Un mercredi sous surveillance

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8h30. J’arrivai à la fac. À l’heure. À bout.

Le sprint final m’avait achevé : jambes en feu, souffle coupé. Mais j’étais là. Le TD était bondé. Aucun garçon ne séchait aujourd’hui. On se regarda, tous conscients du pourquoi.

Sam, assis à côté de moi, chuchota :
— T’as eu des nouvelles pour ta sanction ?
— Je suis convoqué demain soir.
— Tu me diras, hein ?
— Oui, Sam... Détends-toi mec.

Il hocha la tête, mais garda l’air grave. Le TD commença.

À la fin du cours, Léa vint voir Sam :
— Désolée pour hier… je n’ai pas été sympa pendant le déjeuner. Je sais que tu ne mérites pas d’être sanctionné. Je disais juste que le CCSEG, c’est bien en général, mais je ne parlais pas de toi.

Sam hocha la tête, un geste vide de sens.
La phrase de Léa n’en avait pas plus.

Lucas, Sam, Mehdi et moi allâmes en direction du RU pour déjeuner mais la queue était trop longue, alors nous nous dirigeâmes vers le snack pour prendre un sandwich.

Lucas demanda :
— On fait un truc samedi soir ?
— Ouais, carrément, répondit Mehdi. Plutôt sortie ou tranquille chez moi ?

Pour une fois, nous ne parlions pas du CCSEG. Nous parlions de sujets d’avant, de nos trucs à nous.

On était mercredi, encore deux jours à se lever à quatre heures du matin pour ces séances de sport imposées, puis un week-end pour souffler, pour décompresser. Jamais un week-end n’avait semblé aussi prometteur.

Nous continuâmes à discuter en mangeant nos sandwiches, puis nous retournâmes en cours pour l’après-midi.

Je passai une partie du cours à penser à Raph. À son regard. À son corps. À ses mollets que j'avais tenus dans mes mains ce matin. À ce frisson qui m’avait parcouru au contact de sa peau.

16h45. Les cours étaient finis.

Je partis à la bibliothèque avec Mehdi et Lucas pour bosser. Je me forçai à me concentrer, mais mes pensées étaient toujours bloquées sur Raph.

18h00. Je traînai les pieds en direction de chez moi. À pied. Encore.

La pluie s’était arrêtée, mais la journée pesait sur mes épaules comme un fardeau invisible.

La rue principale était plus animée que d’habitude. Les passants s’agitaient, les vitrines clignotaient, mais moi, j'étais ailleurs.

Puis je les vis.
Les contrôleurs.
Ils interceptaient les garçons de notre âge un par un et les alignaient le long du trottoir.
Mais qu'est-ce que c'était que cette connerie encore ?

Je me figeai quand l'un d'eux me saisit par le bras, me plaça derrière le dernier garçon de la file.
— Carte.

Je la sortis.
Bip.

— Bien alignés, aboya un contrôleur.

J'obéis et me positionnai parfaitement derrière le garçon qui était devant moi.
Une fois le contrôleur à quelques mètres, je demandai au garçon :
— Qu'est-ce qui se passe ?

Il secoua la tête, et sans se retourner :
— Moi, ils m’ont juste dit de me mettre là. J’ai rien fait…

Nous attendîmes, le silence lourd.

La file avançait mais lentement. Nous faisions la queue mais nous ne savions pas ce que nous attendions.

Finalement, nous approchâmes d'un barnum. Il y avait encore un garçon devant moi, j'étais le deuxième de la queue.

Soudainement un contrôleur sorti du barnum et dit d'un ton sec :
— Les six suivants, entrez.

J'entrai sous le barnum.

Un autre contrôleur aboya :
— Fouille aléatoire. Déshabillez-vous tous les six. Entièrement.

Nous étions paralysés par la peur, mais aussi par une sorte d'incrédulité. Nos regards se croisèrent, une fraction de seconde, avant de se détourner, comme si chacun cherchait dans l’autre un signe, une permission de refuser. Mais il n’y en avait pas. Il n’y avait que la même peur, la même honte. Alors, un à un, nous obéîmes. Lentement, nos mains tremblantes commencèrent à retirer nos vêtements.

Nous posâmes nos sacs à terre. Nous retirâmes nos vestes, nos pulls, nos t-shirts, nos pantalons. Nous pliâmes chaque vêtement avec une lenteur calculée, les yeux rivés sur nos propres mains, incapables de regarder l’autre, incapables de soutenir son regard. Les chaussures tombèrent, les chaussettes roulées en boule.

Nous étions là. Tous les six. Nus. Alignés. Exposés.
Un contrôleur passa lentement devant nous, nous détaillant un à un.

