Elle en a bondi comme un geyser de plumes et de serres. Les ailes blanches se déploient, et le cri du Grand-Volant arrête la course des Rame-libres et distrait leur chef.

Son hurlement déchire le silence des eaux sur plusieurs kilomètres. Il dure d’interminables secondes et l’écho fait vibrer les îles tandis que le Volant fond vers les Rame-libres.
Narra se plaque contre le plumage et sent le vent fouetter ses oreilles, alors que l’oiseau de légende est désormais en train de longer le sol, passant juste au-dessus des Rame-Libres qui perdent leurs coiffes, prises dans la bourrasque du passage du Volant.
Alibi voit l’oiseau gigantesque intimider ses agresseurs. Son visage s’illumine lorsqu’il voit, entre les longues plumes qui claquent au vent, Narra accrochée au cou de la créature.
La jeune monteuse, ne sachant quoi faire, tape sur le côté droit du cou du Volant, espérant qu’il comprenne qu’elle veut qu’il aille vers la droite.
Bien évidemment, il se tourne vers la gauche et décrit un arc.
Le chef des Rame-libres, regarde la créature qui fend les airs, et avise un instant Alibi. Ils échangent un regard appuyé, avant que l’homme ne se détourne et ordonne à ses hommes, désarçonnés :
« Harponnez-le, vite ! »

L’instant qui suit, les traits fusent alors que le Volant perd de l’altitude et plonge sous l’eau. Les harpons le manque tandis qu’il se redresse déjà et qu’il refait surface.
Narra trempée jusqu’aux os, fait de grands gestes à Alibi.
Il regarde la trajectoire de la créature, et comprend qu’elle va bientôt longer l’île.
Sans plus réfléchir, il fonce du côté opposé au chef des Rame-libres, et plonge dans l’eau.
Ce dernier, anticipant le passage à venir du Volant, attrape un harpon dans son dos, et attend patiemment que la créature soit à portée.

Narra voit l’homme se préparer à jeter le trait, et frappe l’encolure de Zéphyr dans l’espoir que le Volant réagisse. Ce dernier finit par voir l’arme de jet juste au moment où elle est lancée. Au dernier moment, il plonge sous les eaux et le trait lui passe justement.
Mais la lame frôle l’épaule de Narra de si près, qu’elle lui entaille la chair.
Malgré la douleur qui la saisit, elle se concentre sur la main d’Alibi qui dépasse des eaux.
Alibi voit les doigts de la jeune femme fondre vers les siens et se redresse autant qu’il peut pour qu’elle l’attrape.
Leurs doigts s’enroulent, mais la prise de Narra est faible.
Il faut qu’Alibi saisisse une poignée de plumes de Zéphyr de sa main libre pour se hisser et grimper sur le cou de l’oiseau.
Lorsqu’il se trouve assis derrière Narra, elle entend un long soupir sur son cou. Les épaules d’Alibi s’effondrent, alors que son corps est parcouru de spasmes. La jeune femme passe sa main derrière elle, pour la poser sur l’épaule du jeune homme, accompagnant des pleurs nerveux. Elle compatit à sa peine, sans pouvoir en saisir toute la violence.
Il relève la tête, encore secoué par ses pleurs incontrôlés. Le soulagement qu’il ressent, est immédiatement rendue amère par la réalisation qu’il a échoué.
Elle, elle a réussi.
Mais il aperçoit alors l’épaule écarlate de Narra, et le vertige qui prend la jeune femme tandis que ses yeux papillonnent.
Oubliant ses états d’âme, c’est à Alibi de poser sa main sur l’autre épaule de la prodige, et lui souffler :
« On va soigner ça, le Volant peut nous conduire aux Volières ? »
Sans qu’elle ne le sache vraiment, Narra approuve et expire lentement, serrant entre ses doigts ceux de son compagnon.
Est-ce la faiblesse d’un instant, ou une hallucination, qui lui donne l’impression qu’il caresse le dos de sa main ?
Quoi qu’il en soit, elle ne se soustrait pas à l’étreinte.
L’oiseau attend que la tension soit retombée et être assez loin des Rame-libres pour enfin battre des ailes et s’élever dans les cieux.