Porno Blaireau

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Pays de Galles, pays de galles, pays de cons, oui. Depuis une semaine que je traine ici, tout ce que j’ai entendu c’est « Oh un nain », « Ça va le nain ? », « Prends pas une pinte tu vas tomber dedans », « T’as quel âge ? » et autres vannes minables venues d’un autre temps.

Et je suis dans la plus grande ville de ce foutu pays d’arriérés. Cardiff, trois cent cinquante mille culs-terreux bas du front qui doivent se reproduire entre frères et sœurs depuis des siècles. Se faire foutre de sa gueule parce qu’on est nain dans un pays de dégénérés pareils, c’est à pleurer. Où que je tourne la tête, je vois des gens hideux, avec des dents de cheval, des oreilles d’éléphant, moitié bossus, boiteux et ils arrivent encore à se payer ma tronche.

Je n’ose même pas penser à ce que ça va donner pendant la tournée. Trois semaines à écumer les boites de nuit de tous ces villages de pedzouilles. J'espérais au moins prendre un peu de bon temps dans leur capitale. Mais vu l’état du populo de la ville, la campagne doit ouvrir le septième cercle de l’enfer.

Trois semaines. Pourquoi j’ai accepté ? Pourquoi ?

Pas qu’il y ait que les glaiseux à se foutre de ma gueule. Un mètre vingt au garrot, une tête plus grosse que la normale et vous êtes équipé pour « Foutage de gueule » land où que vous alliez. Comme si vous portiez un badge « Faites-vous plaisir, rabaissez-moi encore, ça vous grandira pas, mais ça vous défoulera ».

Les aristos, c’est les pires. Avec leur bouche en cul de poule qui n’ose pas lâcher de gros mots au début, ils finissent par vous agonir d’insultes jusqu’à l’hystérie.

Bien éduqués ou mal élevés, où que j’aille, les gens se transforment en trou de balle. C’est mathématique. Je pensais que ça ne me faisait plus rien. Mais j’étais venu avec trop d’a priori sur ces cons de gallois. Dans mon esprit, comme ils étaient arriérés et moches, ils allaient se sentir proches de moi, me traiter avec un peu plus de respect. Quel con ! Je suis tellement proche d’eux qu’ils détestent l’image que je leur renvoie. Ils doivent tous avoir un nain dans leur famille : frère, oncle ou tante. Alors au lieu de me considérer comme un des leurs, ils me voient comme une menace. Ils savent que ça aurait pu être eux. Enfoirés de Gallois.

*

– François, François, François ! Réveille-toi, faut qu’on bouge si on veut arriver à l’heure à New port. Show must go on ! La fête n’attend pas pas pas !

Connard d’agent. Le ravi de la crèche, toujours fidèle au poste, barbouillé d’enthousiasme mielleux. Il ne fait même pas semblant ce con. Il y prend vraiment du plaisir. Sa joie crémeuse me soulève le cœur et si ça fait cinq ans qu’on bosse ensemble, ça fait bien quatre et demi que j’ai envie de lui tarter la gueule à chaque fois que je le vois.

Je lui ai collé une beigne le mois dernier, et j’étais parti pour lui en claquer une deuxième, mais quand son exaltation a cédé place à la tristesse, au désarroi, j’ai eu un haut-le-cœur et ai dû courir aux chiottes dans l’instant. Ce type était un indécrottable optimiste, totalement dévoué à ma cause. Incurable.

– J’arrive Raymond, j’arrive, pas la peine de brailler comme un putois.

– OK OK OK. C’est cool cool cool.

– Et arrête de tout dire trois fois. Surtout quand ça n’a aucun intérêt la première, merde. Je te l’ai déjà dit cent fois !

– Vendu !

Vendu mon cul, dans dix minutes, il aura oublié et il me sortira un « J’ai payé ton hôtel hôtel hôtel ».

