Virtual Nazi

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Les conclusions de la simulation sont formelles : vous auriez été un nazi en 1933.

– Bonjour, je souhaiterais évoquer une petite erreur dans les résultats du test.

Cosmo se tenait sur la frontière entre le bureau vitré et le long corridor aux murs jaune vif.

La régulatrice leva la tête, accueillit son client d'une poignée de main distraite et l’invita à s’asseoir. Tout son corps hurlait son ennui, sa fatigue, sa lassitude devant cette litanie incessante, répétitive.

– Certes monsieur… Cosmo mais, avant d'écouter avec l'acuité et l'intérêt qu'elle mérite votre diatribe, je me dois de vous alerter sur la qualité des simulations. La perfection n'étant pas de ce monde, nous ne faisons que tutoyer les 100%, mais nous les tutoyons tels les amis de vingt ans que nous sommes.

Cosmo écoutait à peine, attendant la respiration dans la tirade de son interlocutrice. Lorsqu’il crut la trouver, il s’y engouffra formule :

– Vous tutoyez surtout la nullité. Votre test ne vaut rien ! Les résultats sont risibles, RI-SI-BLES !!! Moi, un membre du parti nazi en 1933 ? Je voudrais bien voir ça !

La régulatrice sourit, de mépris et de contentement comme l'indiquait sa moue renforcer :

– Eh bien, NOUS ne voudrions pas voir ça, justement. C’est toute la raison d’être de ces évaluations. renforcer

La phrase semblait « écrite » plutôt que prononcée à Cosmo tant le NOUS clignotait en lettres capitales et le « voudrions », pourtant susurré, sonnait comme un ordre. formulation Rappelant à Cosmo qu'il ne se prêtait pas à cet exercice de bon gré, mais bel et bien contraint et forcé. Cette réflexion le poussa à changer d'attitude, comme la régulatrice ne doutait pas une seconde qu'il le ferait.

– Reprenons depuis le début madame, madame?

– Pour des questions de vie privée et de protection qu'il ne me parait ni opportun ni utile d'évoquer, vous pouvez vous en tenir à régulatrice. Madame la régulatrice.

– Bien insérer détail sur le bureau, madame la régulatrice, souffla-t-il, je me connais, je connais mes valeurs, je connais mes principes. Jamais je n'aurais pu être un nazi. Et quatre heures enfermé dans votre machine ne changeront rien à ça ! Je suis et je reste un ardent combattant du nazisme. Enfin, je le serais s'il y en avait. C'est une évidence.

La régulatrice observait ses mains. La droite et plus précisément ce petit panaris qui apparaissait sur son annulaire. Très douloureux et pourtant sans importance ni conséquence :

– Vous croyez vraiment qu'il y a beaucoup de personnes qui s'imaginent nazies ? Qui entrent dans cette machine comme vous dites en pérorant « Je vais battre tous les scores moi, je suis un bon nazi ! ».

– Peut-être pas, convint Cosmo, mais merde, quatre heures n'auront pas raison de toute une vie de conviction.

– Malgré votre négation, et votre refus d'envisager la réalité, vous amenez deux points importants qui méritent notre attention. Vous évoquez quatre heures, mais vous devriez entendre « million de possibilités » car ces quatre heures de stases pour vous, correspondent à une infinité de variations. Une puissance de calcul délirante pour évaluer tous les scénarios, en fonction de votre personnalité mais également de l’environnement historique. Quatre heures pour vous, plusieurs vies pour notre logiciel.

Sans attendre que Cosmo ne l'interrompe, ce qu'il n'aurait pas manqué de faire, la régulatrice n'en doutait pas, elle déroula :

– Enfin, vous parlez de convictions. Convictions que vous imaginez comme un roc ou une pièce de marbre de béton sur laquelle les flots de l’histoire et de l’actualité s’écrasent, sans conséquence. Illusion. Folie. La vérité s’abat aussi sur vos croyances : « Nos convictions prennent très rapidement la couleur de nos intérêts ». Et c'est précisément ce qu’illustre votre test. Vous avez échoué en 1933. Pour vous protéger, vous avez ajusté vos convictions, pour qu’elle corresponde à vos intérêts.

