ABBY & MAX

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Abby arriva en haut des escaliers à moitié essoufflée, les joues rosies par son ascension. La fille maladroite (et épuisée) qu’elle était s’était lamentablement endormie dans le bus, manquant son arrêt, et ainsi l’arrivée du livreur de pizza. Un message lui avait alors été remis comme quoi sa commande l’attendait patiemment chez son voisin.

Son voisin… évidemment !

Elle reprit son souffle, réajusta ses cheveux, passa ses doigts sous ses yeux pour effacer son maquillage coulé, et sonna à la porte. Cette fois-ci, la baffe ne partit pas. Mais son cœur, quant à lui, fit plusieurs bonds. « L’effort physique » se rassura-t-elle avec un petit sourire.

— Salut toi.

— MâAax, salut ! Euh, désolée de te déranger mais je crois que tu as quelque chose qui m’appartient…

— Il se pourrait bien, ouais. Attends, je vais te chercher ça.

Lorsque Max tourna les talons, Abby baissa inconsciemment le regard sur ses fe… ses cui… ses mo… ses chaussettes ! Waouh, elles étaient si… blanches ! Le sol chez lui devait être parfaitement nettoyé et propre. Elle se demanda alors s’il s’amusait à passer l’aspirateur et la serpillère régulièrement ou s’il payait une femme de ménage. D’ailleurs, il fallait en avoir un sacré paquet pour pouvoir s’en payer une ! Ce n’était pas avec son maigre salaire de vendeuse qu’elle pourrait engager quelqu’un qui jouerait le rôle de Cendrillon chez elle. Oh ! Est-ce que… celle de Max ressemblait à une princesse Disney ? Enfin, s’il y en avait vraiment une… Mais ça ne la regardait pas !

Elle revint à elle au moment où il lui fit à nouveau face, son précieux sésame dans la paume de sa main, avec au-dessus une petite boîte en plastique contenant son autre sésame.

— Oh super ! Merci beaucoup d’avoir récupéré ma commande pour moi. J’ai… honteusement loupé mon arrêt, et j’ai dû marcher quelques kilomètres pour rentrer.

Au moins, elle avait bien mérité son repas.

Cette histoire frôlait le ridicule, mais Max ne fit que lui offrir un sourire compatissant. Il lui tendit la boîte en carton qu’elle faillit saisir, avant de la retirer aussitôt. Le doux visage de la jeune fille se crispa aussitôt, comme s’il venait de briser tous ses espoirs.

— Un hawaïenne, hein ? Et c’est moi que tu traites de fou parce que je dis du Nutella ? Tu mériterais d’être carrément châtiée pour oser manger des ananas sur une pizza, Abby !

D’abord surprise, Abby haussa les sourcils, puis les fronça et croisa les bras sur sa poitrine, espérant se donner un air plus sévère. Ses paroles claquèrent dans les airs :

— T’es italien peut-être ? Et puis, qu’est-ce que ça peut te faire, hein ? Vas-y rends-la moi, j’ai faim !

— Un petit quart de sang italien coule dans mes veines, oui. Et donc, dans le p’tit asticot qui grandit dans ton bide aussi. De ce fait, et pour le bien de la génération à venir, je t’interdis formellement de manger ce truc immonde !

Un Italien, et puis quoi encore ?! Espagnol, OK ça avait du sens, mais Italien ?! Est-ce que Tom aurait encore omis de lui avouer une info sur ses origines ?

— Quoi ? Tu rigoles j’espère ?

— Attends, t’imagines que j’ai dû héberger un monstre pareil chez moi ! Et ce, juste pour que t’évites de mourir de faim.

— Bah justement ! Pas que t’aies pris ce trop gros risque pour rien, alors donne-moi ma pizza.

Elle tendit la main, pliant et dépliant plusieurs fois ses doigts. Il n’y avait pas à dire, elle fera une parfaite maman qui saura se montrer stricte au moment opportun.

— Aboule, Max !

— OK… de toute façon c’est en train de me brûler la main, ta pizza des enfers !

Enfin, Max lui rendit sa boîte.

… Mais s’empara aussitôt de la plus petite qui traînait dessus.

— Par contre, ça te coûtera tes profiteroles !

Oh. Mon. Dieu ! L’accent qu’il avait utilisé pour prononcer ce mot, Abby aurait pu s’évanouir direct ! Enfin… seulement si cette pâtisserie ne l’avait pas obsédée toute la journée, parce que là, elle n’avait qu’une hâte, et c’était de dévorer son repas.

