que gratter la créature. La manière dont la paupière du Volant bat sous les coups d’ongles de Narra, agace profondément la jeune femme qui peste en se retenant d’ouvrir la bouche.
Si on lui avait dit qu’elle soulagerait une démangeaison d’un Grand-Volant, elle n’y aurait pas cru.
Ils poursuivent leur plongée, jusqu’à arriver à un nœud d’ambre au fond des eaux, un enchevêtrement qui brille d’un éclat si puissant que Narra en sent la chaleur à plusieurs dizaines de mètres. Un mince interstice fend en deux la structure, et plus ils s’en approchent, plus Narra comprend que cette faille est suffisamment large pour que le Volant s’y glisse.
La chaleur est telle autour du nœud d’ambre, que l’eau durcit et forme un igloo d’écume sous-marin, entourant le nœud comme une aura protectrice.

Lorsqu’ils parviennent dans cette bulle d’écume et traverse sa paroi, Narra inspire enfin.

Alibi regarde nerveusement tout autour de lui. Il considère sérieusement les eaux comme le meilleur moyen de se cacher, notamment en plongeant sous la plateforme.
Sous ses pieds, il sent le sol trembler, les bruits de pas annonçant l’approche de ses poursuivants.
Il n’a plus le choix, serrant contre lui le piolet, il approche du rebord de la plateforme et se glisse dans l’eau le plus discrètement possible. Il se tient à ce dernier pour se balancer sous la surface en retenant son souffle.
Quelques douloureuses brasses où son corps endolori lui rappelle les minutes précédentes, et il peut retrouver un peu d’air en gagnant la poche d’oxygène de quelques centimètres tout pile en dessous de la plateforme.
Juste au-dessus de lui, il entend le craquement des pas des rame-libres à sa poursuite. Il retient son souffle, comme s’ils pouvaient l’entendre, tandis qu’il entend des marmonnements.
« Encore des marmots Facirs qui veulent transformer un fier Volant en oisillon d’élevage.
- Tant que leurs parents payent pour la rançon, ils peuvent m’en envoyer autant qu’ils veulent, Répond un deuxième d’un ton goguenard, si le Volant refuse le combat, on aura au moins un lot de consolation. »
Les commentaires inquiètent moins Alibi que le silence des deux autres hommes. Il sent que parmi les pas, l’un d’entre eux est bien moins fébrile, et attend sur le bord de la plateforme, contemplant probablement les eaux.
Et s’il… ne confondait pas les remous de la plateforme avec ceux qu’Alibi a provoqué en s’immergeant ?

Le jeune homme, serre son piolet avec plus d’ardeur encore, alors qu’il se met à discrètement s’éloigner de sa position pour partir de là.
S’il doit plonger pour nager plus loin, il le fera.
Un commentaire le convainc de se presser :
« J’entends un très gros poisson, en dessous. »
Cette voix, douce et profonde, lui glace le sang, tandis qu’il s’immerge et brasse à toute vitesse en retenant son souffle.

À la surface, les rame-libres s’agitent.

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