Zahré

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Assis à son bureau, Alim le dévisageait.

Ce dernier était préoccupé à l’idée que ses protégées soient mises en danger. En quittant Ifrine quinze ans plus tôt, Zahré aurait dû se douter que le vieil homme allait, malgré lui, s’attacher à la présence des deux sœurs à ses côtés. Mains jointes derrière le dos, Il soutenait le regard de l’homme le plus influent d’Ifrine.

« Je te confie les deux, car elles sont habituées à évoluer ensemble. L’issue de cette expédition ne sera pas facile pour Kahina. C’est pourquoi il est préférable que sa sœur aînée l’accompagne. »

Le problème était que Zahré n’avait pas envie que la plus âgée les accompagne. Loin de lui faciliter la tâche, elle risquait même de le trahir, par inadvertance certes, mais ses plans seraient en danger.

Zahré entreprit de détailler celui qui fut son précepteur : sa pilosité était dorénavant entièrement blanche et les rides qui marquaient son visage, déjà présentes du temps où il étudiait à la Citadelle, s’étaient creusées. Depuis le nombre d’années qu’il n’avait plus revu l’homme qui se trouvait en face de lui, la force tranquille qui fut celle de ce dernier semblait s’être ébranlée. À l’époque, ils se trouvaient tous les deux à un moment charnière de leur longue vie de Descendants et Alim était à présent pleinement rentré dans le dernier stade de son existence. Cette dernière étape de sa vie, et en raison de pureté de sa lignée, pourrait durer jusqu’à une centaine d’années. Zahré estimait que pour un érudit qui ne quittait pas son fauteuil rembourré de coussins, vivre cent années dans cet état était une fin de vie des plus ennuyeuses. Et il aspirait à ne jamais avoir à vivre un pareil destin.

En espérant qu’il lui ramène saines et sauves les deux gamines qu’il a prises sous son aile à leur arrivée, Alim donnait à Zahré l’impression qu’il était devenu un vieil homme faible et en panique face à l’absence de progéniture pour le soutenir dans sa vieillesse.

« Je n’ai toujours pas eu l’occasion de revoir Anna », finit-il par déclarer, « mais Kahina semble avoir mûri, d’une certaine manière. »

Le vieillard esquissa un sourire et son regard se porta sur la pierre de dévoilement que Zahré portait à son cou. Il nota l’intérêt d’Alim pour l’objet et la prit alors dans sa paume pour l’analyser à son tour : des stries noires parcouraient le blanc d’ordinaire translucide du bijou. Zahré savait ce que ça signifiait.

« Hamaï est-elle là ? »

Alim haussa ses sourcils épais et broussailleux et fit la moue pour marquer son incertitude. « Qui sait ? Kahina l’a probablement prise dans sa chambre. Ces deux-là sont inséparables depuis que tu nous as quittés. »

Alim se trompait. Kahina n’était pas dans sa chambre. Il repensa à sa rencontre plus tôt dans la journée avec la jeune femme qu’elle était devenue et sourit. Puis, toujours amusé de l’ignorance du vieillard, il reporta son attention sur ce dernier. « J’ai besoin de lui parler. »

Alim soupira et se leva de son bureau, Zahré décida de le taquiner. « Enfin, j’aurais presque pu croire que tu étais devenu indissociable de ce fauteuil ! »

Alim ignora la remarque, s’éclaircit la gorge et vint se placer à sa hauteur. « Kahina est un espoir pour Hamaï, pour sa mère, et pour tous les autres qui vivent cachés. Ne le détruis pas, car tu y perdrais une alliée formidable. Cette enfant est très douée. »

Il prit le parchemin le plus proche de lui et le déroula : « Crois-moi, lorsque je te dis que cela me fend le cœur d’agir selon tes ordres. La laisser dans l’ignorance est un véritable gâchis de ses capacités. »

Zahré se pencha sur ce qu’Alim venait de lui mettre sous les yeux et découvrit des théories toutes plus fascinantes les unes que les autres à propos de mots dont il connaissait la signification. Cependant, ces savoirs demeuraient inaccessibles aux novices et à certains confirmés qui n’auraient, pour certains, jamais accès à l’intérieur de la Citadelle.

« Tu es doué, Zahré. Et tu caches ton jeu aussi bien qu’un Djinn pourrait le faire… »

Il détourna son attention du parchemin et toisa du regard Alim, ce qui fit se taire le vieillard.

Si seulement tu savais…

Il haussa les sourcils pour encourager l’érudit à reprendre.

« Mais elle pourrait te surpasser. »

Et si ça se trouve, elle cache aussi bien son jeu que moi, songea Zahré.