Le vent s’engouffra sous le plastique du barnum, glacé, vicieux. Il caressa ma peau, souleva des frissons sur mes bras, mes cuisses, mon ventre. Putain, il faisait froid. Et pas seulement à cause de la température.

Instinctivement, nous avions placés nos mains devant nos sexes. Un dernier rempart, une dernière protection.

Un contrôleur hurla :

— Bras le long du corps !

Je serrai les dents. Pourquoi nous forcer à ça ? Mes doigts tremblèrent, comme s’ils voulaient malgré tout se rester devant moi, mais l’ordre était là, implacable. ALors mes bras retombèrent, collés à mes flancs. Et je restai immobile. Je fermais les yeux, espérant disparaître, mais je savais que je ne pouvais pas.

Nos sexes, nos ventres, nos fesses, nos poitrines ; tout était désormais exposé, sans protection, sans échappatoire. Le froid, les regards, l’attente… Tout pesait sur nous, nous écrasait, nous rendait plus vulnérables encore. Nous avions les joues brûlantes, les yeux toujours baissés. Personne ne regardait personne. Nous fixions le sol, un pli du barnum, n’importe quoi plutôt que de croiser le regard de l’autre, de voir notre propre honte reflétée dans ses yeux. La honte nous collait à la peau, plus lourde que le vent.

Le premier garçon se fit fouiller. Les contrôleurs l’attrapèrent, le retournèrent, le palpèrent. Leurs mains impersonnelles, glissèrent sur ses épaules, son dos, ses fesses, ses cuisses. Ils lui ordonnèrent de tousser, d’écarter les jambes, d’ouvrir la bouche. Comme du bétail. Je sentis mon propre corps se raidir, comme si chaque geste subi par lui me touchait aussi.

Puis ce fut mon tour.

Les doigts du contrôleur me firent pivoter. Ils m’explorèrent, me tâtèrent, s’attardèrent entre mes jambes. Sa paume rugueuse effleura mon entrejambe, et je serrai les dents si fort que ma mâchoire en craqua. Personne ne regardait. Personne ne voulait être témoin. La honte me brûlait plus que le froid, plus que le vent qui me fouettait.

Pendant ce temps, un autre contrôleur fouillait mes affaires. Il retourna tout : mes cahiers, mon portefeuille, mes clés.

— Propre, grogna-t-il.

Derrière moi, j’entendis un sanglot. Le garçon suivant avait vu son téléphone saisi.

— C’est quoi, ça ? gronda le contrôleur.
— Un… smartphone, monsieur, balbutia-t-il, la voix brisée.
— Interdit. Infraction de Niveau 2. Ton smartphone est confisqué et tu auras une sanction.

Le garçon éclata en sanglots, nu, tremblant, les épaules secouées par des hoquets. Il n’avait que 18 ans. Et déjà, le monde entier pesait sur ses épaules. Personne ne bougea. Personne ne dit rien. Nous fixions le vide, les poings serrés, les mâchoires contractées. Nous aurions voulu lui tendre une main, un regard, un geste. Mais nous n’osions pas. Nous n’osions même pas nous regarder entre nous.

Sa carte fut scannée.
Bip.

Nous restâmes là, gelés, à attendre que tout le monde ait subi sa fouille. Personne ne nous avait dit qu’on pouvait se rhabiller. Alors c’était qu’on ne pouvait pas. Notre confort, notre pudeur, notre dignité… rien de tout ça ne semblait faire partie de leurs priorités. C’était même à se demander s’ils ne le faisaient pas exprès.

Enfin, après la fouille du sixième garçon, nous pûmes ramasser nos vêtements, nous rhabiller en silence, et repartir. La peau encore marquée par le froid, par les regards, par les mains qui nous avaient touchés sans permission. Et par cette honte partagée, ce silence complice, cette impossibilité de se soutenir, même du regard.

La troisième règle, encore une fois : les contrôles.

20h. Chez moi.
Avec tout ça, j’arrivai chez moi plus tard que prévu. Douche brûlante. Je grelottais encore, malgré l’eau chaude.

Puis je m’essuyai et je allai dans ma chambre.

Ma mère frappa à la porte :
— Tu as mangé ?
— Oui.
Mensonge. Mais je n'avais pas faim.
— Tu est parti tôt ce matin.
— Oui, j'avais un truc.

Je m’allongeai sur mon lit, les muscles endoloris, l’estomac noué.
Demain, réveil à 4h, sport, fac, puis cette sanction pour infraction de niveau 1.
Une journée bien remplie.

Je fermai les yeux et je vis Raph.

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