Troisième Partie — Secret
J’ai toujours eu une voix intérieure qui parle trop fort. Elle se fond dans mes pensées, se faisant passer pour elles. Un murmure vicieux. Il ne m’appartient pas. Mais il régit ma vie, à chaque instant.
Il me susurre que je ne suis pas — et ne serai jamais — assez.
Encore aujourd’hui, j’ai du mal à mettre cette voix sur mute.
*
Je me rappelle de mon premier, vrai, copain. Enfin… pas vraiment le premier.
Avant lui, les garçons ne m’intéressaient pas. J’avais d’autres préférences. Mais j’avais trop peur de les laisser s’exprimer.
Je ne pouvais pas.
Pas après l’enfer du primaire.
Pas après les moqueries, l’isolation forcée… les coups.
Malgré tout ça, j’avais tout de même connu des amourettes en colonie. Mais, là, c’était ma première relation amoureuse.
Si on peut appeler ça comme ça.
J’étais très timide. J’étais pas du genre à m’affirmer ; je détestais être au centre de l’attention.
Quand je venais d’arriver au collège, j’ai eu une amourette avec un garçon assez prisé. Donc ça avait suscité beaucoup d’intérêt. On était jamais tranquille dans la cour. Un simple bisou devenait une attraction. J’avais l’impression d’être une bête de foire, que tous ces yeux me jugeaient.
Ça faisait échos aux cinq dernières années…
Cette amourette n’avait duré que deux semaines. Je crois. Une relation oubliable, il ne m’intéressait pas vraiment. Je voulais juste prouver que je pouvais plaire...
Un stage découverte quoi.
Mais ses mots pour rompre avec moi sont restés gravés dans mon esprit. Ils font partie des voix qui hurlent dans ma vie… « T’es trop coincée ». J’avais 11 ans.
*
À cette époque, j’en avais pas encore conscience. Pourtant, alors que les filles de mon âge débattaient pour savoir qui de Jacob ou d’Edward, elles préféraient, moi j’avais un crush sur Alice ou Bella. Je croyais que c’était juste moi, que j’étais bizarre. Que j’aimais Twilight… à l’envers.
Alors j’ai rien dit. J’ai souri quand elles parlaient d’abdos dans les vestiaires. J’ai acquiesçais quand elles se sont liguées contre une fille qui les avait trop regardées pendant qu’elles se changeait. « Sale gouine ! », « Elle me dégoûte »…
J’avais honte d’être comme ça. J’avais honte de participer à ce qui m’avait fait du mal pendant des années. Mais c’était elle ou moi.
J’ai choisi de me protéger en me fondant dans le mensonge.
Si j’étais aussi coincée avec les garçons… Si j’étais si mal à l’aise avec eux… C’était sûrement parce que je ne les aimais pas… Non ?
C’était simple. Logique. Plus rassurant… j'imagine.
Aimer les filles était moins dangereux qu’aimer les garçons. Les hommes. Parce que les hommes, c’était lui. Mon père.
Il ne m’a jamais touché, mais j’aurais préféré.
Il me terrorisait. Il avait cette façon de parler… qui me faisait regretter d’être venue au monde. Chaque mot consolidait mes croyances ; je ne suis pas voulue. Je ne le serais jamais.
*
Puis, il y a eu ce premier petit-ami. J’étais en cinquième. Lui, en troisième. Pour la première fois, un garçon m’intéressait. Et j’avais l’impression que c’était réciproque. J’avais l’air de lui plaire, vraiment. Il avait l’air de vraiment me trouver jolie. Je le faisais rire.
J’étais pas amoureuse. Mais il m’attirait. Et surtout, j’étais à l’aise avec lui. Pas de boule au ventre lorsqu’on s’embrassait. Pas de malaise quand j’étais près de lui. Juste… un truc nouveau. Doux. Curieux.
Pour la Saint-Valentin, il m’avait offert un collier. Je lui avais offert une montre. Je le portais tous les jours. Comme une preuve. Un talisman. Un trophée.
Je crois que je l’ai encore.
Quelque part, au fond d’une boîte avec les autres reliques.
Je sais plus combien de temps ça a duré. Trois mois ? Peut-être plus. Je sais juste qu’il a fait le mort pendant les vacances qui ont suivi.
Je me rappelle fixer mon téléphone pendant des heures… puis des jours, espérant une réponse. J’avais la boule au ventre.
Qu’est-ce que j’avais fait de mal ?
La deuxième semaine des vacances d’hiver, une de mes meilleures amies m’a envoyé un message. Et j’ai eu des réponses.
Il allait bien. Très bien même. Il m’ignorait juste. Il espérait que j’abandonne, alors que c’était lui le lâche.
Une sacrée merde.
Alors, je lui ai écrit. J’avais encore assez d’estime de moi pour exiger du respect. Je lui ai dit de me retrouver devant le collège pour qu’il me quitte en face-à-face. Ironiquement, il a répondu.
J’y suis allée.
Il est venu.
J’aurais préféré qu’il me jette par téléphone finalement.
« Tu m’as jamais intéressée. ». Il m’a utilisé. Pour se rapprocher de mon amie d’enfance. Je lui avait jamais plu.
Et ça m’a brisé.
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