« C’était trop dangereux », murmura-t-il dans un souffle, avant de poursuivre de manière plus audible, sans pour autant vouloir élever la voix : « N’oublie pas de qui elles descendent, n’oublie pas ta trahison qui est devenue la mienne aussi, et ce, par ta faute. »

Alim déglutit et baissa les yeux.

« Cependant, je reconnais qu’elle a du talent ! Dis-moi, tu lui as appris à se défendre ? »

Zahré voulut son ton neutre afin de mettre en confiance le vieillard.

« Tu me l’as interdit. »

Un sourire de satisfaction traversa les lèvres de Zahré et il observa le vieillard : « Bien. D’autre signe d’une éventuelle ascendance… directe ?

— Je n’ai rien remarqué. Elle est assez perspicace, comme tu peux le voir avec ce que tu viens de lire. Et pourtant, Layi et moi avons fait de notre mieux pour les garder dans l’ignorance de leurs origines et de leurs potentielles capacités, elle et Anna. »

Zahré passa la main au-dessus de la flamme de la bougie tout en reportant son attention sur Alim. « Justement, qu’en est-il d’Anna ? »

Alim secoua la tête de droite à gauche en fermant les yeux.

« Son esprit est faible, c’est un fait. Elle est beaucoup plus obéissante que sa jeune sœur. Mais parce qu’elle a probablement un Marid dans ses ancêtres, son lignage est dangereux : c’est pour ça que j’ai choisi de l’écarter en la mariant. »

Alim arrêta de lui-même son propos : la flamme avait gagné en intensité et léchait à présent la paume du guerrier, tout en se frayant un chemin à travers ses doigts. Zahré jeta un regard à Alim, retira sa paume de la flamme et joignit à nouveau les mains derrière son dos.

« Balivernes que cette prétendue dangerosité des descendants issus d’une ascendance d’esprits d’eau et de feu, et tu le sais. Mais continue, je t’en prie. »

Par contre, il était tout à fait possible que cette petite peste prétentieuse possède un ancêtre parmi les djinns d’eau, pensa Zahré.

Alim hésita, puis reprit. « Rien de plus ennuyant à dompter qu’un esprit comblé. Et Anna n’aspire qu’à avoir une vie oisive. Je vais la lui offrir, mais loin d’ici. »

Zahré, qui jaugeait le vieillard, crut déceler de la tristesse dans ses yeux usés et brillants de tout ce qu’ils avaient pu voir un jour, portant à la connaissance de leur propriétaire savoir et pouvoir.

« Que feras-tu, quand il sera vu qu’elle ne vieillira pas à un rythme, disons… normal pour son futur mari ? »

Alim baissa la tête sous la réprimande et tenta une hypothèse des plus hasardeuses : « Vu son absence de… talent, sa mère doit être plus humaine qu’autre chose. »

Et étant donné ses caractéristiques physiques, je parierais le contraire si j’étais toi.

« De plus, leur père m’a affirmé que cette dernière ne venait pas d’Adhamra »

De mieux en mieux : leur connaissance des esprits du Nord était pour ainsi dire nulle. Dans le meilleur des cas, le père des filles avait berné Alim, qui avait voulu croire à son histoire.

Même si Alim quitterait ce monde sans descendance, Zahré ne destinait pas les sœurs cette vie-là. Alim ne pourrait pas se reposer sur le support d’Anna à cause de ses propres croyances, infondées, mais pourtant terriblement ancrées dans la mémoire collective de leur peuple. Mais Zahré n’allait certainement pas lui permettre de garder Kahina à ses côtés.

« Je ne te les ai pas laissées pour que tu les prennes en affection comme tes filles, Alim. La seule raison pour laquelle tu es encore ici, c’est parce que je perçois l’opportunité d’utiliser l’une d’entre elles pour faire plier la volonté des sangs purs du royaume d’Awsirat » Alim soutint un moment son regard, mais finit par baisser une nouvelle fois les yeux. Lui, le guerrier, avait gagné en responsabilités. L’alliance clandestine qu’il avait scellée voilà des années, en ne dénonçant pas le vieillard lorsque le père des filles était venu le trouver, faisait de lui un félon : tout comme le reste des membres du Conseil de la Citadelle d’ailleurs, qui ne prirent jamais la peine de surveiller les agissements de leur plus éminent membre de la Citadelle d’Ifrine.

Zahré observa l’artefact qui était accroché au mur. La lance rétractable d’un des plus grands guerriers de la dernière Grande Guerre qui opposa les royaumes des descendants était exposée dans le bureau d’un érudit pour le spectacle. Si seulement, Alim n’adorait pas autant montrer qu’il possédait des choses, cette arme pourrait être mieux dissimulée.