Trois semaines. Je ne tiendrai jamais. Mon cerveau n’acceptera jamais autant de nullité, mon orgueil ne supportera pas les insultes et si je survis, c’est mon foie qui lâchera prise. Je suis condamné. Bienvenue en enfer ! Mais puisqu’il faut y aller, j’ouvre la porte et admire mon agent :

Pantalon rouge, chemise rouge à carreau vert, moustache rousse, cheveux roux.

– T’as décidé de partir bosser chez McDo ?

– Ohohoh, ça, c’est rigolo rigolo rigolo.

Il n’a même pas tenu une minute.

– Ouais, voilà.

– Allez mon grand, on est parti parti parti.

– Qu’est-ce qui t’est arrivé la dernière fois que tu m’as appelé mon grand ?

Alors que la compréhension s’insinue dans son cerveau, je lui colle un coup de poing dans les roustons. Il tombe à genoux, sa tête à hauteur de la mienne.

– Tu ne m’appelles pas mon petit, tu ne m’appelles pas mon grand. C’est si compliqué de se souvenir de ces deux commandements ? Merde, deux commandements, pas dix, deux, deux, deux !

Ce con va pleurer. Cinq minutes que ma journée a commencé et elle est déjà foutue. Pour lui comme pour moi, sauf que Raymond n’y pensera plus dans dix secondes.

– Bon, j’imagine qu’on va pas s’embrasser, autant tracer.

Je prends ma valise et descends à la réception. Je pue de la gueule, je pue tout court mais je m’en cogne. Je me laverai dans le prochain hôtel.

*

– Bonjour monsieur, bienvenue dans notre hôtel… Ah, je pensais que vous étiez deux.

Le mariole de la réception se croit drôle. Il m’a vu entrer, mais comme le comptoir est plus haut que moi, il peut faire semblant. Ils sont moins nombreux à Newport qu’à Cardiff, mais le niveau de connerie globale a l’air à peu près égal.

Je lance :

– Je suis là trou de balle et je peux encore essayer de te faire virer de ce boui-boui. Ce qui mettra un point final à ta déchéance, car je vois pas bien ce qu’il y a après…

Il se lève, se penche volontairement par-dessus le comptoir, prétendant découvrir d’où vient la voix.

– Oh, je suis grandement désolé, monsieur.

L’ordure se révèle précise jusque dans le choix des mots. Classique, mais toujours usant.

– Grandement mon cul. Donne-nous nos chambres et ferme ton claque merde.

– Je vois que vous savez vous faire des amis partout où vous allez.

Raymond le regarde, il hausse un peu les sourcils et les épaules ambiance « Désolé, mais vous savez ce que c’est, les nains sont susceptibles ». Je lui balance un coup de pied dans les tibias.

– Arrête de faire de la lèche aux merdeux qui m’insultent et amène-moi jusqu’à ma chambre.

– Tout de suite patron, tout de suite, tout de suite.

Âne bâté. Quand j’ai rencontré Raymond, il sortait juste de prison. Il me l’a dit spontanément et j’ai vite compris qu’il était trop bête pour avoir pu faire autre chose que servir d’homme de paille ou un truc dans le genre. De fait, il était tombé pour recel. Une bande avait pour habitude de stocker dans son appart tout un tas d’objets en prétextant, le décès d’une tante, d’un oncle ou d’un chien pour ce que ça changeait. Pendant dix-huit mois, Raymond ne s’est pas étonné une seule fois que la grand-mère machin ait possédé quinze iPad ou vingt iPhone, que les télés s’entreposent par paquet de douze. Trop bon, trop con. Mais à ce point, il était quand même largement plus con que bon.

Il m’a fait pitié, et m’a inspiré confiance. Pourtant je savais qu’il fallait jamais bosser avec quelqu’un qui t’inspire de la pitié. Mais j’étais pas en super forme non plus à ce moment-là. Une maladie m’avait éloigné du taf pendant trop longtemps et j’étais bien décidé à rentrer par la grande porte. Et Raymond avait une qualité, que j’avais tout de suite repérée, comme un clebs fidèle, si tu lui indiquais la bonne direction, il y allait, quoi qu’il arrive.

