Tolérance zéro

4 minutes de lecture

Le bus s’arrêta brusquement. Je sursautai, le bruit des freins m’arracha à mes pensées, encore perdues dans ce tourbillon silencieux qui m’envahissait depuis tout à l'heure. Puis les portes s’ouvrirent. Deux hommes montèrent, habillés de gris, sans un mot, presque comme des ombres.

Ce n’étaient pas des contrôleurs de la société de bus.
C’étaient des contrôleurs du CCSEG. Ceux qui avaient fait leur apparition il y a quelques semaines, dont le travail commençait vraiment aujourd’hui.

Je sentis immédiatement l’air devenir plus lourd. Le bus, déjà plein, se figea dans un silence absolu.

Les contrôleurs s’avancèrent lentement, leurs pas résonnant dans le bus comme des coups de marteau. Puis, l’un d’eux leva la main. Un simple geste.
— Vous, descendez.

Nous étions six. Six garçons, tous du même âge à peu près, tous figés dans un même mouvement. Une fraction de seconde, et nous étions debout. Le poids de l’autorité s’écrasa sur nous, aussi soudain et brutal qu’un choc.

Je n’osai même pas regarder les autres. Je sentais mes mains devenir moites, mes épaules se tendre sous la pression.

Nous descendîmes du bus, suivis par les deux silouhètes en gris. Le bus repartit nous laissant là : les six garçons seuls avec les deux contrôleurs. Les deux hommes s’approchèrent, sans un mot. Ils prirent nos cartes, celles du CCSEG, et les passèrent dans leurs lecteurs.
Bip.
Bip.
Bip.
Bip.
Bip.
Bip.
Chaque son semblait plus lourd, plus impitoyable que le précédent. Comme une cloche qui résonne dans un vide.

Puis l’un des contrôleurs se tourna vers nous. Sa voix glaciale fit écho dans le silence, brisant la tension qui flottait déjà dans l’air :
— Il y avait une dame âgée debout. Vous auriez dû lui laisser votre place. Vous êtes tous les six en infraction.

Mon cœur se serra instantanément, comme si quelqu’un m’avait attrapé la gorge. Je n’avais pas vu la dame. J’avais les yeux rivés sur l’extérieur, perdu dans des mes pensées.

Je sentit un frisson me parcourir, froid, brutal. La peur m’envahit. Je savais déjà, avant même qu’il n’ouvre la bouche, que ça allait nous coûter cher.

Il y eut un instant de flottement, un moment où tout s’arrêta, où le monde sembla suspendu. Puis l'un des garçons, murmura, presque inaudible :
— Je suis désolé… je… je ne l’avais pas vue… sinon, j’aurais laissé ma place, vraiment. Je le fais tout le temps…

Sa voix tremblait, tout comme ses mains, qui s’agitaient nerveusement. Mais l’autre contrôleur l’interrompit d’un ton glacial, sans une once de compassion.
— Tu expliqueras ça à ton OSD. Les faits sont là. La dame était debout, toi assis. C’est une infraction de niveau 1. Vous serez tous les six convoqués pour recevoir votre sanction.

Le second contrôleur poursuivit sans même nous regarder, comme s’il récitait un texte appris par cœur.
— En plus de cette sanction, votre droit aux transports en commun est suspendu pendant un mois.

Un mois. Un mois sans transports en commun. Le temps sembla se figer. Un mois. C’était une éternité dans ce système.

Je sentais mes jambes trembler, comme si mes genoux allaient céder. Mes pensées se brouillaient, je voulais parler, dire quelque chose, mais je ne savais même pas quoi.

Un autre garçon tenta de protester, d’une voix brisée :
— Mais… je dois aller à mon stage, tous les jours… il est à quinze kilomètres…

Je sentis la sueur me couler dans le dos, et je n’osai même pas relever la tête. Le contrôleur jeta un coup d’œil glacial, sans une once de pitié.
— Alors tu mettras des baskets. 30 kilomètres de course, c’est excellent. Le sport ça te fera du bien.

Mes mains étaient tremblantes, mes doigts incapables de rester immobiles. Chaque respiration était comme un coup dans ma poitrine. J’avais l’impression de ne plus être maître de mon corps, comme si la peur, l’humiliation et la résignation se mêlaient et se nourrissaient les unes des autres.

Nous étions six, tous là, figés, pris dans la même toile invisible qui se resserrait autour de nous.

Quelques passants s’étaient arrêtés pour observer la scène. Leurs regards étaient lourds, curieux, distants, mais pleins de jugement. Nous étions des fautifs, des coupables. La honte nous collait à la peau.

Le contrôleur rangea son terminal, nous rendit nos cartes, puis, sans un mot de plus, nous congédia d’un ton tranchant, métallique :
— Vous pouvez disposer.

Le vent souffla fort sur le trottoir, un vent froid, comme une morsure qui venait balayer, en partie, la tension qui nous étranglait. Mais dans l’air, il restait quelque chose d’inexorable, d’impitoyable, une présence invisible qui nous collait encore à la peau. La deuxième règle venait d’être appliquée : Tolérance zéro.

Une erreur... Une sanction.

Pas de place pour l’humanité, pas de place pour les excuses. Il n’y aurait plus de « pardon ». Plus d’avertissement. Chaque erreur serait, notée, corrigée et sanctionnée.

Nous serions bientôt convoqués par notre OSD pour recevoir notre sanction. Et, comme si cela ne suffisait pas : un mois sans transports en commun. Un mois. C’était une éternité dans cette mécanique implacable. Une petite faute, un petit détail, et la punition tombait, dure et sans appel.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire qwed2001t2 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0