Qu’importe pour lui de chercher à cacher ces reliques d’un autre âge pour beaucoup, car voilà des siècles que le continent était en paix, même s’il n’était pas sans savoir que les dangers étaient seulement enfouis.

Tous avaient oublié le pourquoi du comment ils respectaient les castes des érudits et des guerriers. Tous avaient oublié la vraie raison du peu de considération que faisait la société de la caste des artisans. Tous pensaient que la paix perdurerait et que rien ne menaçait. Mais pour combien de temps encore ?

« Dois-je savoir autre chose, Alim ? »

L’intéressé soupira et se dirigea vers son bureau d’un pas lent et le dos courbé. Il se laissa choir dans son fauteuil rembourré de coussins et jaugea Zahré, les lèvres pincées. Il était certain que le vieillard devait passer le plus clair de son temps installé dans ce siège. Alim ouvrit un tiroir et jeta un regard en direction de Zahré, puis en sortit une enveloppe qu’il tendit au guerrier qui s’en saisit en la calant entre son index et son majeur.

Il inspecta l’enveloppe et interrogea l’érudit du regard.

« C’est à propos de Nahir. Il a été aperçu près de l’endroit où vous vous rendez. Fais attention aux filles, Zahré Dinn. À l’heure qu’il est, j’ai bien peur que son djinn ait pris le contrôle total de son esprit, et donc que ses capacités aient décuplé. »

Zahré fronça les sourcils. Peut-être aurait-il fallu l’arrêter le jour où il est venu te supplier de t’occuper de ses enfants, se garda-t-il de lui rétorquer. Alim était tellement inquiet pour les filles qu’il se fendait même de rappeler à Zahré son titre.

Il sortit la lettre qu’il parcourut en diagonale, puis pinca les lèvres à son tour : « Les dissidents à notre autorité sont jusque dans tes petites abeilles ? Intéressant… »

Alim ne put réprimer un rictus nerveux face à l’âpreté du guerrier. Zahré inspira, prit le temps de remettre la lettre dans son enveloppe et la rangea dans sa tunique.

« Je…

— Je ne réponds de rien en ce qui concerne les étrangers. Mais je te fais la promesse qu’il n’arrivera rien aux filles, si elles m’écoutent.

— Kahina…

— Sera mise à l’épreuve. J’ai besoin d’une alliée, pas d’une rebelle de plus à gérer. »

Il avait lui-même eu une affection débordante pour la gamine qu’elle était, mais ne pouvait pas se permettre de se perdre à nouveau dans ces considérations. Sa propre vie était en jeu.

Le guerrier tourna le dos à Alim qui en profita pour soupirer une nouvelle fois. La flamme de la bougie gagna à nouveau en intensité et il vit que Zahré le toisait du regard, à demi retourné dans sa direction.

« Ne fais rien d’insensé, Alim. Cela nous desservirait à tous les deux. »

Le vieil érudit effectua une révérence de la tête tandis que Zahré quittait la pièce.

Ce voyage allait être compliqué, et pour l’heure, il espérait plus que tout autre chose pouvoir s’entretenir avec Hamaï avant son départ : il devait en savoir le plus possible sur ce que Kahina avait pu apprendre auprès d’Asha. S’il ne parvenait pas à la voir avant la tombée de la nuit, il devrait se rendre seul et en catimini chez la mère de celle-ci afin d’aller s’informer à la source. Il arriva dans la « Cour Intérieure » et, au vu de l’entretien qu’il venait d’avoir avec Alim et de la présence des coussins autour du bassin, il en déduisit que c’était toujours l’endroit préféré d’Anna. C’est là qu’il aperçut Hamaï, qui le fixait de ses yeux d’un vert brilliant inhabituel. Elle tombait à point nommé, cette chatte. Il s’approcha.

« Si tu aimes être portée, oublie ça tout de suite. Suis-moi. »

Le félin émit un miaulement discret, puis s’enfuit. Zahré soupira. Tant pis, il savait où il devait se rendre dans ce cas. Il attendrait que la nuit tombe pour s’aventurer en ville mais pour l’heure, il était temps de retrouver ses compagnons de route : Afsir et Rhija.