– Mais bordel, ça peut pas être aussi binaire, aussi simple.

La régulatrice attendait la remarque et conclut :

– Les programmes impliqués sont tout sauf binaires. Reste que nous allons lancer deux jeux de simulations supplémentaires, de deux heures chacun. Pour évaluer plus rigoureusement les conséquences de vos choix. Merci, au revoir. pas clair

Cosmo, prêt à éructer dut se rendre à l'évidence : il n'y avait pas de place pour sa colère dans la vie de la régulatrice qui se tournait déjà vers son écran manifestant une forme de désintérêt beaucoup plus puissant et vexant que le mépris classique. Mais alors qu'il allait tenter, malgré tout, en dépit du bon sens, une saillie pour reprendre la main, la régulatrice, toujours plongée dans son écran lâchait :

– Dois-je vous rappeler le caractère obligatoire de ces tests ?

Et comme Cosmo ne sortait pas :

– Ou les conséquences d'un refus ?

Non, pas besoin de rappeler à Cosmo les conséquences d’un refus. Vraiment pas besoin, son scrotum s’en chargeait très bien.

– Si je peux aider la société, forcément.

– Forcément, conclut la régulatrice sans que Cosmo pût déterminer si elle se moquait ou si elle acquiesçait. Voici vos deux prochains rendez-vous. Ne soyez pas en retard.

***

– 1923.

La date sonnait comme une insulte. La régulatrice prononça chaque lettre avec un reproche de plus en plus marqué dans la voix.

– Quoi, 1923 ?

– Vous savez très bien de quoi je parle.

Il savait bien sûr, mais comment abdiquer sans combattre ?

– Si vous pouviez m’éclairer.

– Nazi en 1933, l’information nous apporte moins d’éléments qu’on pourrait le croire. Le nombre d'adhérents a triplé dans les trois mois suivants la prise de pouvoir de Hitler. Non, nous cherchons à déterminer avec précision, à quelle date vous auriez adhéré. Et dans votre cas, la date, tombe, comme un couperet : 1923.

Pour se préparer à ce rendez-vous, Cosmo pensait avoir réalisé un sans-faute. Nourriture équilibrée, longues périodes de sommeil, pratique du sport, longue marche, séance de méditation et même un massage.

« J’aurais dû me faire masser les couilles aussi » eut-il le temps de penser tandis qu’il se levait pour éructer au visage de l’impassible :

– Vous vous foutez de ma gueule ! Vous faites tourner votre simulation au charbon, c'est ça ? Ou alors vous les truquez pour foutre dans la merde les gens qui dérangent ! C’est ça, je dérange le pouvoir en place ! Trop libre penseur pour l’époque !

Un nain frappant une falaise, l’image agressa Cosmo, lui qui se rêvait géant. La falaise ajusta ses lunettes et posa ses bras sur les accoudoirs :

– Une date de 1923, une des plus proches possible, déclenche un deuxième jeu de tests qui consiste à déterminer votre grade final dans le 3e Reich.

Alors que Cosmo allait protester :

– Monsieur Cosmo, vous n’ignorez pas que ce bureau, placé sous surveillance, ne représente pas le meilleur endroit pour vous livrer à des voies de fait sur une agente de la force publique. Les bénéfices de mon activité ne vous apparaissent peut-être pas de manière évidente, mais nous parlons bien de cela : je fais régner l’ordre public. reformuler Aussi, avant que vos actes dans le monde physique ne vous coûtent plus cher que vos actes dans le monde virtuel, veuillez vous asseoir… Bien. Maintenant que vous êtes calmé, je peux préciser que vous vous fourvoyez lorsque vous vous rêvez en perturbateur. Aujourd’hui à tout le moins. Vous évoluez dans la norme. C’est d’ailleurs pour cela que nous jouons ces tests. Eussiez-vous été classé dans les anarchistes ou les contestataires que vous auriez en face de vous un négateur en lieu et place d'un régulateur.

