Prélude

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Sur un air de Luigi Rubino, Every Desire

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J’ai longtemps marché seul en hiver. Je progressais accompagné de mes songes, rêvant parfois de l’aurore, sans jamais l’espérer.

Des landes brunes, grises ou bleu pâle que m’offrait le monde, je projetais au-devant de moi mes pensers printaniers. Car si mon corps était en Hiver, mon âme et mon cœur résidaient au Printemps.

Et je rêvais d’oiseaux, et parlais leur langage en secret à l’apogée des nuits.

Je les voyais quelquefois. Ces volatiles venus de pays qui ne connaissent que l’été, je les ai croisés parfois. Mais toujours, ou souvent du moins, je ne les voyais qu’à travers des barreaux sertis d’or.

Car des plumages si doux, si beaux, si remplis de l’esprit des anges, ça ne se prête pas. Ça se montre. Ça se présente. Ça s’expose. C’est une propriété.

J’ai longtemps rêvé des oiseaux de paradis. Et j’espérais en secret que l’un d’entre eux use un jour de sa liberté pour venir me trouver…

Et m’aimer quelque temps.

M’aimer le temps d’un soupir.

Le temps d’un printemps.

Et me laisser une plume.

*

Ce jour arriva. Un jour, un beau jour d’été, alors que je me reposais près d’une clairière, l’un d’entre eux, pour la première fois peut-être, posa ses ailes délicates à mes côtés.

Elle était élancée comme un félin, sa chevelure fouettait l’air comme un paon qui s’ébroue, et ses yeux scintillaient comme de l’ambre liquide.

Et de son regard de jaspe s’évaporaient deux plumes aussi noires que celle d’un corbeau… Aussi sombres et aussi douces que le voile de la nuit.

Je la vis d’abord. Quelques millénaires avant qu’elle ne me vît à son tour.

De ses contours, je connaissais le génie. De sa pose élégante, je savais l’art subtil.

Et la couleur.

Et comme un fleuve qui lentement s’écoule contre les bords d’une vallée asséchée, elle pénétra en moi avec une tendre force.

Et ce fut la joie ! Et ce fut les éclats !

*

J’étais souverainement glabre.

Une peau grise et brune. Aussi vive et terne que du sable chaud.

Et un halo pâle enveloppait mon crâne chauve…

Comme un jeune plant sur une terre rocailleuse.

Comme une couleuvre timide émergeant du ventre de la terre.

La lumière et les vents me saluaient en passant.

Comme on salue un ami que l’on n’embrasse jamais.

Elle était impérieusement décorée.

Une chevelure qui touchait terre.

Et des grelots qui ceignaient sa cheville…

Comme un vin mélangé à la boue.

Comme une tourbe divine qui descendait des cieux.

La terre et les ombres la dévoraient du regard.

Comme on désire une amante depuis trop longtemps attendue.

Et nos corps et nos cœurs ne firent qu’un, quelquefois perdus entre mousse et nuage…

Et ces instants de passion furent des éternités de sommeil.

Que le temps est long lorsque l’âme est en été…

Et le corps au printemps.

Pendant plusieurs siècles, j’ai vécu le bonheur.

Comme un roi qui s’ennuie des courtisanes, je m’enivrais du parfum de l’Oiseau merveilleux.

Trop heureux j’étais que cet oiseau fut libre. Trop heureux il était de voler de par le monde… et me revenir toujours.

Trop heureux nous fûmes de nos esprits intranquilles.

Le soir nous tissions des merveilles… le matin nous battissions des montagnes…

Et passions des après-midi à piétiner des bois verts.

*

Mais les temps heureux, pour longs qu’ils puissent être, ne connaissent pas l’éternité. Ils s’en moquent et s’en amusent… et méprisent bien les injonctions de ces joies qui s’enfuient.

Elle m’abandonna.

Arrivé au faîte de l’été, dans l’attente d’un automne qui s’ensommeille déjà, l’Oiseau prit son envol vers un vieux pays, lointain mais jamais oublié. Un pays d’été parsemé d’hivers timides… ou un pays hivernal clairsemé d’étés taciturnes. Je ne le saurais jamais.

Mais moi, je savais comme cet Oiseau m’aimait ! Mais il aimait mal. Il aimait gauchement, sans méthode. Ceux qu’on n’a jamais aimés qu’à travers une cage ne savent plus comment aimer les autres dans le vague de l’âme… Ils ne connaissent que des passions pénétrantes… et des troubles doucereux.

Alors, arrivé au bourgeonnement de l’automne, en voyant au loin s’étioler l’image de l’Oiseau merveilleux, je me suis arrêté.

Pour attendre.

Attendre que, du pays mystérieux vers lequel voguait le volatile, elle me revienne un jour, l’âme remplie et prête à germer. Le cœur vidé et prêt à grossir.

Je me suis assis près d’un arbre solide. Un saule triste mais robuste. Un vieux saule, encore souple, encore riche de ses feuilles, qui attendait comme moi qu’un vent d’été souffle sur lui de nouveau.

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