*

Zahré avait pu deviner que la volonté de ses guerriers aurait été de rester le plus possible à l’extérieur, y compris pour le repas du soir. À son arrivée dans la Cour des invités, une table était déjà installée, et des mets y avaient été déposés. Même si l’usage voulait qu’il commence en premier, il leur fit signe de se servir. Il observa les alentours, très peu de lampes et toute suffisamment cloisonnées, afin d’opposer assez de résistance à un descendant d’une lignée faible qui en viendrait à éprouver de la frustration. La seule source de feu qui pourrait se révéler dangereuse était ce chandelier posé au centre de la table.

« Ils savent tout de même recevoir », murmura Rhija dans leur langue, celle des descendants.

« Il faut l’avouer », renchérit Afsir en arrachant un morceau du lièvre grillé au miel pour le porter à sa bouche.

Zahré se contenta d’acquiescer et s’apprêtait à prendre une datte, lorsque le bruit du portail qu’on ouvre se fit entendre.

« Tss », siffla-t-il. Elle ne prenait même pas la peine de revenir de la façon dont elle était sortie. Sa tête baissée exprimait un certain mal-être, Kahina n’était pas d’humeur. Tout le contraire de lui.

« À quoi bon filer en toute discrétion, si c’est pour exposer ton escapade interdite au vu et au su de tous ? » siffla-t-il à nouveau, d’un air taquin cette fois. Rhija et Afsir rirent de bon cœur tout en continuant à manger. Elle ne s’arrêta pas avant d’être arrivée à leur hauteur pour les balayer, lui et ses compagnons, de ses yeux noisette empreints de nuances vertes. Kahina plongea alors ses yeux dans les siens : « Et alors, vais-je être privée de dessert ? »

Zahré n’eut pas le temps de répondre pour tenter une nouvelle fois de lui rendre sa bonne humeur que Afsir , le plus jeune, s’interposa. Il devait être outré qu’une orpheline humaine se permette autant de familiarité avec son supérieur.

« Nous pourrions être tentés de t’attacher sur ta monture lors de la traversée, car il serait périlleux, même pour nous, de devoir te chercher à travers les dunes du désert ! »

Il était inutile pour Zahré de chercher à intervenir, la répartie de Kahina s’était aiguisée avec les années. La réponse de la petite protégée d’Alim ne se fit pas attendre.

« Le royaume du désert est votre univers, c’est un terrain que je ne risquerais pas d’explorer sans un guide aguerri tel que vous semblez l’être. »

Un sourire parcourut les lèvres du vieux Rhija, qui se mit à rire quand le regard de Zahré croisa le sien. Afsir arqua les sourcils, surpris, puis rit à son tour.

Mais Kahina n’en avait pas fini. La flamme du bougeoir gagna en intensité et Zahré souffla dessus pour l’éteindre.

« En revanche ici, à Ifrine, vos pas foulent une terre sur laquelle j’ai grandi et dont j’ai eu l’occasion de conquérir chaque recoin. »

Le répondant de la jeune femme laissa son opposant sans voix.

C’est un visage étonné et frustré que Afsir montra à son chef, qui le toisa du regard.

« Il suffit… », murmura alors Zahré.

Sans un regard pour Kahina, il reprit son repas là où il l’avait arrêté à son entrée. Là où Afsir semblait ne rien avoir remarqué, il était certain que Rhija avait noté un changement d’intensité de la flamme qui éclairait la table. À qui imputerait-il ce changement d’humeur, à lui ou à elle ?

Quant à Kahina, elle avait profité de sa remontrance à Afsir pour se faufiler entre les colonnes pour disparaître. Zahré eut le temps de voir qu’elle emportait Hamaï, qui émit un miaulement mécontent.

Bien fait, songea Zahré.

La nuit était à présent maître des lieux. Zahré s’essuya les mains et se leva.

« Tu ne termines pas ton repas, Zahré Dinn ? » s’enquit Afsir .

Zahré détestait qu’on lui rappelle sa position de cette façon, il n’en avait pas besoin. Il lança un regard noir à Afsir .

« J’ai autre chose à faire. Et cesse de te quereller avec les humains, s’il te plaît. »

Il jeta un regard à Rhija pour lui signifier de surveiller Afsir , et partit se changer. La nuit, tous les chats sont gris et il se devait d’être particulièrement discret.

*

Zahré ramena la capuche de sa cape sur sa tête et passa le portail de la maison d’Alim sans se retourner sur les gardes, postés nuit et jour devant l’entrée.

Il n’avait pas besoin d’Hamaï pour trouver la demeure de sa mère, lui aussi avait vécu à Ifrine. Lorsqu’il arriva devant la vieille masure délabrée d’Asha, il s’aperçut que la porte était ouverte. Sans un bruit, il pénétra dans la maison.

Asha était assise à une table remplie de parchemins et de poussière, une fiole posée devant elle.