Je lui disais « Trouve-moi une date à Melun » et je n’entendais plus parler de lui jusqu’à ce qu’il ait décroché la date. Je pouvais charger la mule autant que je voulais, il se démenait pour me faire plaisir. J’aurai demandé le Carnegie Hall, il aurait coincé mais essayé quand même. Toujours à fond.

Notre duo ne ressemblait pas à Laurel et Hardy, mais plutôt aux deux blaireaux. Ma carrière a redécollé un peu. De quoi vivre, ne pas sombrer dans l'oubli, et continuer à bosser de manière régulière.

Mais cette virée au Pays de Galles, c’est clairement un raté. J’ai dit à Raymond « Trouve-moi quinze dates au moins, qu’on n’arrête les micros tournées de trois jours, j’en ai marre ».

– OK OK OK, François.

– Ta gueule, ta gueule, ta gueule, fais juste ce que je te dis, dis, dis.

Il était parti en souriant, trop content d’avoir des trucs à faire pour moi. Mais c’était de ma faute, mes ordres manquaient de précision, résultat : vingt jours chez les ploucs. Et encore, Cardiff et Newport promettaient d'être les destinations les moins insoutenables, après c’était blaireauxland vingt-quatre heures sur vingt-quatre…

*

– François, François, François ! Allez, en route pour la prochaine étape, dépêche-toi.

Si j’étais pas déjà nain, je dirais que le Bon Dieu m’a jeté un sort.

Newport, quelle soirée de merde ! Déjà que dans une ville normale, mes prestations ont tendance à amener les ploucs, mais au Pays de Galles, c’est pas descriptible. C’est bien simple, pas un de normal dans l’assistance. Hommes, femmes, tous mal logés à la même enseigne.

– Alors, t’as bien dormi ?

– Ferme ta gueule et sors-moi d’ici.

Dans la voiture, je sens les coups d’œil que me jette Raymond.

– Qu’est-ce qu’il y a ?

– Rien, rien, rien.

– Trois fois rien ? Vas-y, accouche.

Il plisse les yeux, fait des mimiques bizarres.

– Parle, merde.

Il doit hésiter entre la peur de ma réaction s’il continue à se taire et la peur de ma réaction s’il parle. Finalement, il se lance :

– T’y as été un peu fort hier.

Quoi hier ?

– De quoi tu me parles ?

– Avec, avec les insultes et tout.

– Quelles insultes ?

Je ne me souvenais de rien, et c’était ce qui pouvait m’arriver de mieux pendant cette tournée minable.

– Ben quand même. La deuxième fille.

– La deuxième fille, c’était après la deuxième bouteille de whisky ?

– Voilà. Du coup, t’y as été un peu fort.

– Peut-être et alors, ils n'ont rien compris de toutes manières.

– Non, mais ils pourraient finir par comprendre.

– Déjà qu’ils ont du mal à se rappeler de leur prénom, d’ici à ce qu’ils saisissent les insultes créatives dans une autre langue.

*

Septième soirée. Un samedi. Le samedi, dans tous les pays que j’ai pu visiter, c’est le soir des bouffons. Des losers, des ringards. Les vrais, ils sortent le vendredi, le dimanche, ou n’importe quel autre jour mais le samedi, c’est le jour des minables.

Et je le vois tout de suite. Déjà qu’on se baigne dans ce qu’on pourrait qualifier d’égout du Pays de Galles, alors un samedi. Un samedi soir à Denbigh.

J’ai picolé plus que de raison ce qui restait le truc le plus raisonnable à faire.

Raymond est venu me voir trois fois, comme d’habitude :

– François, tu bois trop, ça va mal finir. D’autant qu’ils n’ont pas l’air bien sympa ici.

– Parce qu’y a une ville où ils avaient l’air sympa ?

– Ben à…

– Non laisse tomber, me réponds pas, tu vas me foutre le cafard.

– OK, mais fais gaffe, gaffe, gaffe.

Je suis chaud comme la braise, je me reprends une bonne rasade de Sky et cinq minutes plus tard, le DJ de merde de cette boite de merde annonce mon arrivée.

