La convocation
Lundi 06h58. Quartier Est.
Je fixais la convocation posée sur la table de la cuisine.
Papier épais, encre rouge, sceau en relief du CCSEG.
Les mots semblaient respirer par eux-mêmes.
« Vous êtes attendu au Centre de Contrôle, Sanction et Encadrement des Garçons – Secteur Est – à 08h00. Retard sanctionné. »
Ma mère me tendit un café.
Pas un mot. Pas besoin.
— Ils vont me faire quoi, là‑bas ? murmurai-je malgré moi. Ma voix dérapa, tremblante.
Elle serra les lèvres, un silence trop long.
— Je ne sais pas, Clément.
Ses doigts glissaient autour de sa tasse, nerveux.
— Je pense qu’ils… évaluent. C’est tout.
J’hochai la tête sans répondre. Comme si cette absence de réponse était déjà une forme de réponse.
Je glissai ma carte CCSEG dans ma poche.
Sur cette carte, un nom : K. Mendez.
Le nom de mon OSD, de mon Officier de Suivi et de Discipline.
Un nom abstrait jusqu’à aujourd’hui, mais à partir de maintenant, chaque heure de ma vie pourrait lui appartenir.
Je pliai la convocation en quatre et la glissai dans ma poche arrière.
La porte de l’immeuble se referma derrière moi avec un claquement sourd, résonnant comme une frontière franchie.
Dans la cage d’escalier, l’odeur de moisi se mêlait au produit ménager bon marché que la concierge répandait religieusement chaque matin.
Tout semblait soudain plus étroit, plus froid.
Dehors, le ciel était bas, couleur de béton mouillé.
Depuis quelques semaines, des hommes en uniforme gris stationnaient aux coins des rues, tablettes à la main.
Des contrôleurs — pas des policiers, pas des soldats.
Des fonctionnaires payés pour cocher des cases et repérer les écarts.
Et aujourd’hui, ils contrôlaient pour de vrai.
Je marchais d’un pas régulier : ni trop lent, ni trop rapide.
J’avais relu les consignes sur le site du Ministère :
« Un comportement naturel évite les contrôles inutiles. »
Pour la première fois, je regrettais d’avoir dix‑huit ans. Ou je regrettais d'être un garçons. Je ne savais plus trop.
Au carrefour, un panneau électronique clignotait :
« Rappel : Mise en place, ce lundi, des CCSEG pour les garçons de 18 à 25 ans. Convocations en cours. Présentez-vous à l’heure indiquée. »
Pas de ton martial.
Juste une neutralité glacée — la pire des menaces.
Un contrôleur leva les yeux en me voyant.
Visage fermé, badge « CCSEG – Agent de terrain » épinglé au coin de sa poitrine.
— Carte.
Je présentai mon identification CCSEG, les doigts légèrement crispés.
La tablette bipait, mécanique, neutre.
L’agent hocha la tête, déjà passé à un autre.
Ni sourire. Ni mot.
Juste l’indifférence fonctionnelle de quelqu’un qui manipule des dossiers… pas des vies.
07h12. Arrêt de bus.
J'attends le bus. Finalement, il arrive.
L’ambiance dans le bus était lourde, compacte.
Trois garçons de mon âge fixaient le sol.
Épaules contractées, respirations discrètes.
Personne ne voulait croiser un regard — on était génés.
Un homme d’une cinquantaine d’années feuilletait son journal, mais je remarquai ses yeux glisser régulièrement entre les colonnes imprimées et nous, les jeunes hommes.
Une satisfaction froide, presque imperceptible.
Comme si l’ordre revenait enfin — quel qu’en soit le prix pour nous.
Le bus s’arrêta dans un crissement sec.
Devant nous, un bâtiment bas, massif, entièrement en béton armé.
Gris anthracite. Sans fenêtres.
Seulement des grilles d’aération et des caméras pivotantes aux angles, des yeux mécaniques qui ne clignaient jamais.
Une double clôture barbelée encerclait le périmètre.
Aux portes, deux hommes en uniforme gris, immobiles comme des statues.
Un panneau métallique indiquait simplement :
« CCSEG – Secteur Est. Accès interdit au public. »
Je descendis.
Mes baskets crissèrent sur le gravier, un bruit clair dans un silence trop épais.
Je pris une profonde inspiration.
Puis j’avançai.
Il n’y avait plus vraiment de choix.

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