« Tu n’as pas senti ma présence ? Quel dommage. À ce propos, ta fille est toujours aussi sauvage… »

Lorsqu’elle l’entendit, la vieille femme tenta d’éteindre sa lanterne. En vain.

« Inutile, Asha.

— Tu ne devrais pas être ici…

— Si tu avais élevé ta fille dans le respect du pouvoir en place, peut-être que je n’aurais pas eu besoin de toi.

— Désormais, tes paroles résonnent comme celles de tes aïeuls avant toi, héritier. »

Elle se leva en s’aidant du rebord de la table. Zahré savait qu’elle n’en avait plus pour longtemps : sa flamme s’éteignait.

« Tout juste, je ne verrais pas le moment où ceux qui, comme ma fille, doivent se cacher de la tyrannie des tiens, seront libres… c’est pourquoi tu dois impérativement révéler tout à cet enfant. Elle n’est pas prête, son cœur est le plus insouciant de tous.

— Elle est encore jeune, je vais seulement l’évaluer. Si elle ne correspond pas à mes attentes, tu sais ce que tu devras faire. »

La vieille ouvrit la bouche pour répliquer, mais Zahré sentit une troisième présence. Lorsqu’il se retourna, il eut tout juste le temps de comprendre qu’on lui sautait dessus. L’élan de son assaillante le projeta contre une pile de parchemins rangés de manière négligente contre un mur, elle posa une dague contre la gorge de Zahré, ses yeux vert émeraude enragés plongés dans les siens.

« Ose la toucher, chien !

— Hamaï, non ! » Hurla sa mère.

Trop tard. Zahré attrapa le poignet de la jeune femme qui fut captivée par la fumée s’échappant de son corps. L’instant d’après, elle hurla et lâcha la dague. Zahré la saisit à la gorge et la fit se mettre à genoux. Il pouvait lire la terreur dans ses yeux.

« Pitié. Pitié pour ma fille, Zahré Dinn », implora Asha au bord des larmes, sans pour autant oser s’approcher de lui.

Un bruit se fit entendre, Zahré desserra sa prise de la gorge d’Hamaï et se retourna. C’était une humaine qui venait de laisser tomber son panier de stupeur. Des pas précipités dans son dos lui confirmèrent que Hamaï venait de disparaître sans demander son reste.

Il ne fallait pas laisser de témoin. Les djinns étaient dorénavant une légende, et nul ne connaissaitt plus la raison de la longévité exceptionnelle des castes des guerriers et des érudits. Jusqu’à la prochaine guerre, il devait en demeurer ainsi.

« Je… », souffla la femme, qui devait être une cliente d’Asha.

Cette dernière s’interposa, la fiole dans les mains.

« Il y a une manière plus douce que celle que tu t’apprêtes à employer… »

L’œil unique de la vieille descendante se mit à briller et elle fit volte-face pour s’approcher de l’humaine, toujours paralysée par la peur. Asha prit sa main et lui déposa la fiole en lui refermant la paume. Le souffle de l’humaine venait de se couper. Zahré recula dans la pénombre et fit en sorte que la lanterne éclaire plus faiblement la pièce.

« Allons, regarde-moi et prends ceci pour ton fils. Il est vrai que je ne sais pas recevoir correctement et que je fais peur… mais mes remèdes sont très efficaces, et réputés dans toute la ville ! »

Asha se mit à rire et la respiration de sa cliente reprit. Elle cligna des yeux plusieurs fois, comme désorientée et regarda ce qui se trouvait sur le sol.

— Mais… que fait mon panier par terre ?

— Oh, la maladresse peut quelquefois surprendre même les plus habiles d’entre-nous ! » s’empressa de répondre Asha en s’écartant pour laisser se pencher la femme afin qu’elle ramasse son panier.

L’humaine s’en alla et Asha tourna son œil unique vers l’endroit où se trouvait Zahré. Il la prit de court :

« Ta fille…

— L’a cherché, j’en suis désolée pour elle… » Le coupa-t-elle à son tour.

Asha la borgne ne s’inclina pas, car elle ne respectait pas la famille des Dinn. En silence, elle l’invita à sortir.

« Elle aurait dû se douter que je n’allais pas me laisser faire crever l’œil. »

La vieille femme détourna le regard et Zahré esquissa un sourire.

« Les métamorphes sont des espions incroyables. Mais ils font de bien piètres guerriers, Asha. »

L'intéressée, visiblement épuisée d’avoir utilisé ses capacités, ne lui répondit pas et baissa la tête.

Il devrait évaluer Kahina lui-même et sans indices concrets.

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