Ils ont modifié mon nom de scène pour les Gallois, mais ça sonne ni mieux ni mal :

– Introducing the midget with the gigantic groin ferret.

Impossible de traduire. Disons que ça reste dans l’esprit du « Nain à grosse bite ».

Je monte sur la scène, je suis saoul comme un cochon. Je commence à me déshabiller. J'évite le strip-tease, je sais bien que personne ne va prendre de plaisir à voir un nain enlever langoureusement ses vêtements un à un. Mais je joue un peu, tourne, me cache avant de leur dévoiler ce qui me vaut ma célébrité toute relative : mon braquemart de vingt-quatre centimètres, ce qui sur un type d’un mètre vingt fait son effet. Comme si Rocco Siffredi déballait un troisième bras à la place de sa bite.

Faut reconnaitre que quand j’ai la gaule, il y a tellement de sang dans ma queue que j’en ai des vertiges. Limite, je pourrais tomber dans les pommes. D’ailleurs, ça m’est arrivé une fois. Depuis, je contrôle mieux mais je me sens toujours un peu mou. Un peu con pour tout dire.

Je marche sur la scène prenant ma bite à deux mains et demandant, en anglais, « Alors, qui veut tâter du braquemart magique » ?

C’est le principe, je suis censé sauter une truie locale, ou au moins me faire sucer. En général, on repère une femme avant, histoire de savoir à qui on a affaire, mais dans ce bled paumé, va falloir y aller au feeling.

Pas qu’il n’y a jamais de volontaire, au contraire. Mais ça finit souvent mal quand on prend des gens au hasard.

Mais je suis tellement défoncé que je me cogne de tout.

Arrive une petite, genre la trentaine.

Et tout bourré que je suis, je vois bien que dans la salle, ils font de drôle de tronche.

Elle grimpe sur la scène, je tourne autour d’elle. Elle s’assied sur la chaise, commence à se trémousser.

Je mets une capote, bien sûr. Elle me suce et à ce moment-là, c’est un « oh » qui monte de toute la salle. Mi-horreur, mi-dégout, mi-amusé. J’ai l’habitude.

Elle baisse son froc et j'entreprends de la baiser devant tout le monde.

Je sens que je lâche prise, je sens que je perds pied.

Je gueule en la besognant :

– Alors les blaireaux, ça fait quoi de se faire piquer sa morue par un nain, hein, ça fait quoi ? Allez, les bouseux, faites quelque chose, dites quelque chose !

Et je continue à la baiser pendant que je les insulte, ces bons à rien de péquenauds.

J’aperçois Raymond qui secoue la tête. On dirait qu’il veut que j’arrête, mais j’ai plus le cœur à rien alors autant poursuivre.

– Comment on appelle la femelle du blaireau ? La Galloise !

Il semble que la fille ait joui. Ou pas. Mais tout roule et je m’en vais sous les huées, les cris et je leur claque un bras d’honneur pour la forme.

Raymond est totalement décomposé.

– Mais, mais, mais François, il ne fallait pas.

– Fallait pas quoi ? File-moi un Sky d’abord.

– Mais c’était la fille de, la fille de, la fille de.

– De qui bordel ?

– Du maire de la ville.

– Ah ben merde et c’est censé me coincer une burne ou j’ai le droit de m’en foutre ?

– Mais, tu ne te rends pas compte. Ils vont lui rapporter ce que tu as fait.

– Et alors ? Dans quinze minutes on aura décarré. On n’a qu’à se casser tout de suite d’ailleurs.

– Mais aussi, le patron de la boite, il parle français. Il a surement compris.

– Et ? Qu’est-ce qui nous fout le plus dans la merde ? Le maire ou le patron ?

– j’ai bien peur que ça se cumule.

Merde, il n’a pas répété trois fois, il doit être sacrément stressé.

– Allez, arrête de te faire du mouron et bois un coup avec ton vieux pote François.

*

Faut croire que le Gallois, en plus d’être con, bête et méchant, est salement rancunier. On a retrouvé mon corps dans un terrier. Un terrier de blaireau. Nu. La bite dans la bouche. Sans finesse aucune. À leur image.

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