Les mots se frayaient un chemin, très court, jusqu’au cerveau de Cosmo. Et le touchaient comme des flèches. Bim, foutu. Bam, on t’avait prévenu.

– Mais revenons aux résultats. Le premier test nous prouve…

Elle ne laissa pas Cosmo l’interrompre :

– ... nous prouve que vous auriez été un nazi dès 1923. Le deuxième test, continua la régulatrice, se joue après 1933 pour tenter de déterminer votre progression dans le régime nazi.

Monde de merde, se lamentait Cosmo. Quand est-ce que tout avait merdé ? Comment savoir ? Il n’y avait que dans les livres d’histoire qu’on trouvait une date qui expliquait tout, où tout démarrait. Où on pouvait penser " Oui, c'est là que ça a déconné". Dans les journaux, il n’y avait qu’une succession d’anecdotes, sans queue ni tête, sans intérêt, pour nous détourner de la réalité, ou peut-être même pas, peut-être que les journalistes, les politiques, étaient perdus aussi.

– Et là encore, vos résultats sont édifiants. enchainement

– Vous n’allez quand même pas me dire que je finis numéro 2 du Führer ?

La remarque déclencha un hochement de tête chez la régulatrice :

– Non, tout de même pas. Nous n’avons eu qu’un cas, un seul qui a pris la place de Hitler. Nous avons dû faire tourner la simulation plus longtemps pour constater qu’une fois au pouvoir, il détruisait le régime. Mais ce n’est pas votre cas. Vous terminez donc Brigadeführer et faites preuve d’une dévotion, d’un zèle dans l’exercice de vos fonctions qui laisse peu de doute à l’interprétation.

Cosmo baissa la tête, épuisé. La sanction pour les nazis, enfin les V-Nazis, oscillait entre la prison, les camps de travail et la mort.

– Mais, mais je ne veux pas mourir ! Pas comme ça, pas pour ça ! Pas sur un coup de tête.

– Monsieur Cosmo, gardez votre calme. Et sachez que l’administration, souvent critiquée, conspuée, moquée, porte en elle une force, une force que tout le monde prend pour une faiblesse : sa lenteur. Sa lenteur qu’elle transforme en inertie. L’administration est lente, mais elle avance. Pour le pire ou le meilleur, mais, lors de tremblements de terre, de catastrophes, l’administration continue, ne s’arrête pas… reformuler

Cosmo releva la tête, cherchant un sens aux paroles de son vis à vis :

– Vous allez me tuer lentement c’est ça ?

– Nous nous reverrons dans trois semaines, pour évaluer les sanctions.

Je suis mort, songeait Cosmo.

***

La régulatrice ôta ses lunettes, regarda à travers, parut satisfaite de ce qu’elle vit et reprit :

– Le temps du jugement est venu.

Cosmo se dressa :

– Je ferai ce que vous voudrez. Écoutez, il y a un malentendu. Si je peux prouver ma bonne foi, je le ferai.

– Si je me réfère à la circulaire C-257 qui amende l’interprétation et les conséquences des tests, vous voilà promu au rang de V-SS-Sturmmann. Félicitations.

– Pardon ?

– Vous ne vous intéressez pas aux élections ?

Cosmo, rongé par la peur et la culpabilité n’avait existé que pour lui depuis trois semaines.

– Je ne sais pas. Je ne sais plus.

– Vous devriez, elles réservent parfois des surprises. Mais peu importe. Le parti compte sur votre diligence, votre bonne volonté. Je précise, à toutes fins utiles, que vous commencez aujourd’hui et qu’un refus entrainerait des conséquences définitives.

Cosmo se tenait maintenant debout, aussi droit qu’il avait été voûté. Aussi vivant qu’il se croyait mort l’instant d’avant. Il avança vers la régulatrice :

– Madame, je vous remercie. Et je m’engage à me montrer digne de mon rang.

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