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Le lendemain, vers 9 heures, je fus brutalement réveillé par un raffut de tous les diables en provenance de la porte d’entrée. Quelqu’un tambourinait des deux poings.

Je me sentais dans le brouillard, perdu au milieu de mon propre salon, et je ressentais une légère pression sur mon crâne. La dernière soirée se rappela aussitôt à moi et je me revis en train de feuilleter les photos, d’avaler gorgée sur gorgée un excellent Côte du Rhône tout en revivant ces scènes d’un passé pas si lointain. Puis je m’étais endormi après avoir ouvert et entamé un Vacqueyras, l’album sur les genoux.

Je me levai et allai vers l’entrée. Lorsque j’ouvris la porte, je découvris Hélène et Jérémie.

— T’en as mis un temps. Pourquoi t’as pas de sonnette ?

Alors que je constatai effectivement ne pas posséder de sonnette, Jérémie se jeta sur moi et je m’empressai de le serrer dans mes bras, ignorant ainsi mon ex-femme.

Ses cheveux sentaient bon l’abricot.

­— Tu m’as trop manqué, papa, murmura-t-il.

Je ne pus m’empêcher de sourire et je l’étrennai plus intensément.

— Toi aussi, mon loupiot. Toi aussi.

Je m’adressai ensuite à sa mère :

­— Tu as trouvé facilement ?

­— J’ai mis dans le GPS, répondit-elle en levant les yeux au ciel.

— Oui, bien sûr. Est-ce que ça va sinon ?

— Je peux entrer ?

— Je… Oui, évidemment.

Je m’écartai et la laissai s’introduire dans la maison. Elle déposa le sac de Jérémie sur le meuble à chaussures et fila directement vers le salon sans s’arrêter.

— C’est pas mal, dit-elle en observant les plafonds et en tournant sur elle-même.

Je la rejoignis. Jérémie me doubla et se jeta dans le canapé.

­­— Oui. J’avoue avoir eu un coup de cœur.

Ses yeux s’étaient arrêtés sur la table basse, où mes bouteilles de vin gisaient ainsi qu’une partie de mon repas de la veille. Il y avait deux verres en bout de table. Un que je n’avais pas utilisé car je m’étais aperçu qu’il était sale et celui qui m’avait servi toute la soirée. Je n’avais pas pris le temps de débarrasser.

­— C’est ton truc, les coups de cœur.

­— Ce n’est pas ce que tu crois.

— Oh mais je ne crois rien. Tu fais ce que tu veux.

Je préférai ne pas surenchérir et me contentai de l’observer. Elle était belle. Je ne pouvais pas lui en vouloir, j’avais usé des mêmes artifices pour me dédouaner un an plus tôt. « Ce n’est pas ce que tu crois, ma chérie ». C’était pourtant exactement ce qu’elle croyait. Son mari dans le plumard d’une étudiante : il n’y avait rien de plus authentique. Un cliché si énorme qu’il aurait pu passer pour un coup monté. Hélas, il n’y avait aucun complot là-dedans.

— Tu… tu veux voir la chambre du petit ? demandai-je.

— Ça ira. Je sais au moins que tu es un bon père et que tu as certainement fait le nécessaire pour l’accueillir.

Elle baissa les yeux puis les releva, prête à dire quelque chose mais rien ne sortit. C’était une attitude qui ne lui ressemblait pas. Je ne relevai pas.

En réalité, mon esprit était focalisé sur l’armoire que je n’avais pas montée ainsi que l’étagère. Mais était-ce si grave que ça ? Elle n’avait préparé qu’un petit sac pour le week-end et je ne voyais pas la nécessité de le vider dans une penderie de toute manière.

Jérémie était déjà en exploration dans la maison. Son itinéraire était parsemé de « waouh » ; « chouette » ; « trop cool », ce qui me donna l’impression que l’atmosphère s’était détendue.

— Bien. Un café, ou quelque chose d’autre ?

­— Non. C’est gentil mais je ne vais pas trop tarder.

