Deuxième Partie — Musique

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J’aime la musique.

La manière dont les mélodies glissent sur mes blessures à l’âme. D’apaiser mes pensées.

J’aime les mots.

Mais ils ne suffisent pas pour capter l’intangible.

J’ai longtemps arrêté d’écrire parce que je ne trouvais plus

les mots justes…

*

Il y avait une salle de musique dans mon lycée. Il fallait traverser la cour en contournant le terrain d’athlétisme et le gymnase. Dans l’internat, côté garçon, au troisième étage. Le dernier. L’établissement avait aménagé une salle et demie.

  • Et demie parce que dans l’une des pièces, il n’y avait qu’un vieux piano mal accordé. Tandis que dans celle du fond, on pouvait y trouver un synthé, une batterie, une basse et d’autres instruments.

J’avais fait ma seconde dans ce lycée, et je n’avais jamais entendu parler de la salle de musique avant la première.

Très vite, cet endroit est devenu mon refuge pour fuir la foule.

Je m’étais mise au piano. J’apprenais seule, sans savoir lire une seule partition. J’ai toujours eu des facilités dans les disciplines artistiques. Je me souviens que j’avais beaucoup de mal à coordonner ma main droite avec la gauche.

Et à force de venir ici dès que j’en avais l’occasion ; entre deux cours, en fin de journée ou encore à la pause méridienne, je me suis fait de nouveaux amis. D’autres amis. Avec eux, je ne ressentais aucun malaise. Je riais. Je vibrais. J’oubliais.

On a même fini par fonder une sorte de groupe. Un batteur, une bassiste, un guitariste et deux chanteuses.

J’étais l’une d’entre elles.

On travaillait une reprise de « Seven Nation Army » et de « Sweet Dreams », la version d’Eurythmics.

Je me rappelle qu’on galérait sur les points de reprise. Toujours un peu en retard ou trop en avance sur la musique… Mais après quelques mois, on a fini par obtenir un truc clean. On devait passer sur scène pour un petit festival en ville. Je sais plus pour quelle occasion exactement.

J’angoissais à l’idée de chanter devant une foule d’inconnus. Mais quand je chantais dans cette salle avec eux, je n’y pensais pas. Je me souviens plus du nom qu’on s’était donnée… Je sais juste qu’il y avait « Peanuts » dedans.

Dans la salle de musique, on n'était pas toujours en répétition. On avait du mal à caler nos créneaux à cause de nos emplois du temps respectifs. J’étais plus souvent seule avec notre bassiste et les autres habitués.

Et quand il y avait trop de monde, je me planquais dans la pièce d’à côté. Je sais par quel miracle, mais j’arrivais à jouer sur le vieux piano. Sans doute sonnait-il faux ? Je n’ai jamais vraiment eu l’oreille musicale.

Étant malentendante, j’ai du mal à percevoir certains sons.

Mais je n’ai appris cette surdité que récemment…

*

Il faisait très chaud, cet après-midi. On devait être sur la fin d’année.

J’avais lâché le groupe à quelques jours du festival. J’arrivais pas à gérer le stress, mes crises au lycée étaient devenues trop fréquentes. J’avais réussi à obtenir un semblant d’équilibre dans la fuite.

Mon ami cherchait toujours à venir me parler dans les couloirs. Pour me dire bonjour. Pour rire. Pour savoir comment j’allais.

Il m’écrivait aussi.

Pour remettre le couvert.

J’avais toujours une bonne excuse pour refuser. Parfois, c’était parce que mon père ne voulait pas que je sorte. Une autre fois, parce que j’avais déjà un truc de prévu.

En tout cas, cette -là, je ne suis pas retourné chez lui.

En fait, j’avais même pas conscience que je l’évitais.

Et cet après-midi-là, j’ai ressenti le besoin de m’enfuir.

Alors, j’ai traversé la cour.

Contourné le terrain d’athlétisme — des élèves faisaient une partie de basket au centre. Passé sous l’ombre du gymnase.

Franchi les grandes portes du dortoir des garçons.

Gravi les marches.

Il n’y avait pas le chahut habituel. Personne dans la salle du fond. Mais des accords de piano s’élevaient depuis l’autre pièce. Il avait été accordé.

J’ai hésité à faire demi-tour, mais je ne voulais pas retourner dans les couloirs du lycée. Alors j’ai avancé. J’osais pas vraiment entrer, de peur de déranger.

J’ai reconnu un gars qui traînait souvent avec la bassiste. Je connaissais son prénom. Il avait l’air gentil. Tout ce que je savais sur lui, c’est qu’il aimait la musique et qu’il était plus vieux que nous.

Il s’est arrêté de jouer et il m’a salué.

Il m’a cédé la place derrière le clavier.

On a commencé à discuter. À faire connaissance. Je n’étais pas très à l’aise. C’était la première fois que je me retrouvais seule avec un homme depuis le fameux « Netflix & Chill », cinq mois plus tôt.

La salle n’était pas si petite, mais j’étouffais. J’ai mis ça sur le compte de la chaleur.

J’ai sorti mon téléphone, pour trouver une vidéo synthesia sur YouTube — c’est comme ça que j’apprenais à jouer. Il m’a donné des conseils pour mieux positionner mes doigts, mais trop proche.

Il s’était rapproché. Trop.

J’avais plus envie de jouer.

Il parlait encore. Je répondais. Par politesse.

Je sais pas vraiment comment j’en suis arrivée là. Mais il était assis sur moi. Face à moi. Les bras le long de la chaise. J’étais figée. J’osais pas bouger.

Je me suis enfoncée dans le dossier, comme si ça pouvait augmenter l’espace entre lui et moi. Comme si cette chaise allait s’agrandir par miracle.

Mais il n’y avait plus assez d’aire pour respirer.

Je sentais la chaleur me monter aux joues. Le vertige. La peur de respirer trop fort. Trop vite.

J’ai tenté de me lever. Après un moment. Après une éternité.

Il a posé ses mains de chaque côté de ma tête. Sur le haut de la chaise. Il a dressé un mur entre moi et la fuite. Ma fuite.

La porte était juste derrière moi. À quelques pas.

L’odeur de sa transpiration me donnait envie de vomir. Cette situation me donnait envie de vomir… J’avais envie de vomir.

Il m’a embrassé.

Il avait pas demandé.

Je l’ai repoussé. Violemment.

Il a rien dit.

Moi non plus.

Et je suis partie.

Après ce baiser voler, je ne suis plus jamais retournée à la salle de musique.

Je n’ai plus touché à un piano.

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