Première Partie — Ni oui... Ni non.
J’ai toujours pensé que j’étais morte ce jour-là. Dans cette chambre. Sur ce lit. Son lit.
Entre ses mains.
Du moins, j’ai laissé une part de moi dans ces draps. Arrachée par ses doigts.
J’avais pas dit non.
Mais j’avais pas dit oui non plus…
*
Je venais d’avoir seize ans. Et ma vie était franchement sombre. J’encaissais plus rien. Je pleurais tous les soirs, en silence.
J’avais l’impression que mes larmes servaient à rien. Elles ne me soulageaient pas. Elles n’extériorisaient rien. C’était comme essayer de vider un vase sous une cascade.
J’avais mal. Physiquement.
J’aurais voulu hurler.
Parfois, ma gorge était tellement nouée que je m’étouffais dans mes larmes. Je me souviens mettre ma main devant ma bouche pour faire taire ces couinements pitoyables. Insupportables.
J’arrêtais de respirer à en avoir le vertige. Parce que j’avais l’impression de faire trop de bruit. Je voulais disparaître. Me faire avaler par le matelas.
Parce qu’il y avait pire que cette douleur. Il y avait la terreur : je ne voulais surtout pas réveiller mon père [il aura sa propre partie].
*
C’est aussi à cette époque que j’ai connu mon premier amour. Le fameux.
Je me souviens… Lorsqu’on s’est « rencontré », j’avais pas encore commencé à sombrer. J’arrivais à être heureuse. Vraiment. Pleinement.
J’avais trouvé une safe-place.
Bon, c’était seulement virtuel, mais j’avais trouvé un petit groupe pour faire du Jeu de Rôle. Pendant deux mois, j’arrivais à trouver refuge dans nos sessions. On avait créé nos propres règles, notre propre univers… On n’était pas sur du D&D, mais c’était tout aussi incroyable et intense.
Après deux semaines de RP, il est arrivé parmi nous. Il a intégré ce petit groupe de joyeux compagnons.
Ce sont d’abord nos personnages qui se sont mis en couple.
Quand j’y repense, c’était assez particulier d’être en couple sans l’être. Comme un doux mensonge. Peut-être y avait-il déjà une part de véritables sentiments ?
Mais les semaines sont devenues des mois. Notre Jeu de Rôle se mourrait à cause de la reprise des cours. On a tous essayé de faire durer, mais c’était plus pareil. Alors on a fini par arrêter.
Je me suis sentie triste.
Il est resté.
On parlait jour et nuit. J’avais l’impression de le connaître depuis longtemps. Il avait l’air de me comprendre Et c’était la première fois que j’avais la sensation d’être appréciée pour ce que j’étais. Entière.
Sauf qu’on n’aurait jamais pu se rencontrer. 800km nous séparaient [et on n’est pas dans un roman d’amour où tout semble rassembler les protagonistes].
Et il a fini par retourner avec son ex après m’avoir fait miroité son « amour ».
Le plus pathétique ? J’ai attendu mon tour.
Je savais que ça ne durerait pas avec elle. Il m’avait raconté leur histoire. Alors j’ai patienté pour être son lot de consolation. J’avais mal. Mon Dieu c’que je pouvais souffrir ! Mais ça m’était égal : il en valait la peine à mes yeux. J’étais coincée dans une espèce de réalité dans laquelle il était mon âme sœur.
Spoiler ! Il ne l’était pas.
*
Un jour de janvier en 2017. Je sais plus exactement lequel, mais je sais que j’étais chez ma mère. Elle était en train de déblatérer sur combien elle m’aimait, qu’elle était désolée d’être une mauvaise mère.
Elle avait bu.
J’en pouvais plus de devoir la rassurer. De m’inquiéter de son état… Quand j’avais six ans, j’étais celle qui vidait les bouteilles dans l’évier.
Rien de nouveau.
Mais j’en avais marre. Je lui en voulais de ne pas être une mère pour moi. Et je lui en ai voulu longtemps.
J’ai fini par écrire à un ami ; il habitait au village mitoyen. J’étais prête à marcher une heure pour fuir cet appartement.
Alors, quand il m’a proposé de venir chez lui pour me changer les idées, j’ai accepté. J’allais sous chez ses parents. Ils me connaissaient. Je connaissais la maison. On était ami depuis des années.