— Bon… tu l’auras voulu !

Sans crier gare, elle fonça droit sur lui, passa à côté en lui donnant un coup d’épaule volontaire, et rentra dans sa demeure.

— Euh, tu fais quoi au juste ?

— Je vais (elle posa le carton de sa pizza sur la table) manger (ouvrit la boîte) une part (en saisit une) de pizza (s’assit) hawaïenne (le fixa avec un air de défi) chez toi ! (et mordit amoureusement dans la pâte.)

Max ricana. Cette fille en avait une sacrée paire ! Aucune retenue, pas même une once de décence. Elle faisait son petit effet.

— Oh mais je t’en prie, fais comme chez toi ! C’est pas comme si ça faisait genre, quoi, 24 heures qu’on se connaissait ?

Et même, il avait l’impression de la connaître depuis toujours, et ça avait l’air d’être réciproque. Tout était si simple et naturel avec elle, ça faisait du bien !

— Même indirectement, on est liés d’une certaine façon. Donc bon…

— Non, plus maintenant. T’es reniée de la famille Ella pour toujours avec ta… pizza.

Abby aurait pu s’effondrer en pleurs. En y repensant, elle aurait sérieusement voulu faire partie de la famille Ella en se mariant avec Tom. Dans sa vie de rêve, elle serait devenue Madame Tom Ella. Mais au fond, ce petit jeu entre elle et Max l’amusait bien, il la distrayait de ses pensées négatives. Pour le coup, elle ravala les sanglots dans sa gorge, reprogramma sa tristesse et ses lamentations à plus tard, et fit un beau doigt d’honneur à son hôte, lui montrant sa jolie part de pizza entre ses dents toutes blanches.

Quant à lui, Max aurait voulu ravaler ses paroles. Putain, mais quel con ! Il n’aurait pas mieux fait comme meilleure impression avec un tact pareil. Aussi, il méritait ce doigt d’honneur.

— Abby, pardon… je voulais pas…

— C’est scandaleux, Max ! Il va falloir faire plus que ça pour que je t’accorde mon pardon.

Il intercepta son regard malicieux. Non, pas ça. Tout mais pas ça ! Il tourna la tête de gauche à droite, le souffle court, tandis qu’elle pencha la sienne de haut en bas.

— Alors là, tu rêves !

Mais Abby ne l’écouta pas. Se leva. S’avança. Pour rien au monde elle aurait fait demi-tour : la mine apeurée de Max était à mourir de rire. Et encore, apeuré était un bien faible mot. Il était tellement tétanisé qu’il n’arrivait même plus à bouger. Ses jambes tremblaient et il peinait à déglutir. Vraiment, il semblait regretter ses mots…

Lorsqu’elle fut à sa hauteur, elle posa une de ses mains sur son épaule qui eut l’effet d’un choc électrique, se hissa sur la pointe des pieds, et tendit une part de pizza.

— Ouvre la bouche…

Dans un autre contexte, il l’aurait ouverte, sa bouche. Pour s’emparer de la sienne, par exemple. Il n’aurait pas dit non à ce qu’elle y glisse sa langue, joue avec la sienne. Elle aurait même pu introduire son indexe et son majeur qu’il les aurait léché, sucé avec avidité. Mais à la place, il obtempéra. Elle avait murmuré cette phrase avec tant de sensualité qu’il pourrait se plier à n’importe laquelle de ses volontés. Même avaler une putain de pizza hawaïenne alors que deux secondes plus tôt, il ne l’aurait jamais imaginé.

— Tu vas le regretter, Abby…

— T’es pas en position de me menacer.

Non. Ceci dit, son entrejambe optait gentiment pour une position plus à la verticale… D’autant plus que le souffle chaud de sa tortionnaire faillit le rendre fou. Il ferma les yeux, ouvrit la bouche, et…

Tout partit en vrille.

— Non, Abby. Je peux pas…

Il la repoussa avec autant de précaution que possible, et soudain, la magie, l’euphorie éclatèrent en mille morceaux. L’éclat dans ses yeux s’était brisé, lui aussi.

— Tu devrais rentrer chez toi.

— Quoi… ?

Il attrapa les profiteroles, la pizza et les lui donna d’un geste brusque.

— Il se fait tard. J’ai une grosse journée demain et je suis crevé.

Abby ne dit plus rien. La boule qui s’était formée dans sa gorge à cause du ton plus sec de Max l’empêchait de parler. Finalement, elle ne fit qu’obéir à ses ordres, et rentra chez elle, après lui avoir lancé un dernier regard embrumé.

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