Je ne sus que répondre et acquiesçai. J’avais l’étonnante impression qu’elle voulait rester, qu’une lutte se jouait en elle. Tout dans son attitude indiquait sa supériorité sur moi. De son ton hautain et expéditif à sa façon de se déplacer. Elle aurait pu dire ou faire n’importe quoi sans que je sois capable de réagir.

— Tu as tout ce qu’il faut dans le sac, dit-elle en désignant le meuble de l’entrée. Et, par pitié, n’oublie pas de lui faire se brosser les dents.

Elle laissa passer trois ou peut-être cinq secondes. Une légère risette s’était dessinée dans le coin de sa bouche. Un instant je crus qu’elle allait dire quelque chose mais elle resta en position.

— Il est content de te voir.

— Moi aussi.

J’eus soudainement envie d’engager tout un baratin sur le fait qu’il ne restait que lui pour nous unir, qu’il était le fruit de notre amour, que tout ça devait le perturber ; de lui dire que j’étais également très content de la voir elle, et qu’il n’était peut-être pas trop tard pour…

Je ravalai immédiatement tout ça. Il y avait tant d’étapes que je n’avais pas franchies avant de m’autoriser ce genre de tirade. À commencer par lui présenter des excuses. De vraies excuses, pas une succession de : « pardonne-moi, je suis désolé, j’ai déconné… ». Quelque chose de plus profond, d’authentique et qui ne laisse pas de doute sur la sincérité. Une vraie repentance. Je ne pouvais pas me lancer dans un quelconque discours sans ça. Elle me découperait vivant, aurait une réplique à chacun de mes maigres arguments, me ferait pleurer comme je l’avais faite pleurer. Hélène avait passé des nuits blanches à ruminer, à essayer de comprendre. Elle était aiguisée et savait trancher.

— Bon... amorça-t-elle. Je vais y aller.

— Tu viens dire au revoir à maman, exigeai-je à mon fils.

Celui-ci descendit les escaliers et se jeta dans les bras de sa mère. Elle l’embrassa et lui murmura d’être sage et d’écouter papa. La phrase resonna en moi. « Écouter papa ». Ton papa.

— Dam, je...

— Oui.

J’attendis, les yeux rivés dans les siens, ce qui me ramena aux plus beaux épisodes de notre histoire, aux regards profonds qui précédaient nos baisers. Aux mots qui chatouillaient le cœur et remplissaient le ventre.

— Non. Rien.

Sur quoi elle m’adressa un salut presque inaudible et s’en alla, ne laissant qu’un léger parfum dans l’air. Je n’insistai pas et fermai la porte derrière elle.

Jérémie s’était assis sur le canapé. Il me regardait d’un air triste. Non, pas vraiment triste, compatissant. Peut-être même avec un soupçon de pitié pour son vieux père.

— Alors, mon grand, ça va ?

— Oui, répondit-il de sa petite voix.

Je pris place à ses côtés et ne pus m’empêcher de l’enlacer d’un bras. Je l’aimais. J’aimais ce gosse à en mourir mais je ne pouvais m’empêcher de penser au mal que je lui avais causé indirectement. Au chamboulement dans sa vie. En plus du fait de ne plus voir son père que quelques week-ends par an et durant les vacances, il se retrouvait à vivre avec sa mère et un coach sportif de merde.

Il posa sa tête contre ma poitrine, s’abandonnant complètement au câlin. Je commençai à lui caresser les cheveux tout en me demandant comment j’allais pouvoir l’occuper jusqu’au lendemain soir. Je n’avais ni jeux ni jouets, pas même un bon vieux jeu de cartes UNO. La télévision ne fonctionnait pas, mon abonnement n’étant pas encore activé. Hormis quelques livres, il n’aurait pas grand-chose pour passer le temps. C’est alors que je repensai à la visite du maire, la veille.

— Est-ce que ça te dit d’aller faire un tour de manège ce soir ? proposai-je.

Ses yeux s’illuminèrent de joie.

En attendant, je devais trouver quoi faire jusqu’au soir.

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