Le hic ? J’avais des sentiments pour lui.
Oui, vous allez vite comprendre que j’avais des sentiments
pour tout le monde.
On avait toujours été attiré l’un par l’autre. Les hormones probablement ? Dans tous les cas. J’ai marché jusque chez lui et il m’a fait la morale en me disant que si il avait su, il serait venu me chercher.
Il était comme ça. Avenant et attentionné.
On a fini par monter dans sa chambre. Il a mis un film après qu’on ait parcouru le catalogue Netflix : Projet X. J’avais jamais vu le film.
On a pas parlé. Après tout, l’objectif était de me changer les idées. De me sortir des griffes de mon quotidien.
Alors, on s’est posé sur son lit. Moi dans ses bras. Je me rappelle m’être sentie bien. Je l’étais. Il avait ce côté protecteur et rassurant. J’avais l’impression que je pouvais être vulnérable, qu’il n’aurait pas vu ça comme une faiblesse ou une opportunité de me faire du mal…
Quand il m’a embrassé, je me suis sentie légère.
C’était pas la première fois qu’on s’embrassait. Ni la première fois qu’on était proche physiquement.
J’étais très timide et pudique à cet époque. J’avais déjà connu quelques préliminaires, mais jamais en dessous de la ceinture. J’étais pas très à l’aise avec la sexualité ou avec mon corps.
J’avais franchement pas confiance en moi.
Alors, je l’ai laissé faire quand il a glissé sa main sous mon t-shirt.
Je l’ai laissé me retirer mon haut.
J’essayais de pas réfléchir. De lâcher prise. Mais mes pensées voulaient pas s’arrêter. Est-ce qu’il aimait ce qu’il voyait ? Je savais qu’il avait de l’expérience. Il savait ce qu’il faisait, où aller. J’en avais pas la moindre idée.
Quand il a voulu descendre, mon cerveau s’est arrêté. J’ai saisi son poignet. On s’est regardé droit dans les yeux.
Je savais pas si je voulais. J’étais terrifiée.
J’ai mis toute ma force [c’est-à-dire, pas beaucoup] pour l’empêcher de défaire le bouton de mon jean.
— Laisse-toi aller…
Il m’a pas demandé si je voulais.
Mon corps m’appartenait plus. Et j’ai lâché prise.
Je fixais l’écran. Le film défilait. Je voyais sans voir. J’avais mal. Au plus profond de mon âme.
Ça aurait pu durer cinq minutes comme vingt. J’ai refait surface que lorsqu’il a commencé à me remettre délicatement mes vêtements.
Je savais pas trop quoi penser. Ni quoi dire. Alors… J’ai souri. Bêtement. J’ai eu mal quand je me suis redressée. J’ai accepté sa main tendue quand il m’a aidé à me relever et il m’a amené en balade.
Je ne suis rentrée que quelques heures plus tard.
Une fois chez moi, j’ai écrit à mon meilleur ami « je suis plus vierge ». Il m’a demandé si j’avais aimé.
J’ai dit oui.
Le lendemain, j’ai revu mon ami. J’ai ressenti un malaise, mais je l’ai refoulé. Y avait aucune raison que je sois gênée.
Il m’a demandé si j’allais bien.
J’ai dit oui.
Alors on a discuté. Comme d’habitude. On s’est taquiné. Comme d’habitude. On a ri. Comme d’habitude.
La nouveauté ?
J’ai couru dans le couloir pour échapper à la foule. Pour échapper au bruit. Pour respirer. C’était ma première crise de panique. Je me suis accrochée à la rambarde d’escalier extérieur à m’en faire blanchir les phalanges. Je savais plus comment respirer. Je n’avais plus de force dans les jambes. Le sol ne me retenait plus.
Et ça a été de plus en plus fréquent.
Je ne pleurais jamais en public avant ça. Je ne faisais que des cauchemars, presque des terreurs nocturnes depuis ça.
Je me suis réfugiée dans les livres. Dans l’écriture. Dans la musique. Mais ça n’a jamais suffi. Quelque chose s’était mis à pourrir en moi. Je ne reconnaissais plus mon reflet.
Et c’était que le début de la descente aux enfers...
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