Acte II

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Le monde est lavé.

Le vent, le froid, la faim ont balayé au loin tout ce qu’il y avait de vivant et d’heureux sur cette terre.

Partout autour de moi, un monde terne et gris. Un univers aigri.

Mais mon saule tenait encore…

Faiblement.

Timidement…

L’air de rien. Petite excroissance pâle au milieu d’une steppe obscure.

Nul bourgeon de vie. Un furoncle d’existence.

*

Voilà longtemps que les bois se sont délestés de leurs parures sinople. Les forêts sont désormais de grands halls sans fin… qui étendent jusqu’à perte de vue les grands piliers albâtres de leur désespoir.

Au-dessus, près des cieux presque noirs, les oiseaux sont un souvenir qu’on n’évoque plus qu’en sanglotant.

Car tout ici n’est que murmure. L’hiver est une honte. Un renoncement. Pire ! Une résignation.

L’hiver n’est peuplé que de souvenirs que l’on fantasme craintivement. Moins de peur de les évoquer, que de crainte qu’ils finissent un jour par revenir.

Je ne sais plus ce que j’attends. J’aurais dû m’enfuir quand j’en avais l’occasion. Me voilà piégé dans le pays des songes moribonds… dans le cimetière des espoirs bourgeonnants.

Dis-moi mon Saule… dis-moi ce que je dois faire ! Y a-t-il une aurore au bout de ce crépuscule éternel ? Y a-t-il un lendemain à ces nuits sans fin ?

*

J’ai peur. J’ai froid. J’ai étrangement faim.

Quelques ombres passent près de moi, mais jamais ne me frôlent. Je les vois pleurer, mais ne les entends jamais.

Il fait sombre. Il fait gris. Il fait chaud comme le vin…

J’ai un désir en moi que je ne parviens pas à nommer.

Une soif inextinguible d’un liquide aliment…

Une volonté de réprimer pour de bon la grisaille et le froid.

Pour leur substituer les semailles et le pain !

*

Pris au piège dans une torpeur insondable, je ne voyais plus le monde et ne le désirais plus. J’évoquais dans mes songes ce que je pensais du printemps.

Un bruit. Une odeur. Le parfum du soufre que l’on frotte contre l’écorce. Un éclat fébrile dans un infini de gris.

Je m’éveille. Devant moi un homme à l’air menaçant mais à la pose délicate. Qui m’observe sans mot dire. Un sourire bon et mauvais tout à la fois… rempli autant d’amour que de haine envers moi.

Des cheveux gris dégarnis, qui tombaient en bataille sur ses épaules. Un visage buriné moins par le temps que par un chagrin incurable.

Et un long manteau pourpre qui chassait le vent et le froid.

C’était une tache de sang dans la neige.

L’homme en Pourpre — Abruti.

Le Glabre — Comment ?

L’homme en Pourpre — Je sais pourquoi vous êtes là. Vous êtes un abruti.

Le Glabre — Si vous le savez, rafraichissez-moi la mémoire. Elle m’élude tant ces jours-ci.

L’homme en Pourpre — C’est que quelque part vous avez conscience que tout cela ne fut qu’une gigantesque bêtise.

Le Glabre — Dites-le moi !

L’homme en Pourpre — Vous l’attendez.

Le Glabre — Qui ?

L’homme en Pourpre — C’est bien tout le problème.

Le Glabre — Répondez-moi !

L’homme en Pourpre — Elle. Vous. Dieu. Choisissez. C’est tout un !

Le Glabre — Je ne comprends pas. Je me souviens de l’oiseau…

L’homme en Pourpre — Vous ne vous souvenez de rien ! Vous ne vous souvenez de rien parce que vous ne voulez PAS vous souvenir ! Combien de fois encore faudra-t-il que vous repassiez par ici pour vous en rappeler ? Combien de tours devrez-vous faire encore ? Vous ne voyez pas que tout le monde est parti déjà ?

Mais non. Vous préférez être seul. Quitte à vous répéter. Encore et encore. Jusqu’au crépuscule du monde. Jusqu’à l’aube de l’Humanité…

Le Glabre — Je l’attends elle. Je me souviens maintenant !

L’homme en Pourpre — Vous pensez attendre un oiseau, vous craignez d’attendre un fantôme, mais vraiment vous n’attendez rien. Vous simulez l’attente. Vous simulez la passion. Vous simulez la crainte, l’angoisse, l’envie et la faim. Mais vous ne sentez rien. Et c’est bien ça qui vous terrifie le plus !

Laissez là vos manières et votre posture. Laissez là vos feintes affectations. Et imposez-vous !

Le Glabre — C’est faux… Peut-être que je ne l’attends pas elle, mais au moins j’attends l’été !

L’homme en Pourpre — L’été… Mais ne voyez-vous pas que tout le monde déteste l’été. Les gens n’attendent rien tant que d’être déplacé… que d’être agit par les choses et par autrui. Ils aiment l’automne. Ils aiment le printemps. Mais toute saison qui EXIGE, toute saison qui demande la participation effective… de cela ils se détournent et se détourneront toujours ! Ils candidatent à autre chose. Ils espèrent toujours que quelque chose se produira qui les gardera de se POSITIONNER !

Non… mon ami, vous n’attendez pas plus l’été que vous n’espériez l’hiver. Mais à y choisir, vous préférez tout de même l’hiver. Maintenant au moins vous AVANCEZ. Maintenant au moins vous êtes seul avec vous-même. Loin des oiseaux de paradis et de leurs mensonges… loin du soleil et de sa cruauté.

Car vous savez la lune plus douce et la neige plus clémente…

Vous savez que l’âme s’exprime mieux dans le gris que dans le blanc.

Le Glabre — En été, je ne souffrais pas au moins…

L’homme en Pourpre — Oh ! Mais vous souffriez ! Mais vous ne souffriez pas comme vous l’aimeriez. Vous ne souffriez que de l’Autre et non plus de vous-même. Vous souffriez de lumière et plus seulement d’ombre.

Le Glabre — En été… en hiver… Qu’importe ! J’ai fait une promesse et je la tiendrai. J’attendrai. J’attendrai son retour.

L’homme en Pourpre — Les promesses… En voilà un autre qui use de mots dont il n’a aucune idée du sens véritable. Une promesse qui n’est pas susceptible d’être rompue est un défaut de fidélité !

Quant à l’attendre… voilà encore une sottise !

Vous devriez plutôt prier pour qu’elle ne revienne jamais ! Mais ça, visiblement, c’est inentendable. Tenez. Buvez plutôt de ce vin amer… Allez-y…

Imposez Dieu, au lien de l’attendre !

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